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L’impact des rituels et des croyances sur la natalité 

Au cœur des choix de vie les plus intimes, comme celui de fonder une famille, les croyances et les rituels continuent de jouer un rôle structurant. Quel est-il dans un monde sécularisé, en proie au doute sur son avenir ? Pourquoi la natalité demeure-t-elle au cœur du discours religieux ? Nous avons interrogé Marie-Laetitia Calmeyn, professeure de théologie au Collège des Bernardins.

L’Eglise catholique a depuis toujours un discours nataliste. Quelles en sont les origines  ?

Les origines se trouvent dans le premier livre de la Bible : la Genèse. Mais il s’agit bien plus qu’un discours « nataliste ».  Selon les textes bibliques, l’homme et la femme, créés à l’image de Dieu (c’est-à-dire dans l’amour de Dieu et par amour), portent en eux la capacité de reconnaître comment ils sont un don l’un pour l’autre. Cette relation de communion ouvre l’accès au don de la vie qui anime l’homme et la femme et par lequel ils accèdent de plus en plus à leur humanité.  Cela se traduit alors dans la formule consacrée : « Soyez féconds, multipliez… ». A la différence des animaux qui exerceront une fécondité instinctive, l’homme et la femme sont responsabilisés dans ce choix.  

Comment ce discours se traduit-il dans les pratiques individuelles  ? 

Dans la tradition chrétienne, le mariage est compris comme une communauté d’amour et de vie. Plus j’aime l’autre pour lui-même, plus je lui permets d’être qui il est. Cette aspiration à la vie et cette responsabilité par rapport à la vie déborde la vie du couple et s’exprime au cœur même de leur union à travers la « pro-création ». La tradition de l’Eglise catholique parle en termes de « paternité et maternité responsables ». L’homme et la femme sont appelés à répondre, d’une part, du don de la vie qu’ils sont l’un pour l’autre et, d’autre part, de ce don de la vie qu’est l’enfant. Cette parentalité responsable implique aussi le fait qu’un homme et une femme peuvent pour de bonnes raisons décider pour un temps de ne pas avoir d’enfants (par ex : pour des raisons de santé, d’équilibre familial et social, etc.). Ce choix est alors ordonné au bien du couple et de la famille. Il ne s’agit pas d’un choix de repli ou de confort, mais d’un choix respectueux de la vie de chacun.  

Cette responsabilité par rapport à la vie fait grandir le sens du bien commun. Le seul bien que nous ayons tous en commun est le don de la vie. Si les sphères économiques et politiques ont comme objectif d’édifier la société, la tradition chrétienne veut que cela ne puisse se faire que dans une dynamique de vie qui trouve sa source dans le couple et la famille. De plus en plus de couples découvrent comment l’exercice de la parentalité responsable leur donne envie d’entrer dans une démarche d’écologie intégrale. Le respect du corps en tenant compte des rythmes de fécondité rend attentif à la vie de la nature, au respect et au soin qu’on peut lui accorder.  L’attention au don de la vie dans le couple et la famille retentit dans le rapport à la création. Quand le pape François affirme que « Tout est lié », le lien dont il est question est cette vie qui anime toute la création. 

Quelle place occupent les croyances et les rituels (notamment les rites de passages : baptême, mariage…) dans la vie d’un individu et dans ses choix, notamment sa décision de faire ou non un enfant  ? 

Le baptême chrétien doit ouvrir au sens de la vie. Plongé dans la mort et la résurrection du Christ, le baptisé confesse que le don de la vie est plus profond que la mort, qui n’est pas qu’organique, mais comporte une dimension éternelle. Les choix du couple chrétien ne sera donc pas mesuré seulement par la peur de la mort, du manque, etc., mais il sera ordonné au respect de la vie de chacun.  

