" Osons un débat éclairé "

Espoir et modernités

Philippe Lemoine examine la question de l’existence d’un sens de l’Histoire à travers l’évolution de la modernité. Après la Seconde Guerre mondiale, la modernité était marquée par la croyance en la paix et la croissance, mais les événements tels qu’Auschwitz et Hiroshima ont remis en question ces promesses. L’attentat du World Trade Center, l’invasion russe en Ukraine et les crises économiques ont contribué à un sentiment d’incertitude et de précarité. Le texte s’interroge sur l’avenir de l’humanité et la signification de l’Histoire.

Il évoque également une rupture dans l’histoire de la modernité, marquée par trois facteurs de changement : le statut de l’individu qui évolue vers la notion de personne, la remise en question de l’universalisme, et la transition de la croyance en un progrès scientifique et technologique vers la réflexivité et la prise de conscience des risques.

Le texte souligne l’importance de reconnaître les différentes modernités et de prendre en compte la diversité des points de vue, notamment en ce qui concerne les questions de genre, d’écologie, et de cultures non-occidentales. Il mentionne également des initiatives visant à repenser la liberté, à soutenir les mouvements sociaux, et à reformuler les concepts politiques pour faire face aux défis actuels.

En fin de compte, Philippe Lemoine appelle à la réflexion sur la modernité en tant que processus en évolution et à la recherche de motifs d’espoir pour l’avenir.

Y a-t-il encore un sens de l’Histoire ? Après la Seconde Guerre mondiale, malgré Auschwitz et malgré Hiroshima, on a continué de croire aux promesses de la modernité. Deux thèmes cristallisaient les espoirs : la Paix et la Croissance. Ils permettaient de continuer de tabler sur une marche de l’humanité faite d’émancipation individuelle, d’entente universelle, de progrès technique et de démocratie.

L’ambiance est aujourd’hui tout autre. Depuis l’attentat du World Trade Center, il n’y a plus un coin sur Terre qui puisse se croire en totale sécurité. Avec l’invasion russe en Ukraine, la guerre a fait son retour en Europe. La paix n’est plus à nouveau qu’un état transitoire. Quant à la croissance, les crises de 1973 et de 2008 en avaient fissuré la force ; le dérèglement climatique et écologique en conteste désormais le principe. Depuis plusieurs décennies, notre maison avait commencé à brûler et nous regardions ailleurs. Le déni n’est plus possible. Le souvenir du Titanic nous rappelle ce qui arrive à un paquebot où l’on a continué de boire et de danser, comme si de rien n’était, après la collision.

L’horizon est aujourd’hui bouché. On entend parfois dire qu’il faudrait formuler de nouveaux récits. Chaque année, quelques publications s’essaient à relancer les dés et dessinent des dystopies inédites. L’espoir n’y a plus de place, si ce n’est sous la forme modeste d’un espoir de survie. Le survivalisme prend ainsi l’allure d’un guide des bonnes pratiques pour résister à la catastrophe. La collapsologie va au-delà et tente de trouver si ce n’est un sens, du moins une sérénité, dans l’acceptation de l’effondrement. Sommes-nous face à une malédiction ? Faudrait-il s’en remettre à une divine Providence ? Si l’on veut tracer un nouveau chemin d’espoir, on ne peut esquiver le débat sur le sens de l’Histoire.

Post-modernité ou nouvelle modernité ?

Les faits semblent nous condamner à ces sinistres errances. Quel regard pourrait encore se détourner des rapports du GIEC ? Ce ne sont pourtant pas les faits qui ont transformé, à eux seuls, nos représentations de l’avenir. Avant même l’alerte scientifique, il y avait eu une cassure culturelle, annoncée par le cri des artistes. En 1976, la chanson des Sex Pistols « Anarchy in the UK » électrisait ainsi l’Angleterre. L’année suivante, leur deuxième single explicitait le message : « There is no future in England’s dreaming ». No future : c’était le début du mouvement punk ! En 1978, la chanson « Banlieue Nord » de Starmania proclamait : « Y a plus d’avenir sur Terre / Qu’est-ce qu’on va faire ?… Sans foi ni loi / Sans feu ni lieu / Je veux vivre et mourir… Dans ma banlieue / J’ai tout cassé / J’ai pas de passé / J’ai pas d’avenir ».

