Le gouvernement défend sa réforme des retraites comme bénéfique pour les femmes, ce que démentent certains syndicats. D’une manière globale, la réforme sera bénéfique à tous les actifs n’ayant pas eu des carrières linéaires et ascendantes. Or les femmes sont surreprésentées dans cette catégorie d’actifs.
Alors que la nécessaire réforme des retraites soulève la contestation dans notre pays, pour le Premier ministre, Edouard Philippe, « les femmes seront les grandes gagnantes » du nouveau régime, ce qui est contesté par des responsables politiques et syndicaux.
Au-delà de la polémique, savoir si en moyenne les femmes vont gagner ou perdre à cette réforme est une question intéressante. Et le seul fait qu’elle soit posée dans le débat public, et utilisée à juste titre par le gouvernement pour défendre son projet, montre le chemin parcouru depuis la mise en place, par une ordonnance du 19 octobre 1945, du régime par répartition des retraites, créé par des hommes, pour des hommes.
Renouvellement des générations
En 1962, à une époque où elles doivent encore demander l’autorisation à leur mari pour travailler, seulement 40 % des femmes entre 30 et 50 ans sont déclarées actives. Aujourd’hui cette proportion est supérieure à 80 %. Non seulement elles participent massivement au marché du travail, mais elles sont également plus qualifiées que les hommes. En 2019, 84 % des filles, contre 74 % des garçons, ont le baccalauréat, et 49 % des femmes de 25 à 34 ans sont diplômées de l’enseignement supérieur contre seulement 38 % des hommes. De fait, la majorité des nouveaux médecins, avocats, juges, enseignants sont, dans notre pays, des femmes.
Ainsi, on pourrait penser qu’avec le renouvellement des générations l’égalité femmes-hommes se fera naturellement en matière d’emploi et de carrière. Et qu’en s’appuyant sur le stock actuel des actifs, les simulations donnent une image pessimiste biaisée, car ancrée dans le passé. Alors, est-ce que le gouvernement a raison de s’inquiéter des femmes ?
Quoique plus qualifiées et actives, elles gagnent en moyenne 16 % de moins que les hommes. Du fait des contraintes de la maternité elles sont plus souvent qu’eux à temps partiel et atteignent moins souvent les postes les plus élevés et rémunérateurs.
Productivité plus faible
Une nouvelle génération d’économistes, issus des meilleures universités mondiales, s’est intéressée à cette question du plafond de verre au sein de leur profession. Si 40 % des postes juniors en économie sont détenus par des femmes en Europe, 20 % seulement d’entre elles deviennent professeure. Aux Etats-Unis les chiffres sont respectivement 30 % et moins de 15 %. Et ils sont stables depuis les années 1990. Ils s’expliquent en partie par une productivité plus faible (les femmes publient moins d’articles en moyenne), mais pas uniquement.
A contribution égale, notamment nombre de publications et de citations, une femme a 20 % de chances de moins d’être promue qu’un homme. Il lui faut en moyenne patienter six mois de plus pour voir ses articles examinés dans les grandes revues, le niveau d’exigence pour la rédaction de ceux-là (évalué par des techniques de « machine-learning ») est supérieur, et si elle travaille en équipe avec des hommes elle n’obtient pas le même crédit qu’eux pour ce travail.
Finalement, sur un forum en ligne censé fournir des informations sur les emplois universitaires, l’analyse du contenu des messages révèle un niveau de sexisme inquiétant de la part de jeunes chercheurs.
Il est difficile de savoir si la même combinaison de différentiel de productivité et de stéréotypes explique le plafond de verre dans les autres professions. Mais la persistance de celui-là nous rappelle que la parité dans les retraites est un sujet d’actualité et qu’un projet qui vise à protéger ceux, et surtout celles, qui ont des carrières hachées doit être salué.