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Bourses : moins d’inflation aux Etats-Unis, donc partout de moindres hausses de taux ?

Jusqu’où les Etats-Unis mèneront-ils la danse de la politique monétaire mondiale ? Jean-Paul Betbeze explique en quoi l’évolution des prix outre-Atlantique pèse sur les choix des grandes banques centrales et directement sur les marchés financiers.

Oui, ce serait la bonne nouvelle qui entrerait dans la tête des marchés. Elle permettrait d’éviter une forte récession, donc soutiendrait les bourses. Ainsi, une inflation américaine plus faible, actuelle et surtout future, mènerait le monde financier. Elle limiterait puis arrêterait l’engrenage inflation-hausse des taux en cours, puis aiderait la reprise, au prix d’une récession bénigne. Aiderait ou aidera ?

De fait, en octobre, l’inflation américaine annuelle s’inscrit à 7,7%, moins que 8,2% en septembre, que 8,3% en août, que 8,5% en juillet et que 9,1% juin, pic de la série. Les marchés financiers poursuivent la tendance. Ils se disent que la Banque centrale américaine (la Fed) ne pourra que décélérer son programme de hausses. Les 13 et 14 décembre, peu probable que 75 points de base soient sa dernière forte hausse de taux pour combattre la montée inflationniste. Parions que va commencer la série de 50 points de base, pour réduire l’inflation peu à peu, dans la durée.

L’énigme de la consommation

Pour autant, rien n’est jamais sûr. D’abord, hors alimentation et énergie, l’inflation américaine demeure à 6,3% sur un an, ce qui reste quand même élevé par rapport à un objectif toujours fixé à 2% ! Surtout, le marché du travail reste tendu, malgré la série de hausses de taux d’intérêt : le taux de chômage est très bas, à 3,7%. Ainsi des tensions salariales demeurent, avec une consommation et donc une croissance toutes deux soutenues.

Cette résilience de la consommation face à l’inflation est l’énigme du moment. Comment la comprendre ? Comment la résorber ? Les ménages américains se disent-ils que cette inflation, qui réduit certes leur pouvoir d’achat actuel, annoncerait de nouvelles hausses de salaires… puisque l’emploi résiste ? Mais ce seraient alors de nouvelles hausses de taux de la Fed… puisque l’emploi résiste ! Telle n’est cependant pas l’idée de la Fed qui prévoit 0,2% de croissance en 2022, avant 1,2% en 2023 : pour elle, l’emploi devrait sinon céder du moins fléchir, donc les salaires et les prix avec.

Les doutes sur la « stratégie Powell »

Si tel est le cas, les marchés vont penser à une série de décélérations douces des salaires et des prix, donc que la stratégie actuelle de taux de la Fed (attaques frontales fortes, puis réduites) fonctionne et pourrait agir sur l’Europe. Mais il n’est pas sûr que la « stratégie Powell » marche aux Etats-Unis, lui qui affirmait qu’il ne serait pas « mou » ou « influencé » par les politiques.

Il ne sera pas comme Arthur Burns, le président de la Fed entre 1970 et 1978, ce qui avait forcé son successeur, Paul Volcker, à agir violemment, tuant l’inflation par la récession. Les marchés vont quand même se demander si « Powell fait assez de Volcker », de façon à retourner les anticipations, même si les rumeurs préparent le terrain à un rythme de hausses de 50 points de base. Surtout, l’interrogation sera plus nette sur un éventuel ralentissement en zone euro, avec des taux d’intérêt à 2% contre une inflation à 10%.

Vers une bifurcation Etats-Unis – Europe ?

Certes, on mettra en avant l’accord signé en Allemagne avec le syndicat IG Metall : une prime de 3 000 euros non imposable, plus 5,2% en juin 2023 et 3,3% en mai 2024. L’idée est de fixer une limite aux demandes d’augmentation, l’inflation allemande étant de… 10,4%, avec promesse d’un calme syndical. Ceci va-t-il suffire ? Car les prix augmentent de 12% en Belgique, 18% en Tchéquie, 24% en Estonie et grimpent en Italie à 9,4% ?

Alors, les marchés vont s’interroger en plus sur une bifurcation entre des taux qui décélèreraient aux Etats-Unis, mais difficilement en zone euro. La BCE restera-t-elle « dure », au risque d’une forte récession ? Plutôt non. La taille de l’ITP (instrument de protection et de transmission), pour assurer « la bonne transmission de l’orientation de la politique monétaire dans tous les pays de la zone euro » sera-t-elle suffisante pour gérer sans casse la décélération ? Oui. Voilà les questions, et les belles réponses, des bourses.

 


 

Jean-Paul Betbeze, Membre émérite du Cercle des économistes

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