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Une société qui n’a pas confiance dans l’avenir est-elle condamnée à disparaître ? 

La confiance, omniprésente dans nos vies individuelle et collective, est aussi fondamentale qu’elle est insaisissable. Particulièrement cruciale lorsqu’il s’agit de se projeter dans l’avenir et notamment pour fonder une famille, la capacité à croire en un futur stable et porteur est mise à rude épreuve. Michela Marzano détaille l’importance de la confiance interpersonnelle et envers les institutions, et dessine quelques pistes pour la restaurer. 

Comment décririez-vous la confiance  ? 

La confiance occupe une place fondamentale dans nos vies, agissant comme un pilier invisible mais essentiel qui soutient nos actions au quotidien. Chaque geste, même le plus ordinaire, repose sur la confiance : envers soi-même, les autres ou les institutions. En son absence, l’anxiété et l’incertitude prennent le dessus, paralysant nos décisions et nos interactions. Pourtant, malgré son caractère indispensable, la confiance reste fragile. Elle repose sur un pari : celui que l’autre, ou le système auquel nous nous fions, se montrera digne de cette confiance. Faire confiance, c’est accepter un risque, s’exposer à la possibilité d’une déception ou d’une trahison. C’est là que réside le paradoxe de la confiance : elle est à la fois un moteur et une vulnérabilité. Essentielle pour avancer et bâtir des relations, elle porte en elle le potentiel de nous blesser. 

Dans vos travaux1, vous faites le lien entre confiance, développement de la socialité et fonctionnement de la démocratie. Quels sont-ils  ? 

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    « Qu’est-ce que la confiance ? », Etude, 2010/1 Tome 412, p. 53-63

La confiance est une pierre angulaire de la démocratie et de la vie en société, sans laquelle le vivre-ensemble deviendrait difficilement envisageable. En son absence, les relations sociales se fragmentent et risquent de se dissoudre, laissant place à une défiance généralisée, à la peur et à des mécanismes de contrôle excessif. Cela compromettrait non seulement la cohésion sociale, mais aussi les fondements mêmes des institutions démocratiques. La démocratie repose sur une confiance réciproque entre les citoyens et les institutions : un lien essentiel, sans lequel le contrat social perdrait tout son sens. C’est cette confiance qui permet de concilier libertés individuelles et responsabilité collective. En son absence, les promesses, les engagements et les relations interpersonnelles s’effondreraient, menaçant la stabilité sociale et rendant impossible toute forme durable de coopération démocratique. 

Comment transposer cette confiance entre deux individus à l’échelle d’une société  ? 

Au sein d’une société, la confiance ne repose pas uniquement sur les interactions individuelles, mais sur un socle de règles et de valeurs partagées. Elle s’ancre dans des structures sociales et politiques capables de promouvoir la coopération et l’engagement collectif, dépassant ainsi le cadre des relations interpersonnelles. Cette confiance repose sur une réciprocité fondamentale : elle se renforce lorsque les engagements collectifs sont respectés et traduits en actes concrets, comme l’ont montré des penseurs tels que David Hume et Georg Simmel. Cependant, la confiance ne peut être imposée ; elle exige un travail constant d’entretien et de renouvellement, passant par des relations authentiques, des politiques équitables et une responsabilité partagée. 

En quoi la confiance « dans l’avenir » est-elle importante pour un individu ? L’est-elle plus que ses conditions matérielles présentes  ? 

La confiance en l’avenir est essentielle, car elle offre à chacun un sentiment de continuité et d’espoir. C’est cette croyance qui nous permet d’imaginer des projets, de nous y engager et de persévérer malgré les défis du présent. Bien qu’elle transcende souvent les conditions matérielles immédiates, l’insécurité peut l’ébranler, provoquant parfois désillusion et sentiment d’impuissance, notamment face aux inégalités structurelles. Toutefois, la confiance en l’avenir ne se limite ni à une illusion naïve ni à un simple calcul rationnel : elle repose sur une conviction profonde en la possibilité de transformation et d’amélioration. Cette conviction, précieuse dans un contexte d’instabilité sociale et politique, est la source d’énergie indispensable pour concevoir et construire un futur meilleur. 

