Entre 2015 et 2022, les prix de l’immobilier en France ont bondi de 27 %. Cette hausse, plus rapide que l’évolution des salaires ou du PIB, n’a pas affecté de la même façon tous les Français, pénalisant d’abord les jeunes. En proposant une taxation du foncier urbain et périurbain, Alain Trannoy dessine une solution pour réduire les prix du sol et favoriser l’accès à la propriété pour les jeunes primo-accédants.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
A-t-on raison de parler d’une explosion des dépenses de logement ?
On a tendance à décrire une situation apocalyptique, alors que « l’explosion » ne concerne qu’une minorité de la population. Si on s’intéresse à la période post 2019, il faut d’abord rappeler que pour les propriétaires occupants et les propriétaires qui ont emprunté avant 2021, rien n’a changé et les choses se sont même améliorées pour les seconds, car la charge de remboursement d’emprunt rapportée au salaire s’est allégée. Le montant des annuités est resté le même alors que l’augmentation des salaires a été supérieure à 2 % par an, même si elle n’a pas suivi l’inflation dans la plupart des cas. Une autre catégorie relativement peu impactée a été les locataires du parc social, les loyers progressant moins vite que l’inflation. L’indice de référence des loyers (IRL) qui sert de référence pour l’augmentation maximale des loyers que l’on peut appliquer pour les baux existants n’a progressé que de 9 % sur 4 ans du dernier trimestre 2019 au dernier trimestre 2023. La progression de cet indice a été freinée par le « bouclier loyer » qui a visé à plafonner à titre temporaire la variation de l’IRL du troisième trimestre 2022 au premier trimestre 2024. Mais, curieusement, cette constatation favorable s’étend aussi aux locataires du parc privé qui occupaient déjà leur logement puisque selon l’Insee la progression des loyers effectifs (tous parcs confondus) entre fin 2019 et fin 2023 n’a été que de 4,2 % ! Ainsi l’augmentation effective des loyers a été inférieure de moitié à l’augmentation permise par l’IRL. Au moment où les charges de chauffage et d’énergie ont explosé, les propriétaires ont dû consentir des augmentations de loyer de l’ordre de 1 % par an. On ne le dit pas assez.
Quelles sont les catégories les plus affectées par la hausse des prix ?
Ce sont évidemment les primo-accédants puisque les prix de l’immobilier ont augmenté beaucoup plus vite que les salaires. Les salariés ont dû consacrer beaucoup plus d’années de salaire pour acquérir leur logement sauf s’ils ont été aidés par leurs parents, ce qui suppose que ceux-ci soient en mesure de les aider. Cette tendance a été compensée après 2015-2016 par la baisse des taux des emprunts immobiliers encouragée par la politique de rachats d’actifs de la BCE et la baisse des taux d’intérêt et cela a concerné tous les emprunteurs de 2015 à avril 2022. Depuis, c’est un peu la double peine, des prix et des taux élevés.
Comment la hausse des prix s’est-elle répercutée sur le marché locatif ?
Les primo-accédants post-2022 ont pris de plein fouet l’augmentation des taux d’intérêt qui a été multipliée par un facteur 4, passant de 1 % en avril 2021 à 4 % en mars 2024 et le durcissement des conditions de crédit. En face, il y a certes une baisse des prix qui atteint 10 % en euros constants, ce qui n’est pas négligeable mais qui ne compense pas la baisse de la capacité à emprunter. Du coup, nombre de locataires qui voulaient acheter ont dû remiser leur désir de devenir propriétaire à plus tard et cela a contribué à étrangler le marché de la location. Faute de sortie du statut d’occupation en location, c’est la croix et la bannière pour trouver un logement en location dans les zones tendues pour les nouvelles cohortes de jeunes adultes qui sont arrivées sur le marché depuis 2021. Mais notez bien que ce déséquilibre ne s’est pas traduit par une hausse des loyers mais simplement par une augmentation de la liste d’attente pour trouver un logement. C’est une situation de déséquilibre à prix fixe selon la terminologie des années 1980. Le relatif faible rendement locatif pousse également les propriétaires à se reporter sur la satisfaction de la demande touristique dans les zones où une telle demande existe qui est beaucoup plus lucrative.