En France, cette crise de futur prospéra tout particulièrement et prit la forme d’un clap théorique, annonçant la fin même de la notion de modernité. Dès 1979, Jean-François Lyotard publiait « La condition postmoderne ». Il y annonçait la mort de la modernité et des deux métarécits qui l’avaient structurée et portée :  celui de l’émancipation du Sujet rationnel (les Lumières, Kant, Rousseau) ; celui de l’histoire de l’esprit universel (Hegel et, par certains côtés, Marx). Les philosophes s’engouffrèrent dans la brèche, au point de disserter avec Alain Finkielkraut sur « la défaite de la pensée » (Gallimard, 1987). Quant aux économistes, ils se saisirent de l’hypothèse pour agiter à nouveau le spectre périodique d’un « déclin français » (cf. par exemple Nicolas Baverez, « La France qui tombe : un constat clinique du déclin français », Perrin, 2003).

Au début des années 2000, cet enfermement national dans un langage décliniste et postmoderne était toutefois singulier. Dans l’entreprise que je dirigeais, LaSer, nous faisions partie de ceux qui voyaient que la révolution Internet était en train de changer tant de choses ! Depuis notre Centre de démonstration, L’Échangeur, nous étions témoins d’un certain souffle d’optimisme qui osait parcourir à nouveau les économies occidentales. Nous décidâmes alors d’engager une réflexion collective autour d’une hypothèse différente : non pas celle de la fin mais d’une rupture dans l’histoire de la modernité. Pour l’explorer, le parti-pris était de prendre de la hauteur et d’enjamber 1979, en comparant le paysage social en train d’émerger dans les années 2000 avec celui des années 50, à un moment où l’on pensait saisir clairement ce que signifiait la modernité. Différents critères nous amenèrent à nous focaliser sur l’année 1954 et à retenir sept signes très divers, sept émergences analysées à l’époque par les meilleurs esprits car leur paraissant être le comble d’une modernité avancée :

  • Modernité politique : le discours d’investiture de Pierre Mendès-France, véritable « discours politique de comptabilité nationale » selon l’expression de Simon Nora, analysé de façon pénétrante par François Fourquet dans « Les Comptes de la Puissance » (Edition Encre) ;
  • Modernité imaginaire : l’arrivée de Brigitte Bardot au Festival de Cannes de 1954, figure emblématique du star system et de son renouveau mammaire, analysé par Edgar Morin dans le texte fondateur de la sociologie française des médias, « Les Stars » (1957) ;
  • Modernité entrepreneuriale : la création de la FNAC (L’agitateur d’idées) et des centres Édouard Leclerc (L’épicier de Landernau), qui ont été avec Decaux et le Club Med, au cœur d’une brillante analyse sur l’innovation de services par Michel Crozier ;
  • Modernité ludique : l’apparition en 1954, du rock d’une part et du tiercé d’autre part, évènements marquants des analyses de Paul Yonnet ;
  • Modernité symbolique : l’annonce de la DS (Déesse !) au Salon de l’auto, phénomène central, à côté de l’action de l’Abbé Pierre durant l’hiver 1954, des « Mythologies » de Roland Barthes (publiées en 1957, mais écrites entre 1954 et 1956) ;
  • Modernité ontologique : la réflexion de Georges Bataille sur les grottes de Lascaux, découvertes pendant la guerre et qu’il visite à cette époque, s’interrogeant sur ce qu’elles révèlent du refus de l’homme de se représenter, un moment majeur de sa pensée sur la naissance de l’Art ;
  • Modernité informatique : la mort, en mai 1954, d’Alan Turing, le père de la science informatique, dans des circonstances particulièrement interpellantes, quatre ans après avoir publié le texte fondateur de l’Intelligence Artificielle, « Computing Machinery and Intelligence » (Mind, 1950).

Chacun de ces évènements était revisité, cinquante ans plus tard, soit par leurs commentateurs de l’époque (Edgar Morin, Michel Crozier, François Fourquet, Paul Yonnet), soit par des regards neufs (Éric Barchechath, Jean-François Perret, Dominique Wolton, Alain Touraine). Isolément, chaque fait analysé pouvait faire croire à une continuité ; reliés les uns aux autres, on voyait à quel point, tout avait changé. Le texte publié fut à la base du Forum d’Action Modernités. Il s’intitulait : « 1954-2004 : D’une modernité à l’autre » (Éditions 00h00, 2002).

