Présenté et adopté en Conseil des ministres vendredi 24 janvier, le projet de loi réformant les retraites sera débattu au Parlement à partir de février. La place de la retraite par capitalisation fait toujours débat. Alain Trannoy explique pourquoi ce mode de financement, considéré comme individualiste, peut avoir aussi des vertus collectives.
La réforme des retraites inquiète. Certes, la communication du gouvernement, à ce sujet, a été pour le moins hasardeuse. Même le Conseil d’Etat s’en étonne. Mais ce n’est pas la seule raison. Il est normal que l’avenir inquiète car il est, par définition, incertain. Or, la retraite, qu’elle provienne d’un système par répartition ou d’un système par capitalisation, repose fondamentalement sur un pari.
Pour le premier type de retraite, la société parie sur la croissance, et dans la réforme Delevoye-Philippe uniquement sur la croissance des salaires. Le fonds de pension parie sur le rendement des actifs qu’il possède. La seconde source d’incertitude provient de l’horizon très lointain : au moins quarante ans après le début de la vie active, la retraite en moyenne s’écoule sur vingt ans. Pratiquement, le double de l’horizon des prêts immobiliers les plus longs. Faire un pari à cet horizon entre 2060 et 2080 comporte, on l’admettra, une bonne dose d’incertitude.
Quelles sont les certitudes à propos de la réforme en régime permanent, hors période transitoire qui va durer pratiquement quarante ans ? Premièrement, la partie contributive des retraites est assise sur une contribution de 25,3% du salaire brut sur l’ensemble des salaires cotisés au cours d’une vie. Ensuite, le calcul du nombre de trimestres est enterré. Enfin, l’âge à partir duquel on pourra partir sans décote sera au moins de 65 ans. Comme la période de cotisation (au moins 40 ans) est le double de la période de versement de la retraite (aux alentours de 20 ans), le taux de remplacement moyen tournera autour de 50 % du salaire brut, soit 64% du salaire net. Ceci en considérant un environnement économique globalement constant.
La réforme conforte le système de répartition en l’asseyant sur des bases claires, sauf pour une catégorie de salariés : ceux qui gagnent plus de 10 000 euros. Le nouveau système ne leur en garantit que 64%. Pour la tranche de salaire au-delà de 10 000 euros, ces salariés contribuent au nom de la solidarité à hauteur de 2,8%, sorte de CSG qui ne dit pas son nom.
Ces 2,8% ne donnent droit à aucune contrepartie en termes de retraite. En conséquence, ces salariés au nombre de 300 000 (1% des salariés), sont explicitement invités à s’orienter vers les fonds de pension. Dans ce contexte, le succès du lancement du plan d’Epargne retraite (PER), prévu par la loi Pacte, ne va que s’amplifier : 83 490 PER ont été signés entre son lancement, le 1 octobre, et le 31 décembre 2019, pour un encours de 485 millions d’euros.
La capitalisation n’a pas bonne presse en France, en l’associant toujours à l’individualisme. Mais la capitalisation peut aussi être collective, comme l’illustre la Norvège avec un fonds souverain de plus de 1 000 milliards d’euros. Créé en 1990 pour faire fructifier les recettes pétrolières de l’État norvégien, le « Governement Pension Fund-Global » est, depuis, devenu le plus gros fonds souverain au monde.
Plutôt que de dilapider les quelque 130 milliards de fonds de réserve accumulés par les différents régimes pour financer la transition vers le futur régime à points, la France serait bien inspirée de prendre exemple sur la Norvège et de créer un fonds souverain France qui permettrait de financer les retraites à venir, en complément du régime par répartition. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier est un principe élémentaire qui vaut, quel que soit son niveau de revenu ou de richesse.