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Doit-on craindre le durcissement des politiques monétaires ?

A l’issue d’une réunion programmée jeudi 2 février, la Banque centrale européenne va très probablement de nouveau relever ses taux d’intérêt et laisser entrevoir d’autres hausses face à une inflation qui reste forte. Alors que certains s’inquiètent de la hausse des taux, Jean-Paul Pollin explique pourquoi, selon lui, il n’y a rien à craindre du durcissement actuel des politiques monétaires.

Certains s’inquiètent du relèvement des taux d’intérêt orchestré par toutes les autorités monétaires des pays avancés. Ils font valoir que cela risque de déclencher une récession globale à un moment inopportun et d’aggraver les contraintes de finances publiques, alors que se présentent de lourdes nécessités d’investissements publics.

Le premier rempart contre l’inflation

Pourtant, l’action des banques centrales, qui est aujourd’hui le seul véritable rempart contre l’inflation, semble conduite de façon raisonnable, sans excès, peut-être même avec une certaine timidité dans le cas de la zone euro. Un peu plus d’un an après avoir commencé à normaliser leurs politiques, leurs taux directeurs se situent à des niveaux qui n’ont rien d’exceptionnel. Aux Etats-Unis ils sont maintenant à peu près à la hauteur de l’inflation sous-jacente, tandis que dans la zone euro ils sont encore bien en dessous (2,5% contre 6%). Alors que l’inflation atteint un niveau inconnu depuis des décennies les taux d’intérêt réels sont donc encore faibles voire négatifs. Peut-on dans ces conditions parler de politique restrictive ?

Ajoutons à cela que certains responsables de la BCE affirment que les taux directeurs devraient bientôt parvenir à leur maximum (4% ?), avant de redescendre avec l’inflation pour arriver à leur niveau neutre estimé autour de 2,5%. Ce qui, en admettant que l’on revienne à l’objectif d’inflation de 2%, porterait le taux réel à moins de 1%. Tout se passe donc comme si les autorités monétaires, comme leurs critiques, considéraient qu’il est normal que les taux d’intérêt réels soient désormais très faibles, si ce n’est négatif. Alors même que l’on s’entend pour reconnaître qu’il faudra trouver dans les temps qui viennent les moyens de financer des masses importantes d’investissements.

Les conséquences des taux réels négatifs

Il est vrai que depuis le début des années 2000, dans les pays avancés pris globalement, les taux réels à dix ans ont reculé d’environ 4% et qu’ils sont devenus négatifs à partir de 2012. Mais cette situation doit-elle être maintenant considérée comme une norme ? Sans revenir sur les explications qui ont été avancées pour rendre compte de cette situation, nous nous bornerons à en évoquer brièvement les conséquences :

– Pour l’essentiel, ces taux très bas ont facilité l’endettement public résultant des chocs économiques, sanitaires et sociaux auxquels ont eu à faire face les pays considérés : cet endettement s’est accru de 125% du PIB entre 2007 et 2021. Mais sans que cela ait profité aux investissements dont on découvre aujourd’hui la nécessité et l’urgence.

– Sans doute la faiblesse des taux a été une incitation aux investissements immobiliers. Mais ceci a généré pour une bonne part une hausse des prix dans le secteur, ce qui en limite sérieusement l’effet macroéconomique réel.

– En revanche, cette période a été marquée un peu partout par une contraction des investissements productifs. La baisse des taux n’a pas été seulement le produit d’une épargne mondiale abondante, selon l’interprétation qu’en a donné la thèse du « saving glut », ce fut aussi le résultat d’un déficit d’investissement. Au demeurant cette baisse des taux ne s’est pas transmise au rendement requis sur le capital productif.

Les taux faibles, frein à l’épargne et à la croissance

En définitive, on retiendra que si elle a rendu soutenable un endettement public massif, cette période de taux réels historiquement faibles n’a pas été profitable à l’investissement. Ce qui a certainement joué un rôle dans l’affaissement de la croissance potentielle observée dans bon nombre des pays avancés, et particulièrement en Europe. La question se pose donc de savoir si le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps n’a pas été un frein à la croissance plutôt qu’un stimulant. De nombreuses observations montrent que de telles distorsions dans la rémunération de l’épargne et dans la détermination du coût du capital entraînent sur le long terme des dysfonctionnements dans l’allocation de l’épargne ainsi que dans les choix d’investissements et de financements.

Il n’y a donc rien à craindre du durcissement actuel des politiques monétaires face au brusque retour de l’inflation. Tout juste peut on leur reprocher, au moins à certaines d’entre elles, d’avoir tardé à réagir. Mais aujourd’hui, il leur faut, sans précipitation, se normaliser en tournant la page des taux d’intérêt négatifs.

 


 

Jean-Paul Pollin, Membre du Cercle des économistes et Professeur émérite à l’Université d’Orléans

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