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Crise énergétique : le retour du pétrole à l’avant-scène ?

Avec l’actualité liée aux livraisons de gaz et la flambée des prix de l’énergie, la question du pétrole apparaîtrait presque au second plan. Pour Patrice Geoffron, il n’en est rien. L’économiste explique pourquoi l’or noir va très vite réapparaître comme un sujet majeur

Lors de la réunion de l’OPEP tenue à Alger, il y a six ans presque jour pour jour, étaient envisagés les termes d’une alliance élargie aux « non-OPEP » (schématiquement, la Russie et certains de ses satellites) de façon à regagner en efficacité dans le contrôle des prix. L’objectif était de contrer l’effondrement de 2014, notamment sous l’effet de la montée en puissance des productions américaines de pétrole de schiste. Depuis, cette alliance saoudo-russe a été mise à l’épreuve de la crise Covid (avec la chute libre des cours lors des confinements du printemps 2020), puis du conflit en Ukraine, et perdurant malgré ces chocs de nature à exacerber des intérêts pas toujours convergents (en particulier, quant à la relation avec les États-Unis).

L’OPEP+ va baisser sa production de pétrole

C’est à un nouveau stress-test que sera soumise cette coalition composée de 23 pays, dite « OPEP+ », appelée à se réunir le 5 octobre à Vienne, en physique pour la première fois depuis deux ans, sans doute pour solenniser les décisions à venir. Avec l’impératif de diminuer sensiblement cette fois les volumes pour contrer la baisse de la demande induite par l’accumulation des incertitudes sur la croissance mondiale : prolongement de effets de la guerre en tout premier lieu, extension sine die de la crise sanitaire en Chine, resserrements des politiques monétaires…

Face à cette configuration sans précédents historiques, le prix du Brent avoisine les 85 $ par baril, après avoir dépassé la barre des 120 $ à l’abord de l’été, naviguant en basses eaux, dans un monde pourtant en crise énergétique. Par comparaison, à contenu énergétique équivalent au pétrole, le gaz est environ quatre fois plus cher en Europe (et même trois fois plus cher en Asie). Pour contrarier cette érosion, une réduction des volumes de un million de barils par jour est envisagée, soit environ 1% de la production mondiale, inversant nettement une politique d’accroissement prudent des flux depuis deux ans.

Un équilibre difficile pour Riyad entre Russie et États-Unis

Si l’ensemble de la coalition s’inquiète des risques de récession et de l’effet sur le cours du pétrole, du côté de la Russie il y a urgence à faire remonter les prix pour contrebalancer partiellement les ristournes (de l’ordre de 30%) accordées pour écouler son brut et ses carburants. Mais un rebond de l’or noir mettrait encore plus en tension les relations américano-saoudiennes, le prix des carburants aux États-Unis étant une variable très sensible à l’abord des élections de mi-mandat. On se souvient que le président Biden s’était rendu à Ryad en juillet dernier dans l’espoir d’une augmentation de la production et pour tenter de distendre la solidarité au sein de l’OPEP+ entre Saoudiens et Russes. Malgré ces efforts pour éroder la solidarité interne à la coalition, Riyad s’en est tenu à prôner une gestion « clinique » de l’équilibre entre l’offre et la demande, avec pour but de ne pas descendre sensiblement sous la barre des 90 $.

Le pétrole russe face à l’embargo européen

Toutefois, et quelles que soient les mesures finalement arrêtées cette semaine, l’essentiel se jouera avec l’entrée en vigueur de l’embargo européen sur le pétrole russe à partir de décembre. Même en maintenant d’indispensables ristournes, il est certain que l’intégralité des exportations russes ne trouvera pas de débouché ; notamment si est appliquée une interdiction d’assurance des pétroliers issus des ports de Russie. Comme ces dernières années les investissements à l’amont pétrolier ont diminué, rien ne garantit que ces « barils manquants » soient compensés par d’autres producteurs de l’OPEP+ (l’Arabie saoudite alertant également sur la limite de ses propres marges de manœuvre). C’est sans doute même l’avenir de l’OPEP+ qui est en jeu, car on voit mal cette coalition garder un réel pouvoir de régulation si l’un de ses deux leaders est sous forte contrainte d’embargo.

Si l’attention des Européens est actuellement consacrée à tenter de limiter les prix du gaz et de l’électricité à l’abord de l’hiver, celui du pétrole pourrait s’inviter à l’agenda dans les mois à venir. Et au cahier des charges des indispensables efforts de sobriété dans l’UE.

 


 

Patrice Geoffron, membre du Cercle des économistes et Professeur à l’université Paris-Dauphine

 

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