Trois ruptures

L’approche que nous avions suivie recoupait sur certains points l’approche de Jean-François Lyotard : nous repérions bien une bifurcation sur les deux plans du Sujet rationnel et de l’Universalisme. Mais nos conclusions se fondaient sur un tout autre corpus que celles du philosophe. Son travail était à l’origine un « rapport sur le savoir au XXᵉ siècle », commandé par le gouvernement du Québec. Notre modeste approche était beaucoup plus pragmatique et diversifiée : politique, imaginaire, entrepreneuriale, ludique etc…Un seul chapitre relevait indirectement de l’épistémologie : celui sur Turing. Mais il n’était pas du tout abordé dans la même optique.

Plutôt que de « fin de deux métarécits », notre analyse conduisait à repérer une rupture sur chacune des deux faces de la modernité : l’Individu et l’Universel. En effet, au fil des exemples, on observait d’abord un glissement dans l’ordre du Sujet, amenant à passer de la classique notion d’Individu à une notion encore en devenir, celle de Personne. Quand on explore la rhétorique démocratique de Pierre-Mendès-France ou les innovations de services portées par André Essel ou Gilbert Trigano, on voit la notion « atomique » d’individu (Individuum : un parmi le nombre) s’enrichir des notions de décideur et d’acteur, tandis que les « stars », analysées par Edgar Morin, sont des personnages mi-dieux mi-hommes, déjà descendus de l’Olympe pour annoncer la marche vers une galaxie de looks toujours plus différents, toujours plus uniques, toujours plus semblables à soi. Le monde se peuple d’avatars et de doubles. Le concept-clé devient celui de personne, au double sens de Personna, le masque du théâtre grec et de Personne, l’unité transcendentale de l’Être.

L’autre rupture concerne l’Universel, au sens d’une harmonie qui se construit sur la logique de l’Un. Le fait que le Sujet échappe à la représentation indécomposable de l’Individu-atome compromet en lui-même la vision d’une mécanique gravitant autour de ce Centre. « Je est un Autre » avait dit Rimbaud. Prolongeant la réflexion de Paul Yonnet sur le rock, nous interrogions l’apparition de cette déchirure de la modernité qu’avait constitué l’esthétique punk. Nous inspirant du magnifique livre de Greil Marcus « Lipstick Traces, une histoire secrète du XXᵉ siècle », nous montrions ainsi comment le punk était une réapparition, dans le rock, de la révolution dada. Ce changement de perspective n’est en rien une fin de la modernité. Dès 1975, le sociologue Henri Lefebvre avait d’ailleurs écrit : « Dans la mesure où le mot modernité a un sens, c’est celui-ci : elle porte en elle, dès le début, la négativité radicale, le Dada, cet évènement qui eut lieu dans un café de Zurich ». Et, en 1954, au départ-même de notre historique, le premier numéro de Potlatch, la revue de l’Internationale Lettriste, future Internationale Situationniste, titrait : « Les Cathares avaient raison ». Raison car, croyant au Diable et au double, ils réfutaient toute logique de l’Un. Au sein de la modernité, c’est cette vision plurielle, celle du Cosmos, qui se substitue à l’Universel.

Crozier, Morin, Touraine, Wolton, Yonnet… : notre enquête nous avait conduit à faire le tour des plus grands noms de la sociologie française. Mais au moment où nous avons publié notre essai, cette interrogation sur la modernité n’avait pas de statut en France. Il en résultait d’abord des malentendus : que cherchez-vous, derrière ce thème de modernité ? Moderne, cela ne veut pas dire contemporain ? Ou alors, c’est que vous vous intéressez à l’Art Moderne… C’est bien ça ? Par ailleurs, malgré certaines allusions que nous avait fait François de Singly ou Jean-Claude Kaufmann, rares étaient ceux qui savaient que ce débat que nous voulions lancer se déroulait déjà dans plusieurs pays étrangers : au Royaume-Uni notamment, avec Anthony Giddens ; en Allemagne également, avec Ulrich Beck. Personnellement, nous ne le savions pas. C’est à l’occasion des échanges consécutifs à la sortie du livre que nous avons lu puis rencontré ces deux grands sociologues.

