" Osons un débat éclairé "

« Climat et prospective agricole »

La préservation de l’environnement et le développement durable seront au cœur de la stratégie de reconquête de l’économie mondiale post-Covid. Pierre Jacquet détaille les critères qui rendent la croissance verte exigeante, notamment la difficulté de combiner préservation des écosystèmes et sécurité alimentaire.

Parmi toutes les implications du changement climatique, l’avenir de l’agriculture tient une place importante. Ce secteur concentre en effet l’essence même du défi écologique de la planète, c’est-à-dire le maintien d’un équilibre durable entre les besoins humains essentiels et l’amélioration de la qualité de vie, d’une part, et la santé des écosystèmes naturels, d’autre part. On oppose trop souvent ces deux dimensions, alors que le vrai sujet consiste à penser et gérer leur interaction.

Le fait est que nourrir l’humanité émet des gaz à effets de serre, parmi lesquels le CO2 (notamment par la déforestation qu’entraîne l’augmentation des surfaces cultivées, mais aussi par l’utilisation d’énergie due à la mécanisation), le méthane (élevage des ruminants), le protoxyde d’azote (utilisation d’engrais). A son tour, le réchauffement climatique, mais aussi les menaces sur la biodiversité, affectent la productivité agricole : modification du volume et profil des précipitations, fréquence plus grande d’événements climatiques extrêmes, détérioration des sols et pertes de rendement, évolution des pathologies et maladies des plantes.

Le progrès technique et les choix de techniques agricoles, notamment agroécologiques, sont l’autre déterminant de la productivité et des émissions. Outre l’évolution de la productivité agricole, des surfaces cultivées, et des implications techniques, l’effet total dépend des besoins et comportements alimentaires, déterminés par la croissance démographique, l’évolution des régimes alimentaires et notamment la nature (animale ou végétale) des protéines consommées et l’attention portée aux implications sur la santé, perçues ou prouvées, et le gaspillage alimentaire, qui représente aujourd’hui dans le monde près d’un tiers de la production. C’est cette interaction multiple et complexe qui est au cœur de la prospective agricole et de la gestion des tensions entre la satisfaction des besoins alimentaires de l’humanité et de la préservation des écosystèmes.

Autant dire que cette prospective est entachée d’incertitudes irréductibles. Faut-il pour autant s’abstenir d’y réfléchir ? Evidemment non, car l’objectif n’est pas de prédire mais de comprendre les défis, de préparer, anticiper et prévenir. Or la réflexion sur les différentes composantes, même imparfaite et limitée par l’insuffisance des connaissances, apporte beaucoup. Par exemple, l’INRAE a produit en 2020 une étude prospective importante sur l’agriculture européenne à l’horizon 2050, à la demande de Pluriagri, et en a étendu l’analyse à l’Afrique à la demande de la fondation FARM. Cette étude, fondée sur une approche de bilan ressources/emplois, met en relief les déterminants de la production et de la consommation. Elle montre la diversité des situations, au sein même de l’Europe (qui devrait être globalement excédentaire en terres cultivables), mais aussi entre les pays développés (où, par exemple, on peut s’attendre à des diminutions des consommations de protéines animales et les pays en développement (où, au contraire, elles devraient augmenter pour satisfaire les besoins).

Ces travaux montrent la possibilité mais aussi la difficulté de combiner préservation des écosystèmes et sécurité alimentaire, confirment de ce fait l’importance des politiques agricoles, du progrès technique, des pratiques alimentaires, et du commerce international, qui restera essentiel pour assurer le lien logistique entre production et consommation et la sécurité alimentaire de l’ensemble des régions, notamment les plus pauvres. Ils fournissent une base essentielle pour réfléchir aux politiques et aux évolutions nécessaires.

La responsabilité des politiques publiques, au niveau national aussi bien que régional et international, est déterminante. Si ces politiques sont mal orientées, l’équilibrage ressources/emplois se fera par l’instabilité et les crises : chocs sur les prix, disettes et famines, crises climatiques, conflits. Il est malheureusement à craindre que la polarisation des débats, le dogmatisme des positions, la sévérité des menaces et la détérioration des relations internationales ne facilitent ni la compréhension de la complexité ni l’élaboration d’attitudes et de politiques adaptées.

 

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