Malgré un stock de logements en théorie largement suffisant pour loger la population, de nombreux ménages peinent à se loger. À la lumière des données dont dispose l’Insee, Aurélie Goin et Jean-Luc Tavernier nous éclairent sur les différents paradoxes qui grippent le marché immobilier et dressent un panorama précieux de la situation des ménages face à cette crise.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
Au 1er janvier 2023, la France compte 37,8 millions de logements, soit 42 % de plus qu’en 1990 alors que la population n’a augmenté que de 17 % sur la même période. Différents signaux témoignent pourtant de tensions croissantes : hausse des dépenses liées au logement, hausse des prix de l’immobilier, allongement des listes d’attente pour le logement social…
Paradoxalement, le nombre de logements vacants a augmenté plus vite que l’ensemble du parc depuis le milieu des années 2000 et, ces dernières années, c’est également le cas du nombre de résidences secondaires. Pour autant, au niveau national, sur une longue période, entre 1990 et 2023, le nombre de résidences principales a augmenté à la même vitesse que l’ensemble du parc de logements. Les tensions sont donc principalement dues à une inadéquation entre l’offre et la demande au niveau local et aux décohabitations qui entraînent une réduction de la taille moyenne des ménages. Ce dernier phénomène serait même probablement accru si l’offre de logements permettait de satisfaire toute la demande potentielle.
Des tensions sur le marché du logement, notamment pour les ménages les plus modestes
En 2017, les ménages consacraient en moyenne 19,7 % de leurs revenus à leur logement1. Cette part est plus élevée pour les locataires dans le secteur privé (28,6 %) et les accédants à la propriété (27,5 %, en tenant compte des remboursements d’emprunt), que pour les locataires du secteur social (24,1 %). Elle est beaucoup plus faible pour les propriétaires n’ayant plus d’emprunt à rembourser (10 %).
40 % des ménages sont locataires, 23 % dans le secteur privé et 17 % dans le secteur social. Les loyers pèsent beaucoup dans le budget de certains ménages, dans un contexte où il est difficile d’accéder au logement social. De nombreux ménages sont en effet sur liste d’attente : au 31 décembre 2022, on recensait 2,43 millions de demandes de logements sociaux, soit 4,3 demandes pour une offre de logement. Les tensions sur le logement social s’intensifient : en 2019, le rapport s’établissait à 3,6 demandes pour une offre. Les ménages en attente ont probablement du mal à se loger dans le secteur libre.
57 % des ménages sont propriétaires de leur logement. Parmi eux, 35 % n’ont pas terminé de rembourser leur emprunt. Acheter son logement devient plus difficile dans un contexte d’augmentation récente des taux des crédits et de contraintes sur le pouvoir d’achat, avec des prix de l’immobilier qui restent élevés. C’est particulièrement le cas pour les primo-accédants qui souhaitent acheter en Île-de-France2. En effet, en France métropolitaine, les prix des logements anciens ont été multipliés par 2,5 entre 2001 et 2023, contre seulement 1,6 pour le revenu disponible brut des ménages. Ces derniers temps, les prêts accordés aux ménages baissent et les ventes de logements anciens diminuent fortement, de même que les mises en chantier de logements neufs.
Certaines personnes peuvent être dans des situations de logement contraintes, en particulier les jeunes qui souhaiteraient quitter le domicile de leurs parents. D’autres ménages vivent dans des logements qui ne sont pas adaptés à leurs besoins, faute de pouvoir déménager. En particulier, en 2020, 8 % des ménages vivent dans des logements qualifiés de « surpeuplés » (hors étudiants), c’est-à-dire qu’il leur manque au moins une pièce par rapport à leur composition familiale. Après avoir fortement diminué entre 1988 et 2006, le taux de surpeuplement est globalement stable depuis. Enfin, les ménages les plus en difficulté peuvent souffrir de mal-logement : logement insalubre, hébergement chez un tiers sans avoir choisi cette situation, hébergement d’urgence, absence de domicile…
La question de la localisation des logements est centrale : au-delà du nombre de logements, l’enjeu est qu’ils soient situés là où les ménages souhaitent habiter, à proximité de leur lieu de travail… Certaines zones sont particulièrement tendues. Par exemple, en Île-de-France, la part de logements suroccupés est plus élevée qu’au niveau national, le taux de vacance est plus faible ou encore les prix sont plus élevés, signes de tensions accrues.
Localement, les résidences secondaires peuvent exacerber les tensions
Au 1er janvier 2023, 3,7 millions de logements sont des résidences secondaires ou des logements occasionnels (soit 9,8 % du parc). Par définition, ces logements ne contribuent pas à loger des ménages. Le nombre de résidences secondaires ou de logements occasionnels augmente plus fortement depuis une douzaine d’années : + 1,3 % par an entre 2011 et 2023, contre + 0,5 % entre 1990 et 2011, soit un rythme désormais supérieur à celui de l’ensemble du parc de logements (+ 1,0 % par an entre 2011 et 2023).