Nous constatâmes alors que ces intellectuels avaient en commun d’avoir lu Lyotard et les thèses françaises sur la postmodernité mais qu’ils n’en étaient pas restés là. Eux aussi, avaient trouvé plus pertinent de supposer qu’à la modernité classique avait succédé une autre modernité : une seconde modernité ou une modernité avancée, selon Giddens ; une modernité réflexive, selon Beck. Et, eux aussi, avaient repéré les deux facteurs de rupture qu’étaient le statut de l’Individu et celui de l’Universel. Dans « Les conséquences de la modernité » (Cambridge : Polity, 1990) et, plus encore, dans « The Transformation off Intimacy : Sexuality, Love and Eroticism in Modern Societies »(1992), Anthony Giddens fait des transformations profondes de l’intimité un marqueur essentiel du changement de modernité, avec le passage d’une société où l’identité individuelle est héritée à une société où elle est bricolée. Quant à la crise de l’universalisme, on la trouve esquissée dans le célèbre « La société du risque : sur la voie d’une autre modernité » d’Ulrich Beck (Aubier, 2001) et développée dans « Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? » (Aubier, 2006). Dans le vocabulaire même, notre travail rencontrait le leur.

Il y avait toutefois un plan que nous avions moins mis en avant et qui constitue pourtant un troisième facteur de rupture dans l’histoire de la modernité : la croyance dans un Progrès d’origine scientifique et technique. Dans « La société du risque », Beck montre bien comment la modernité classique voyait le Progrès comme un train tiré par la locomotive scientifico-technologique, alors que, depuis Hiroshima et Tchernobyl, la modernité repose plutôt sur la capacité d’une société à anticiper et à maitriser les risques engendrés par la Science et la Technique. C’est cette attitude d’anticipation et de rétroaction que Beck appelle d’ailleurs la « réflexivité ». Partie prenante des débats sur l’informatisation de la société, il nous semblait en effet indispensable d’ajouter et d’analyser en profondeur cette troisième rupture. D’une part, même s’ils avaient co-signé un livre sur « La Modernité réflexive », Beck et Giddens n’étaient pas en parfait accord sur ce point, le premier étant un inspirateur intellectuel des Verts allemands et le second le théoricien de la « Troisième Voie » sociale-libérale de Tony Blair et un farouche adversaire de l’écologie politique. D’autre part, ayant travaillé avec Edgar Morin et familier des questions soulevées dans « La Méthode », nous connaissions les transformations internes au monde du Savoir et de la Connaissance qui faisaient que ces notions d’anticipation et de rétroaction n’étaient plus exclusivement sociétales mais que, depuis la cybernétique et la théorie des systèmes, elles habitaient la technologie elle-même. Il était nécessaire de creuser et d’aller plus loin.

Modernités au pluriel, modernités avec un « s »

Le Forum d’Action Modernités est né de ces débats. Dès l’origine, nous avions choisi de l’appeler « Modernités » au pluriel, Modernités avec un « S ». Il s’agissait d’abord d’indiquer que nous refusions l’idéologie française du postmodernisme et que nous trouvions préférable d’affirmer que l’Histoire avait toujours un sens mais que celui-ci n’était déchiffrable qu’en supposant une cassure dans l’histoire de la modernité. Refuser la mort de la modernité passait par l’affirmation d’une succession de plusieurs modernités. Mais ce pluriel n’a pas une simple signification chronologique. Il signifie également que les enjeux sur lesquels a buté la modernité classique se révèlent tels que la modernité est désormais une affaire en devenir, un « work in progress », nécessitant la contribution de tous. Pour s’éclairer à nouveau, l’horizon suppose qu’une cohérence riche se dégage de la confrontation et de l’agrégation de visions multiples. La modernité nouvelle ne peut plus être la victoire d’une rationalité restreinte, incarnée par les seuls mâles blancs de l’Occident développé.

