" Osons un débat éclairé "

Énergie, l’heure des choix ?


Coordination : Patrice Geoffron, membre du Cercle des économistes

Contributions : Catherine MacGregor, ENGIE, Arnaud Pieton, Technip Energies, Patrick Pouyanné, TotalEnergies, Luc Rémont, EDF, Keisuke Sadamori, Agence Internationale de l’Énergie

Modération : Hedwige Chevrillon, BFM Business


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Propos introductif de Patrice Geoffron, membre du Cercle des économistes

Puisque l’orientation de nos Rencontres est de « recréer l’espoir », j’ai pris le parti de lister ici les motifs d’espoir. Et j’en ai trouvé beaucoup plus que le temps qui m’a été accordé pour les exposer.

Premièrement, l’Europe a tenu collectivement. Nous nous souvenons de ce qu’étaient les termes du débat et le niveau d’anxiété lors de nos Rencontres 2022, notamment les perspectives hivernales très sombres : est-ce que nous aurons suffisamment de gaz ? Est-ce que nous aurons suffisamment d’électricité ? Le système a tenu. J’ai la chance de faire partie du conseil d’administration d’une entreprise en charge d’importer du gaz naturel liquéfié. J’ai vu s’organiser une espèce de « plan Marshall » dans ce domaine et ai pu observer la réorganisation rapide des infrastructures et des flux. Nous nous étions réunis l’an dernier à un moment où le prix du gaz avait été multiplié par 10, par 15 et où le prix de l’électricité était également à des niveaux historiquement inédits. Tout cela n’est pas totalement derrière nous, mais il me semble que nous pouvons nous réunir cette année dans une ambiance plus sereine, en tout cas plus propice à la réflexion.

Deuxième raison d’espérer, c’est ce que nous dit notamment l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) ou Bloomberg par ailleurs lorsque nous regardons les perspectives d’investissement : désormais, il y a au moins autant, au niveau mondial, d’investissements que nous allons qualifier par facilité de « verts » que d’investissements « bruns ». Nous observons que la guerre a été un accélérateur de ce mouvement pour une raison simple : nous venons d’un monde, avant cette guerre, dans lequel la question de la sécurité d’approvisionnement figurait assez bas parmi les préoccupations. La guerre est venue rappeler aux Européens leur « dénuement » en matière d’énergie fossile. Ainsi, la France importe 99 % de son pétrole et 98 % de son gaz. Par ailleurs, ce que l’on a découvert – ce qui n’est pas une grande surprise, en vérité –, c’est que même nos amis (Norvégiens, Américains, …) ne nous vendaient pas le gaz à prix d’ami.

Troisième raison d’espérer et ce sera la dernière : nous nous mettons à commencer à faire du calcul économique sur les coûts de la transition. Comme vous le savez, notre collègue Jean Pisani-Ferry a fixé des ordres de grandeur, pour la France (et qui valent un peu partout en Europe) pour ce qui est du besoin d’investissement de la décarbonation : une soixantaine de milliards soit 2 à 2,5 % du PIB/an. La question de savoir comment nous finançons se pose évidemment urgemment. Nous n’avons pas toutes les solutions. Cependant, de fait, cette guerre nous permet de mieux comprendre le retour sur investissement. Bruegel, un think tank basé à Bruxelles, nous dit notamment que les gouvernements européens ont dû investir 700 milliards d’euros en amortisseurs et boucliers. La valeur de la décarbonation et la valeur des choix qui sont faits, de l’accélération de la décarbonation, doivent s’apprécier également par les coûts évités ; des coûts relativement à d’autres chocs énergétiques ou sanitaires à venir.

Néanmoins, deux bémols pour finir qui traversent le plan de transformation de toutes les entreprises qui sont présentes ici, qui est celle du rythme : le rythme auquel nous stabiliserons la production nucléaire, le rythme auquel nous pourrons déployer du nouveau nucléaire, le rythme auquel nous pourrons déployer des renouvelables électriques et gaziers, le rythme auquel nous pourrons également transformer des infrastructures pour transporter de l’hydrogène, pour transporter peut-être du CO2. Dès lors que nous sommes dans une course contre la montre, nous ne sommes évidemment pas indifférents au rythme. Enfin, tout dernier point d’interpellation que nous ne traiterons sans doute pas en détail, mais qui doit planer sur l’ensemble de nos réflexions : le Président Macky Sall, que vous avez vu hier, nous a rappelé que 600 millions d’Africains n’ont pas du tout d’accès à l’électricité. Il s’agit d’une dimension à garder à l’esprit au moment où nous avons une injonction à recréer l’espoir.

