Le logement, en cumulant différentes fonctions, influence l’économie et divers domaines sociaux. Comprendre le marché du logement est alors indispensable pour relever l’ensemble des défis de notre société. Guillaume Chapelle illustre cette importance à travers trois exemples, issus de la recherche, éclairant ses impacts sur le marché du travail, les inégalités scolaires et la richesse nationale.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
Un bien de consommation qui reflète l’évolution des salaires et influence le fonctionnement du marché du travail
Le logement procure un service essentiel : en effet, la quasi-totalité des ménages et des travailleurs occupe un logement. De plus, les dépenses qui y sont associées représentent environ 30 % de leur budget. Le service rendu par le logement est mesuré par le loyer acquitté par les ménages locataires ou économisés par les propriétaires. La mise à disposition de données françaises sur les prix et les loyers a permis de mettre en avant son lien étroit avec les dynamiques du marché du travail.
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Friggit, Jacques. « Évolution du prix de l’immobilier d’habitation de 1936 à 2012 en France et de 1200 à 2012 à Paris. » Report, Ministère de l’écologie et du développement durable (2012).
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Combes, P. P., Duranton, G., & Gobillon, L. (2019). The costs of agglomeration: House and land prices in French cities. The Review of Economic Studies, 86(4), 1556-1589.
Tout d’abord, sur le temps long, les loyers évoluent à un rythme proche de celui des revenus1. De plus, les revenus du travail et le coût du logement augmentent dans les mêmes proportions avec la taille des agglomérations2. Ainsi, l’augmentation du coût du logement peut compenser les inégalités territoriales observées sur le marché du travail.
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Wasmer, E., & Eymeoud, J. B. (2016). Vers une société de mobilité, Les Presses de Sciences Po, Paris.
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Chevalier, C. M., & Lardeux, R. (2017). Homeownership and labor market outcomes: disentangling externality and composition effects (No. g2017-09). Institut National de la Statistique et des Études Économiques.
À court terme, les fluctuations immobilières peuvent également perturber le fonctionnement du marché du travail. Ainsi, il a été montré que les marchés du logement les plus tendus souffraient d’un déficit de main d’œuvre jeune. Ce phénomène peut s’expliquer par l’effet repoussoir de marchés où des loyers trop élevés viennent bloquer l’accès des jeunes actifs aux agglomérations dynamiques3. Ces différents exemples montrent qu’il existe donc des liens étroits entre le marché du logement et du travail qu’il conviendrait d’explorer davantage. Par exemple, différentes études ont mis en avant une corrélation entre le taux de propriétaires et le chômage4. Ce phénomène reste encore difficilement compréhensible et mériterait d’être exploré.
Une localisation et un toit, sources d’inégalités entre les ménages
Lorsque nous choisissons un logement, deux critères majeurs viennent guider notre choix : l’emplacement du logement (la distance jusqu’au lieu de travail, la sécurité, les écoles, les commerces à proximité …) et ses caractéristiques (luminosité, isolation, nombre de pièces…). Un logement est donc un terrain et une structure, chaque aspect affecte différemment les ménages et peut renforcer les inégalités. L’influence du logement sur les résultats scolaires permet d’illustrer l’importance de ces deux facettes.
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Goux, D., & Maurin, E. (2005). The effect of overcrowded housing on children’s performance at school. Journal of Public economics, 89(5-6), 797-819.
Tout d’abord, la nécessité de rénover les bâtiments afin de supprimer les passoires thermiques est venue rappeler l’importance de la qualité du bâti dans la transition écologique. Mais la précarité énergétique, qui peut avoir des répercussions sur la santé des ménages, n’est pas la seule conséquence d’un logement inadéquat ou vétuste. En effet, des études ont également montré que les enfants de ménages modestes contraints de vivre dans des logements trop petits et suroccupés connaissent une baisse de leurs résultats scolaires5.
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Goux, D., & Maurin, E. (2007). Close neighbours matter: Neighbourhood effects on early performance at school. The Economic Journal, 117(523), 1193-121.
Par ailleurs, nos grandes villes sont souvent marquées par de forts clivages entre les quartiers et les communes qui les composent. Ainsi, de nombreuses zones populaires concentrent chômage, pauvreté et échec scolaire à l’instar des zones urbaines sensibles (ZUS). Dans ce contexte, la localisation d’un logement devient un facteur fondamental d’inégalités puisqu’elle influence la réussite des enfants par les effets de pairs, le nombre d’élèves en échec dégradant les résultats de l’ensemble d’une classe6.
50 % de la valeur d’un bien provient de son terrain, contre 20 % à la fin des années 1990
GUILLAUME CHAPELLE
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Carbonnier, C. (2007). Who pays sales taxes? Evidence from French VAT reforms, 1987–1999. Journal of Public Economics, 91(5-6), 1219-1229.
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Fack, G. (2005). Pourquoi les ménages pauvres paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? Économie et statistique, 381(1), 17-40.