La période actuelle est marquée par une multitude de travaux réhabilitant et valorisant le rôle de femmes remarquables dans l’histoire de la Cité, de la Science, de la Pensée et tout un courant du féminisme souligne qu’il y a une spécificité du féminin dont l’oubli engendre un risque d’hémiplégie. Au-delà de ce que nous avions écrit sur Turing, l’avancée de l’Intelligence Artificielle interroge par ailleurs sur les limites auxquelles l’esprit humain se condamne lorsqu’il essentialise une division immuable entre deux sexes et ignore l’apport LGBTQ+ et queer. D’autres travaux insistent sur la fécondité intellectuelle d’autres Lumières que les Lumières occidentales. Ils montrent comment une expression différente de la modernité se cherche en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique Latine. À la suite d’Eduardo Viveiros de Castro et de Philippe Descola, l’anthropologie admet que plusieurs ontologies cohabitent, plusieurs représentations de l’Homme et de la Nature. Les représentations culturelles des peuples premiers peuvent jouer un rôle essentiel dans la résilience future de l’humanité.

Dans ses débats et dans ses travaux, le Forum d’Action Modernités défend cette conception plurielle. Il se garde des tentations de repli que recèlent les controverses actuelles sur le « wokisme ». Si l’on veut assurer l’avenir des concepts-clé de la modernité, ceux d’universalisme et ceux de laïcité par exemple, on doit le faire en tirant les leçons de ce que nous apprend le changement du régime de modernité. Trois chantiers dans lesquels le Forum s’est engagé, permettent d’illustrer ce parti-pris. Le travail pour « Repenser la Liberté » tout d’abord (Descartes & Cie, 2022) : au cœur de ce travail collectif, il y a la conviction que cela a été une terrible erreur que de ne pas faire vivre le concept de Liberté, en-dehors d’une réflexion sur les individus et le marché, abandonnée aux seuls économistes. À l’âge de Chat GPT et de la reconnaissance automatique des visages, il y a pourtant tant à dire…La conséquence, c’est une pauvreté d’argumentaire et une faiblesse dans la capacité d’entraînement, lorsqu’il s’agit de répondre à la montée des populismes et des régimes autoritaires. Même quand la Russie de Poutine envahit l’Ukraine, l’Occident a bien du mal à convaincre le globe que l’enjeu est celui des valeurs, de la démocratie et de la Liberté…

Un second chantier emblématique est celui de l’implication au côté du soulèvement récent du peuple iranien. Deux soirées de soutien au mouvement « Femme, Vie, Liberté » ont été organisées avec un collectif spécifique, le collectif Barayé : le 12 Décembre 2022 au Trianon (visible sur le replay de CultureBox) et le 17 avril 2023 au Châtelet (visible sur le replay de TV5). Comme cela a été exposé, le slogan « Femme, Vie, Liberté » est en lui-même une trilogie pertinente pour le XXIᵉ siècle. Femme, car comme l’a déclaré Edgar Morin, le Président d’Honneur du Forum, c’est le premier mouvement social d’envergure dans l’histoire du monde, où les femmes ont été systématiquement à l’avant. Vie, car les enjeux de l’écologie sont bien présents mais non dans une atmosphère d’éco-anxiété et plutôt, selon la formule de Farhad Khosrokhavar, dans celle d’un mouvement social de la joie de vivre. Liberté, car sur le fond et dans la forme, le mouvement iranien a illustré tous les enjeux nouveaux de la Liberté que nous avions pu explorer dans notre livre.

Un troisième chantier est celui d’une reformulation des concepts structurants du débat politique. Un texte est publié dans le présent recueil sur les enjeux actuels de l’immigration. Un article publié par Esprit au mois de février questionnait par ailleurs les termes du débat sur le changement climatique et écologique. « Qu’est-ce que la planète ? » demandions-nous.  De quoi parle-t-on quand on tente d’élever le débat à une défense des biens communs de l’humanité toute entière ? Il nous avait paru pertinent d’éclairer cette question par un approfondissement de l’analyse de cette fameuse troisième rupture de notre régime de modernité. Alors que des changements majeurs se sont produits depuis plusieurs décennies dans notre modèle de connaissance, les raisonnements en termes de complexité, de systèmes et d’auto-organisation restent abstraits et coupés des représentations. Un penseur comme Bruno Latour a écrit qu’il y avait urgence à atterrir. L’hypothèse que nous proposions est que l’échelle de la planète est une tentative de relier les deux bouts de la chaîne : celle des nouveaux principes de connaissance et celle des expériences vécues.

Ce n’est qu’en renouant les fils de notre modernité en devenir que nous retrouverons ainsi des motifs d’espoir.

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