La peur d’un avenir « incertain » est souvent citée comme une des premières causes à la baisse de la natalité. Quel regard portez-vous dessus ? 

La peur d’un avenir instable pousse de nombreux jeunes à retarder, voire à renoncer, à des projets familiaux. En discutant avec eux, il n’est pas rare d’entendre que le souhait de ne pas imposer des conditions précaires ou incertaines à leurs enfants est un facteur déterminant. Cette réticence traduit un déficit de confiance, non seulement envers les institutions, mais aussi dans les relations humaines les plus profondes, comme l’amitié ou l’amour. La fragilité croissante des liens affectifs et la crainte de l’échec amplifient les hésitations à s’engager dans des projets de vie communs. Ces dynamiques contribuent à l’augmentation de la dénatalité, reflétant un malaise collectif face aux incertitudes de notre époque. 

L’incertitude n’a-t-elle pas toujours fait partie de l’horizon humain ? Comment apprenons-nous à vivre avec  ? 

L’incertitude a toujours été inhérente à la condition humaine. Qu’il s’agisse d’instabilité sociale, de catastrophes naturelles, ou de crises économiques et politiques, elle constitue une réalité intemporelle à laquelle l’humanité s’est constamment confrontée. Ce phénomène n’est donc pas propre à notre époque, mais reflète une constante avec laquelle les sociétés ont appris à composer à travers les siècles. L’un des moyens les plus puissants pour apprivoiser cette incertitude réside dans la capacité humaine à bâtir des systèmes de sens : croyances, rituels, et récits partagés qui canalisent la peur du futur et offrent une boussole face à l’imprévisible. La confiance est au cœur de ce processus. En la cultivant et en la protégeant, tant au niveau individuel que collectif, les êtres humains trouvent une stabilité intérieure, nécessaire pour naviguer dans un monde incertain. 

Comment joue-t-elle sur la volonté des individus de fonder une famille  ? 

L’incertitude, qu’elle soit liée à l’instabilité de l’emploi, aux fluctuations économiques ou aux menaces environnementales, engendre un profond sentiment d’insécurité, rendant plus difficile la perspective de fonder une famille. Cela souligne l’importance cruciale de restaurer et de renforcer la confiance en l’avenir, qui demeure une condition essentielle pour envisager des engagements à long terme. Sans cette confiance, les jeunes générations hésitent à s’investir, redoutant de ne pas pouvoir offrir une sécurité matérielle et émotionnelle suffisante à leurs enfants. Cette réticence dépasse les choix individuels : elle reflète une crise collective de la confiance envers les institutions et les structures sociales, pourtant conçues pour soutenir ces décisions fondamentales. 

Dans votre livre Eloge de la confiance2, vous plaidez pour une « confiance restaurée ». Quels mécanismes pourrions-nous mettre collectivement en place pour atteindre ce but  ? 

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    « Eloge de la confiance », Michela Marzano, Ed. Fayard2012,

Restaurer la confiance exige un effort collectif qui mobilise aussi bien les individus que les institutions. Il s’agit de redonner du sens aux relations humaines, de rétablir la crédibilité des structures institutionnelles et de favoriser une culture d’entraide et de solidarité. Tout d’abord, il convient de mettre en place des mécanismes garantissant l’équité, la reddition de comptes et la clarté des actions entreprises. Ensuite, l’éducation joue un rôle clé : développer des programmes axés sur l’empathie, la coopération et la gestion des conflits dès le plus jeune âge contribuerait à ancrer une culture de la confiance. Enfin, il est indispensable de repenser nos normes sociales et économiques. Les inégalités et une compétition excessive fragilisent souvent la confiance collective. Adopter des modèles davantage centrés sur la solidarité et la coopération pourrait significativement renforcer la cohésion et restaurer la confiance dans la société.  

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