Synthèse

2022 a été une année très turbulente en termes d’énergie, rappelle Keisuke Sadamori. Cependant, il y a eu une bonne nouvelle, à savoir que la crise de l’énergie a forcé les gouvernements du monde entier à reconfirmer la valeur des technologies d’énergies propres non seulement pour les objectifs du changement climatique, mais également pour la sécurité de l’alimentation énergétique. Les chiffres aujourd’hui montrent un record en termes de développement des énergies renouvelables. Des centrales nucléaires se remettent en service dans plusieurs parties du monde.

Il ne s’agit pas juste de construire un système électrique, mais bien un système énergétique, précise Catherine MacGregor. Au niveau européen, la consommation d’électricité va augmenter massivement (à peu près 80 %). Il faut donc investir, accélérer dans les énergies renouvelables en France pour compléter le nucléaire. Il sera cependant nécessaire de garder dans ce système énergétique une molécule. Aujourd’hui, c’est du gaz fossile. Il s’agit d’une molécule active qui sera verdie. Enfin, il faut une vision européenne partagée de ce système énergétique.

À l’heure du choix, il est nécessaire de continuer à décarboner à marche forcée, corrobore Luc Rémont. Dans les années qui viennent, l’électricité va voir sa part d’usage augmenter. La bonne nouvelle, c’est que les moyens de production s’enrichissent avec des capacités renouvelables qui augmentent, avec des capacités décentralisées qui vont augmenter. Toutefois, il faut aussi être capable d’assurer un équilibre de systèmes électriques. C’est sur cet aspect qu’il faut focaliser l’attention. Le nucléaire est aujourd’hui la seule technologie qui permette la production à l’échelle des besoins d’un pays et de la plaque européenne d’électricité décarbonée. Il y en aura peut-être d’autres demain qui viendront prendre une place. Les opérateurs ont des discussions stratégiques sur la façon dont le modèle économique va permettre d’aborder une courbe d’investissement sans précédent. Cependant, son modèle de prix doit être compétitif et soutenable.

La bonne nouvelle est que les nouvelles demandes en électricité seront pratiquement entièrement couvertes par les sources décarbonées, se réjouit Keisuke Sadamori. Il s’agit donc d’un développement positif. Il faudra accélérer les choses. Cependant, les émissions de CO2 continuent d’augmenter. Si le système électrique devient beaucoup plus propre, l’électricité ne représente toutefois que 20 % de la consommation d’énergie totale et 40 % de l’ensemble des émissions liées à l’énergie. Il faut donc s’occuper de l’ensemble des systèmes de production d’énergie. Il faut utiliser toutes les technologies disponibles pour nettoyer les systèmes de production d’énergie. L’amélioration de l’efficience énergétique doit être doublée.

Plutôt qu’une transition énergétique, il y a une accumulation de productions d’énergie, analyse Arnaud Pieton : la couche du charbon ne va pas vraiment baisser, celle du gaz certainement pas, le pétrole pas encore et à cela s’ajoute l’éolien, le solaire et plus de nucléaire. Il faut aussi réduire les émissions. Cela va passer par de l’électrification, de l’efficacité, de la capture de CO2 et aussi le stockage de la bonne énergie.

Il va falloir trouver une façon de produire et de consommer autrement cette énergie, prévient Patrick Pouyanné. En matière gazière, les stocks seront pleins en octobre, mais il n’y en a pas suffisamment en Europe pour couvrir un hiver froid. Il s’agit d’un problème physique. L’Europe n’a pas construit assez de stockages. Si l’hiver est froid, il faudra ramener du gaz naturel liquéfié et la seule façon de le faire est de le piquer aux autres. C’est ce que l’Europe a fait l’an dernier. C’est elle qui a fait monter les prix.