Dans certaines zones particulièrement touristiques, les habitants du territoire peuvent avoir du mal à se loger, un phénomène potentiellement renforcé par les plateformes de location en ligne, ce qui amène certaines communes à réguler ces usages. En effet, localement, les résidences secondaires peuvent représenter une part importante du parc de logements : 33 % pour les intercommunalités à plus de 750 mètres d’altitude et jusqu’à 61 % pour celles à plus de 1 500 mètres, 18 % sur le littoral et 30 % ou plus sur une grande partie du littoral Centre-Atlantique (du Morbihan aux Landes) et du littoral méditerranéen, notamment en Corse. La part des résidences secondaires ou occasionnelles dépasse même 70 % dans les communautés de communes Pyrénées catalanes (Pyrénées-Orientales), Val Vanoise (Savoie), Aure Louron (Hautes-Pyrénées) ou encore de l’Oisans (Isère).
Paradoxalement, 3,1 millions de logements sont vacants
Alors que de nombreux ménages rencontrent des difficultés pour accéder à un logement, paradoxalement, 3,1 millions de logements sont vacants au 1er janvier 2023 (soit 8,2 % du parc) et ce nombre a augmenté nettement plus vite que l’ensemble du parc de logements au cours des trente dernières années3. Son évolution est néanmoins très contrastée selon les périodes : après avoir stagné entre 1990 et 2005 (+ 0,2 % par an en moyenne), il a fortement augmenté entre 2005 et 2017 (+ 3,3 % par an en moyenne, soit 2,9 fois plus vite que l’ensemble du parc de logements). Depuis 2017, cette hausse est nettement moindre (+ 0,8 % par an en moyenne) : l’évolution du nombre de logements vacants est désormais comparable à celle de l’ensemble du parc.
Si ces logements pourraient a priori accueillir des ménages, la réalité est plus complexe. En particulier, ils ne sont pas nécessairement localisés là où les ménages souhaitent s’installer. Entre 2009 et 2020, la vacance a tendance à augmenter davantage dans les départements où le taux était déjà élevé. Les départements ruraux de France métropolitaine situés le long de la diagonale des faibles densités, allant de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne au nord jusqu’au Massif central, ainsi que l’Orne, sont particulièrement touchés par la vacance en 2020 et l’étaient déjà en 2009. Globalement, la vacance est plus forte dans des zones où le marché immobilier est peu tendu : dans les espaces les moins denses en population, en dehors des aires d’attraction des villes, ainsi que dans les aires de moins de 200 000 habitants.
À l’inverse, elle reste plus faible dans les aires d’attraction des villes les plus peuplées ou dans les territoires en croissance démographique. Au sein des agglomérations, la vacance est plus fréquente dans les communes centres que dans les périphéries.
Il convient également de distinguer la vacance « frictionnelle », période limitée durant laquelle un bien reste en vente ou disponible à la location entre deux occupations, de la vacance « structurelle », souvent plus longue. La première est par nature temporaire et nécessaire au fonctionnement du marché immobilier.
Les politiques publiques cherchent à réduire la vacance structurelle avec le double enjeu de garantir l’accès au logement pour tous et d’optimiser l’aménagement du territoire en limitant l’artificialisation des sols liée à de nouvelles constructions. Cependant, les logements vacants depuis plus d’un an ne sont pas forcément mobilisables facilement. En effet, ils sont plus souvent situés dans des territoires peu attractifs où les prix de l’immobilier sont moins élevés, signe que les marchés locaux du logement y sont peu tendus. Ils sont aussi plus anciens et nécessitent potentiellement d’importants travaux de rénovation, ou encore plus petits.
Quels besoins en logements à l’avenir ?
Au 1er janvier 2023, 31 millions de logements sont des résidences principales. L’évolution du parc de logements doit tenir compte des évolutions de la population ainsi que des modes de vie. Aujourd’hui, pour loger un nombre d’habitants donné, il faut plus de logements que par le passé. En effet, les modes de vie évoluent : les personnes se mettent en couple plus tardivement, les couples se séparent plus fréquemment et la population vieillit. Le nombre d’occupants par logement baisse : il est en moyenne de 2,2 personnes par logement en 2020, contre 2,7 en 1982.
Dans les prochaines décennies, si les tendances démographiques récentes se poursuivaient, le nombre de ménages continuerait d’augmenter en France, mais de manière moins marquée4. Selon les scénarios, il y aurait entre 32 et 36 millions de ménages en 2050, contre 30 millions en 2018. Dans le scénario central, le nombre de ménages augmenterait continûment, en moyenne de 0,42 % par an sur la période, soit deux fois moins vite qu’entre 2008 et 2018. Cette décélération serait surtout visible après 2030, avec une croissance annuelle de 0,25 % entre 2030 et 2050, après + 0,70 % entre 2018 et 2030. La part des adultes vivant seuls ou en famille monoparentale continuerait d’augmenter, au détriment de celle des couples. Le nombre de ménages diminuerait dans 13 départements, pour la plupart situés le long de la diagonale des faibles densités. Ces projections reposent sur des hypothèses quant à l’évolution de l’espérance de vie, de la fécondité ou encore du solde migratoire avec l’étranger.
Ce n’est pas le seul facteur susceptible d’affecter la situation du logement dans les prochaines décennies : outre les évolutions démographiques, les tensions sur les logements seront aussi sous l’influence des enjeux environnementaux et des évolutions législatives qu’ils induisent, comme la politique de zéro artificialisation nette ou encore l’obligation progressive de rénovation énergétique des logements énergivores mis en location. Les équilibres territoriaux pourraient également être modifiés à l’avenir en cas d’évolution du marché de l’emploi, avec le développement du télétravail ou encore avec l’accroissement des risques naturels.