Le mariage sacramentel doit être entendu comme un engagement que les époux se donnent pour toute leur vie et dans l’ouverture à la vie. L’homme et la femme promettent alors de s’aimer de l’amour du Christ pour son Eglise. Nous savons que notre propre amour est limité et qu’il a sans cesse besoin d’être relayé par un amour plus grand qui nous sauve, nous console, nous relève et nous donne d’aimer plus encore. Le « plus encore » implique inévitablement une ouverture responsable à la vie de l’autre au don de la vie. La possible conception d’un enfant n’est pas d’abord un problème à gérer mais une magnifique responsabilité à exercer. Cet esprit d’ouverture à la vie se vit aussi à travers le vieillissement, la maladie, le handicap ou lorsqu’un accident surgit. 

Peut-on observer une différence entre femmes et hommes dans cette perception  ? 

Si la foi doit être la même, l’expression est différente et très complémentaire, notamment dans le rapport à la vie. La femme est d’abord marquée par un rapport intérieur à la vie, en ce qu’elle a cette capacité d’accueillir en elle et d’enfanter. L’homme, témoin de l’enfantement, est celui qui veille, qui soutient et qui sera là pour accueillir l’enfant dans « la mise au monde ». Dans la tradition chrétienne, le rôle très différent de l’homme et de la femme au moment de la naissance exprime leur rapport commun et différent à la vie. Il serait très intéressant d’approfondir ce point et de voir comment il s’exprime dans la société.  

Dans un monde sécularisé, comment ces rituels se transforment-ils ou perdurent-ils ? 

 La Tradition chrétienne se vit et s’enracine dans un monde marqué par un individualisme croissant. L’instabilité sociétale et les menaces climatiques provoquent souvent une forme de repli sur soi : « Pourquoi concevoir des enfants dans un monde qui va mal ? » Les chrétiens ne restent pas indemnes face à ces réactions, même si l’espérance qui les appelle resitue dans une perspective plus vaste. L’ouverture à la vie à travers toutes ses dimensions retentit positivement sur la société et le monde. Comment demeurons-nous en effet solidaires des générations futures ? La baisse de la natalité risque de faire porter à la jeune génération un poids insoutenable. Dans la Tradition chrétienne, la paternité et la maternité responsables s’étendent sur la vie politique, économique et sociale.  Il s’agit toujours de rechercher le bien commun du couple, de la famille, de l’entreprise, de l’école, de la cité, de la patrie.  Une société s’ordonne et s’édifie précisément grâce à ce rapport au bien commun.

Finalement, comment redonner espoir aux générations futures ?  

La mutation de la place des religions dans la société n’aide pas à aborder cette question si importante. Pour oser l’avenir, notre société a besoin d’enracinement dans l’histoire. Les racines judéo-chrétiennes ont façonné la culture occidentale à travers ses récits, ses rites, qui ne cessent d’ouvrir encore au sens de la vie et donc à l’avenir. Pour transmettre des valeurs, il importe en effet de pouvoir les situer pour rendre compte de leur portée. La crise de l’autorité et de la transmission témoigne d’un déracinement culturel et cultuel.  

Le nombre de baptême d’adultes en France ne cesse d’augmenter. On note en 2022 une augmentation de 14%.  Le nombre oscille depuis cinq ans entre 4000 et 4200. En 2023, on a compté 4268 baptêmes pendant la nuit de Pâques. Il est possible d’analyser ce phénomène comme une recherche plus forte chez les gens de sens pour leur vie, de cohérence. On ne devient plus chrétien pour des raisons culturelles mais à cause de la foi et des valeurs transmises. Il y a dans l’Eglise catholique une attention grandissante pour la transmission de la foi, pour l’initiation chrétienne, pour l’accueil et l’accompagnement des personnes, des familles, pour le dialogue avec la société. Comment la religion catholique peut-elle participer à l’édification de la société, sinon précisément à travers son sens de la Vie qui suscite la foi, réanime l’espérance et fait grandir la fraternité ? 

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