Grâce aux efforts de sobriété et d’approvisionnement sur le gaz, les stocks sont pleins, confirme Catherine MacGregor. Aujourd’hui, l’hiver est envisagé avec sérénité. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se reposer la question pour l’hiver prochain, car les capacités additionnelles de gaz qui viendront alimenter le marché mondial ne seront alignées a priori qu’en 2026-2027. Le système restera potentiellement très volatil dans les mois qui viennent.

Il ne faut surtout pas imaginer que le climat plus apaisé met l’Europe à l’abri de tout choc à l’avenir, prévient Patrice Geoffron. Il y a toute une série de facteurs, notamment la demande asiatique à l’avenir et ce qui pourrait se passer du côté des États-Unis en cas de retournement dans le cycle politique. Un Président Républicain n’enverra peut-être pas aussi massivement du gaz. Cela conforte l’idée qu’il y a une valeur spécifique à la sobriété.

La sobriété est le premier facteur qui concourt à la préservation de la planète et qui aide à être moins dépendant de tiers, analyse Luc Rémont. Ensuite, il faut être le plus disponible possible sur les moyens de production qui ne dépendent pas de tiers, à l’image de la production électrique décarbonée.

Le premier choix est celui de la sobriété énergétique, argue Patrick Pouyanné. Le deuxième choix indispensable est d’assurer la permanence du système. Il faut donc garder une sécurité d’approvisionnement. La réponse à la sécurité énergétique, ce sont les énergies locales (le nucléaire, les énergies renouvelables, le biogaz). Troisième choix : il faut que le prix soit bas. Il ne sera pas possible de réussir la transition contre les consommateurs. Il faut donc trouver le bon équilibre entre le système qui existait et l’accélération du système énergétique décarboné. Il faut investir massivement dans les centrales nucléaires, les énergies renouvelables, le biogaz. C’est la vraie priorité.

La transition énergétique nécessite d’investir, acquiesce Luc Rémont. Ce qui manquait principalement dans le marché électrique, c’est de la visibilité de long terme et la faculté entre des producteurs et les consommateurs de pouvoir contractualiser à long terme. C’est la direction qui est prise dans les discussions européennes aujourd’hui. Un cadre de ce type est de nature à fournir beaucoup plus de stabilité sur les prix et donc d’éviter les prix de guerre. Il s’agit de l’élément qui est absolument déterminant pour pouvoir aborder cette phase d’investissement dans l’énergie qui est sans précédent, pour faire en sorte que ce soit tout à fait raisonnable pour les consommateurs et en même temps que cela donne aux opérateurs la faculté d’investir.

Un moyen de garder ce coût de la transition énergétique – et de manière ultime, le coût de l’énergie – le plus raisonnable possible est effectivement de se redonner de la marge de manœuvre, confirme Catherine MacGregor. Il faut donc beaucoup de capacités d’énergies renouvelables. Il faut investir massivement dans les infrastructures pour se donner cette résilience, cette capacité de stocker, avoir la robustesse dans ce système énergétique qui est importante pour avoir un coût relativement sous contrôle. L’Espagne a développé massivement les énergies renouvelables. Au premier semestre, les prix spot étaient bien inférieurs à ceux de la France.

À cause de la transition énergétique, le prix du pétrole va rester durablement élevé, prédit Patrick Pouyanné. En revanche, le prix du gaz se cassera la figure. S’agissant de l’électricité, il s’agit d’un système avec des sources intermittentes. Il faut des capacités de stockage et l’Europe en est loin. L’électricité décarbonée coûtera donc plus cher qu’aujourd’hui. Il ne faut pas dire aux gens que parce que le soleil est gratuit, cela ne sera pas cher. La transition énergétique va coûter plus cher. Il va falloir habituer le consommateur à payer un peu plus cher son énergie.

 

Propositions

  • Atteindre la sobriété énergétique (Patrice Geoffron, Luc Rémont, Patrick Pouyanné).
  • Investir dans les infrastructures (Catherine MacGregor).
  • Garder une sécurité d’approvisionnement (Patrick Pouyanné).

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