Pour Pierre-Yves Geoffard il est nécessaire d’aller au bout de la logique de cette loi de santé.
L’Assemblée nationale a adopté en première lecture la loi santé. Plus que beaucoup de lois précédentes, ce texte vise à transformer en profondeur le système de soins. Le rôle du médecin devrait en être affecté. Des pertes significatives de monopole sur des actes physiques ou des éléments immatériels sont prévues, avec toutefois des points de compensation.
Ainsi, plusieurs reports de tâches vont devenir légalement possibles : les pharmaciens pourront, sans prescription médicale, délivrer certains traitements pour des affections bénignes comme les angines ou les infections urinaires mineures. Ils pourront vacciner. Les sages-femmes verront leurs compétences élargies, avec possibilité de prescription et de vaccination. Les médecins retraités et les internes pourront établir des certificats de décès.
Alors que ces mesures, dont certaines sont en vigueur depuis longtemps dans d’autres pays, pourraient conduire à un allégement des tâches non cliniques ou à faible expertise, certains syndicats les rejettent.
Le monopole (relatif) de l’information saute aussi. Le médecin de famille était traditionnellement dépositaire de toute l’information sur ses patients. Mais cette information était limitée. Elle est aujourd’hui beaucoup plus importante, l’industrie médicale étant une des industries qui produit le plus de données.
Malheureusement, ces données sont excessivement fragmentées et tout l’enjeu est de les mettre en cohérence ou au minimum d’en améliorer l’accès, ce que permet théoriquement le numérique. Maintes fois annoncé, retardé, relancé, puis arrêté de nouveau : cette fois sera-t-elle la bonne pour le passage à l’échelle du dossier médical partagé, composante centrale de l’espace numérique patient ? Celui-ci doit permettre une coordination des professionnels de santé impliqués dans un épisode de soins ou le suivi d’une maladie chronique.
La loi vise également à encourager les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) créées il y a deux ans. L’un des maillons de ces CPTS est la maison de santé pluridisciplinaire, qui pourrait contribuer à capter les patients pour qui la seule mauvaise option est actuellement de se rendre aux urgences hospitalières. De telles structures, associant plusieurs professions de soins, constituent la norme dans de nombreux pays, où elles permettent d’éviter les « déserts médicaux ».
Mais la loi reste encore imprégnée d’une approche « top-down » peu compatible avec la fluidité de l’information et des personnes. En particulier, pourquoi ne pas aller au bout de la logique ? Confier explicitement à ces maisons de santé des missions d’accès pourrait prendre la forme d’un contrat d’objectifs, rémunérant de manière globale l’entité en fonction de la réalisation de ces objectifs, et laissant les professionnels s’organiser de manière adéquate.
Si certains estiment que le paiement à l’acte des médecins leur convient, qu’ils le fassent ; si d’autres préfèrent le salariat, qu’ils soient libres de choisir ce modèle. Si certains jugent que certaines fonctions, notamment administratives, gagneraient à être assumées par du personnel non médical, qu’ils recrutent de tels profils. Et ainsi de suite. C’est au plus près du terrain que l’information a le plus de valeur. Ce qui manque souvent aux acteurs est la souplesse nécessaire pour adapter la structure aux besoins de la population couverte, lesquels besoins sont variables d’un territoire à l’autre.