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Bono, P. H., & Trannoy, A. (2019). The impact of the ’Scellier’income tax relief on building land prices in France. Économie et statistique/Economics and Statistics, (507-508), 91-114.
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Guyon, N. (2016). Étude des effets de la rénovation urbaine sur l’évolution du bâti et du peuplement dans les quartiers ciblés entre 2004 et 2013. Sciences Po. ; Chapelle, G., Gobillon, L., & Vignolles, B. (2022). Public housing development and segregation: Sru law in france. Centre for Economic Policy Research.
L’exemple de l’éducation illustre donc la complexité de la question des inégalités de logement. Il semble important de renforcer les efforts de recherche pour en décrire toutes les conséquences. Il convient également d’évaluer les politiques mises en place pour améliorer la qualité des logements et le cadre de vie des ménages les plus modestes. Les études actuelles montrent que les politiques visant directement la qualité du bâti peuvent se traduire par des baisses de prix7 ou davantage de rénovations. En revanche, les politiques subventionnant directement la consommation ou l’achat de logements, telles que les aides personnelles au logement ou l’investissement locatif, semblent avoir augmenté les loyers8 ou les prix du foncier9 sans stimuler la production de nouveaux logements. Enfin, les quotas minimums de logements sociaux au niveau des municipalités ou les programmes de renouvellement urbain, ne trouvent pour le moment qu’un effet très modeste sur la ségrégation10. Des travaux ultérieurs devront évaluer plus précisément l’efficacité de ces dispositifs et identifier les solutions les plus pertinentes.
Un produit d’investissement qui explique la hausse de la richesse française
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Trannoy, Alain, and Étienne Wasmer. Le grand retour de la terre dans les patrimoines : et pourquoi c’est une bonne nouvelle !. Odile Jacob, 2022.
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Bonnet, O., Chapelle, G., Trannoy, A., & Wasmer, E. (2021). Land is back, it should be taxed, it can be taxed. European Economic Review, 134, 103696.
Dans son ouvrage « Le Capital au XXIe siècle », Thomas Piketty a attiré l’attention médiatique sur le « retour du capital » qui représente désormais 6 années de produit intérieur brut. Or, il s’avère que cette augmentation significative de la richesse française s’explique en quasi-totalité par une augmentation de la valeur des logements. En effet, le logement est également un actif qui constitue le premier produit d’épargne des Français et près de 50 % de la richesse nationale. Ainsi, alors que les loyers ont connu une dynamique relativement proche de celle des revenus, les prix de l’immobilier ont connu une hausse soutenue générant une revalorisation de l’ensemble du patrimoine immobilier. Les chercheurs avancent que cette hausse des prix pourrait être le résultat d’une baisse des taux d’intérêt et de la flexibilisation des conditions d’emprunt ayant soutenu la demande combinée à un manque de réactivité de la production de logements neufs11. Des recherches ont permis de confirmer partiellement ce diagnostic en montrant le manque de réactivité de l’offre par rapport à d’autres pays tels que les États-Unis. De plus, il est possible de répartir statistiquement la valeur des logements entre la structure bâtie et les terrains. Cette décomposition révèle que la croissance des prix de l’immobilier est principalement tirée par les terrains qui représentent désormais 50 % de la valeur des logements alors qu’ils n’en représentaient que 20 % à la fin des années 1990. La hausse de la richesse observée depuis les années 2000 est donc une richesse foncière qui pourrait constituer une base fiscale intéressante car elle ne peut pas être déplacée et n’est pas le fruit d’un effort individuel qui pourrait être découragé par la fiscalité. Elle pourrait donc constituer une base fiscale idéale pour subventionner des politiques publiques12.
Le logement, un reflet des défis de notre économie
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Lévêque, C. (2020). Political connections, political favoritism and political competition: evidence from the granting of building permits by French mayors. Public Choice, 184(1), 135-155.
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Mauroux*, A. (2014). Le crédit d’impôt dédié au développement durable : une évaluation économétrique. Économie et Prévision, (1-2), 89-117.
Ces trois exemples ont permis de montrer la manière avec laquelle l’économie du logement pouvait éclairer le fonctionnement plus global de notre société. Ainsi, la recherche en économie du logement connaît un essor important et permet de nous aider à préparer l’avenir. Outre le marché du travail, l’éducation ou les inégalités, étudier le logement nous permet également d’éclairer l’influence de la politique sur l’économie13 Ces trois exemples ont permis de montrer la manière avec laquelle l’économie du logement pouvait éclairer le fonctionnement plus global de notre société. Ainsi, la recherche en économie du logement connaît un essor important et permet de nous aider à préparer l’avenir. Outre le marché du travail, l’éducation ou les inégalités, étudier le logement nous permet également d’éclairer l’influence de la politique sur l’économie14. C’est donc un domaine de recherche en ébullition qui irrigue l’ensemble de l’économie.