Comment expliquer que, ces 30 dernières années, les dépenses de logement aient augmenté plus rapidement que les revenus des ménages ?
Ici l’échelle de temps est différente. Depuis 1995, la France a connu un bond des prix immobiliers dans l’ancien et dans le neuf qui a été essentiellement porté par les prix du sol urbain. La responsabilité de l’augmentation des coûts de la construction est bien moins importante, même si sur l’année 2022, c’est l’inverse qui s’est produit. Sur cette période les prix ont évolué beaucoup plus vite que le PIB en valeur. En revanche, les loyers n’ont pas augmenté plus vite que le PIB depuis 1995. Cela a entraîné mécaniquement un déclin du taux de rendement de l’investissement locatif. Alors qu’il pouvait atteindre 6 % dans les années 70, il a diminué de moitié pour n’être plus que de 3 % dans la décennie 2010.
Locataires vs propriétaires : qui sont les gagnants ?
Les jeunes actifs sont les plus affectés par la hausse du prix du foncier. On retrouve un clivage classique jeunes-vieux où les plus de 60 ans sont propriétaires à plus de 70 % et la valeur de leur actif a progressé, alors que les jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail galèrent pour constituer le leur. La probabilité de devenir propriétaire sachant que ses parents l’étaient déjà n’était que de 5 points supérieure à celle de devenir propriétaire sachant que ses parents étaient locataires dans les années 1990. Vingt ans plus tard, l’écart de probabilité atteint 15 points. L’inégalité des chances de devenir propriétaire s’est considérablement renforcée.
« Les plus de 60 ans sont propriétaires à plus de 70 %. »
Alain trannoy
Comment utiliser la fiscalité pour lutter contre ces inégalités ?
Notre système fiscal taxe beaucoup les salaires à travers les cotisations sociales (à part les smicards). Il préserve la rente foncière et en particulier les plus-values foncières sont très peu taxées alors qu’elles ne proviennent pour la plupart que d’effets d’agglomération ou de politiques publiques visant à améliorer les services publics locaux dans le voisinage. Le propriétaire n’y est pratiquement pour rien si le foncier sous-jacent prend de la valeur. Avec Étienne Wasmer, nous argumentons dans un livre (Le Grand Retour de la Terre dans les Patrimoines, Odile Jacob, 2022) que ce traitement fiscal est particulièrement préjudiciable à l’efficacité économique mais aussi accroît les inégalités. Une taxe à 2 % de la valeur du foncier urbain et périurbain – le sol agricole n’est pratiquement pas taxé et la réaction des agriculteurs en janvier 2024 montre qu’il sera difficile qu’il en soit autrement – qui remplacerait toutes les taxes immobilières existantes permettrait de faire baisser le prix du sol dans toutes les zones urbaines et périurbaines pour le plus grand bénéfice des jeunes primo-accédants.
Comment se traduisent ces inégalités dans le « reste à vivre » des ménages ?
Les travaux que j’ai menés à France Stratégie avec Pierre-Yves Cusset conduisent à penser que les écarts de reste à vivre (revenus moins dépenses de logement, transport et alimentation) sont peu importants dans la France de province pour des revenus modestes (inférieurs ou égaux au salaire médian). En revanche, habiter la région parisienne impacte négativement le reste à vivre. Pour un homme seul de niveau de vie médian, locataire dans le parc privé, le reste à dépenser moyen se situe autour de 615 euros par mois dans la plupart des régions. Une localisation dans l’Ouest de la France permet un gain moyen de 35 euros par mois alors qu’une localisation en région parisienne fait diminuer le reste à dépenser de 80 euros par mois.