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Conséquences économiques et financières d’une détérioration de la situation au Moyen-Orient

Les indicateurs d’incertitude économique et de risque géopolitique ont à nouveau bondi ce mois-ci avec le regain de tensions au Moyen-Orient. Philippe Trainar explique pourquoi un nouveau choc sur les prix du pétrole ne serait pas sans conséquences, notamment sur les taux d’intérêt et les finances publiques

Les conséquences des tensions au Moyen-Orient pour les économies développées sont difficiles à estimer. Une chose est à peu près sûre, c’est que les perspectives de meilleure protection stratégique de l’Arabie-Saoudite vis-à-vis de l’Iran semblent s’éloigner tandis que le Liban apparaît plus que jamais au cœur de la rivalité entre Israël et l’Iran.

Sur le plan politique, cette déstabilisation du Moyen-Orient risque d’affecter la sécurité de la Méditerranée, du canal de Suez et du golfe persique, et de provoquer une nouvelle vague de terrorisme en Europe. Sur le plan économique, l’ensemble de ces tensions se coagulent au niveau des prix du pétrole qui pourraient s’envoler, en raison de la spéculation financière, d’une baisse de la production saoudienne ou d’un blocus plus ou moins explicite du détroit d’Ormuz. En termes de gestion des risques, et même si les évolutions récentes vont plutôt dans le sens opposé, il est donc judicieux de se demander quelles pourraient être les conséquences d’une envolée des prix du pétrole dans les semaines à venir, et de s’y préparer.

Conséquences potentielles d’une hausse brutale du prix du pétrole

Afin de fixer l’ordre de grandeur des conséquences potentielles d’une hausse brutale du prix du pétrole, on peut simuler, à l’aide d’un modèle macroéconomique international comme le modèle NIGEM, du National Institute for Economic and Social Research, un choc mondial durable de 30$ sur le prix du baril de pétrole à partir du quatrième trimestre 2023 (par rapport à un prix actuel de l’ordre de 80$), choc qui en entraînerait un autre d’ampleur similaire sur le gaz, et moindre sur le charbon (de l’ordre de 3$ par tonne de charbon).

Cette simulation fait ressortir que les conséquences du choc ne se font pas immédiatement sentir. Elles mettent même plusieurs trimestres à se faire pleinement sentir. Typiquement, ces conséquences sont maximum sur l’inflation et l’activité au troisième trimestre 2024. Elles ne se font sentir pleinement sur les déficits publics que plus tardivement, vers la mi-2025, en raison des délais nécessaires à l’adoption des décisions d’ordre budgétaire. Elles se font en revanche sentir beaucoup plus rapidement sur les taux d’intérêt des banques centrales, dès le premier trimestre 2024 si l’on retient l’hypothèse de banques centrales crédibles.

Inflation jusqu’en 2026

L’accélération de l’inflation est relativement homogène d’un pays à l’autre, de l’ordre de 2 points à son maximum, au troisième trimestre de 2024 et elle ne se résorbe que très progressivement pour ne disparaître qu’entre la fin 2025 et le début 2026. Le ralentissement de l’activité qui en résulte est en revanche beaucoup moins homogène, le taux de croissance du PIB perdant à son point maximum, au troisième trimestre 2024, entre 1 point aux États-Unis qui est une économie flexible, et ½ point au sein de la zone Euro, qui est une économie moins flexible (0,8 point en France). Il se résorbe progressivement pour disparaître au premier semestre 2026.

Le creusement des déficits publics, mesuré en pourcentage du PIB, est aussi très hétérogène à son point maximum, reflétant l’hétérogénéité des situations et contraintes pesant sur les finances publiques des différentes zones. Il varie ainsi de 0,3 point de PIB pour la zone Euro, habituée à des finances publiques peu anticycliques, à 1,2 point de PIB au Royaume-Uni, en passant par 0,5 point pour la France et les États-Unis. Quel que soit le pays, le creusement des déficits publics a tendance à persister sur le long terme, alimentant la dynamique de la dette publique au niveau mondial et fragilisant par là-même un peu plus l’économie mondiale.

Quant aux taux d’intérêt de la politique monétaire, ils réagissent comme la résultante de ces différentes évolutions. Ils commencent par s’envoler dans les mois qui suivent le choc. La hausse atteint un point maximum de 1,2 point de PIB au sein de la zone euro et 1,5 point de PIB aux États-Unis dès le premier trimestre 2024. Elle ne se résorbe ensuite que très progressivement, et début 2026 elle se situe encore aux environs de ½ point de PIB.

Un choc économique et financier majeur

Loin d’être un événement anodin, une hausse du prix du pétrole de 30$, qui reste une hausse d’ampleur raisonnable, constitue donc, aujourd’hui encore, après plusieurs années de réduction de l’élasticité de nos économies au prix du pétrole, un choc économique et financier majeur dont les conséquences sur l’inflation, l’activité, les finances publiques et les taux d’intérêt sont loin d’être négligeables, d’autant qu’elles ont tendance à persister pendant de longs mois, de l’ordre de près de 24 mois pour l’inflation et de 30 mois pour l’activité, voire de longues années, pour les finances publiques et les taux d’intérêt.

Les investisseurs et les décideurs qui cherchent actuellement à se protéger contre l’éventualité d’un tel choc ont donc raison. De ce point de vue, on peut craindre que les marchés ne soient actuellement trop optimistes et qu’ils ne soient guère couverts contre l’hypothèse d’un dérapage des tensions aux Moyen-Orient qui entraînerait une envolée durable des prix du pétrole.

 


 

Philippe Trainar, Membre du Cercle des économistes, Professeur honoraire au CNAM – Chaire Assurance, Directeur de la Fondation SCOR pour la Science

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