" Osons un débat éclairé "

Financer à tout prix la transition écologique ?


Coordination : Benoît CŒURÉ, membre du Cercle des économistes

Contributions : Daniel BAAL, CIC, Lorenzo BINI SMAGHI, Société générale, Florence LUSTMAN, France Assureurs, Joanna MACKOWIAK-PANDERA, Forum Energii, Stéphanie PAIX, Natixis, Philippe SETBON, AFG

Modération : Isabelle GOUNIN-LEVY, LCI


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Propos introductif de Benoît Cœuré, membre du Cercle des économistes

Le thème du financement de la transition écologique est incroyablement important. Si la version courte de la question est : « faut-il financer à tout prix la transition écologique ? », la réponse courte est : « oui ». Nous n’avons pas le choix. C’est un impératif pour notre société. On a devant nous quelque chose qui s’apparente à une nouvelle révolution industrielle, la différence étant que l’on a beaucoup moins de temps que pour les révolutions industrielles précédentes. Donc, il faut absolument trouver les financements pour arriver à la neutralité carbone en 2050, ou à moins 55 % d’émissions en 2030, suivant les objectifs que l’on se donne. Mais la méthode sera la même. Les chiffres, qui font consensus, expliquent que, dans les pays développés, il faut environ entre 2 et 3 points de PIB de financement par an jusqu’en 2030. Soit, pour la France, environ 70 milliards d’euros par an d’ici 2030 pour permettre, comme décrit par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, une vaste substitution de capital aux énergies fossiles, avec un certain nombre de technologies qui nécessitent un investissement en capital massif pour les remplacer. Le débat politique semble faire l’hypothèse que le financement sera sous forme de dette ou sous forme d’impôts, mais nous allons nous demander aujourd’hui si l’épargne privée peut être mobilisée, justement pour éviter de s’endetter ou d’augmenter les impôts, en discutant des alternatives. Comme le disaient les sociaux-démocrates allemands des années 50, il faut autant de marché que possible et autant d’État que nécessaire. En étudiant comment changer le fonctionnement des marchés financiers pour que les 70 milliards d’euros soient financés le plus possible avec de l’épargne existante.

La première question concerne donc le partage entre financement public et financement privé. La deuxième question concerne les instruments disponibles pour orienter ces financements privés entre la réglementation, l’incitation, la fiscalité qui peut jouer, mais aussi les choix des épargnants eux-mêmes, s’ils sont prêts à ce que leur épargne soit orientée sur ces projets. Il y a des questions d’efficacité ainsi que de gouvernance et d’évaluation si l’on veut que cet argent soit bien employé.

J’ai présidé le comité d’évaluation du plan de relance en 2021, et nous avions de grandes difficultés à savoir ce qui était vert et ce qui n’était pas vert. Sur le papier, les projets présentés l’étaient tous. L’efficacité de l’argent public et l’efficacité de l’argent privé sont des enjeux cruciaux si l’on veut qu’ils aillent à des projets qui favorisent l’innovation et ne renforcent pas la constitution des rentes existantes. C’est le rôle de l’Autorité de la concurrence que je préside. Nous avons notamment lancé une grande enquête sur le marché des bornes de recharge des véhicules électriques, marché en constitution, avec énormément d’argent public qui est en train de se déverser, pour vérifier que cela se structure d’une manière qui est bonne pour l’innovation et bonne pour les utilisateurs.

Le dernier enjeu est celui de l’Europe. Le projet d’Union des marchés de capitaux n’a pas vraiment été pris au sérieux par les gouvernements européens, mais ma conviction est que, si on ne fait pas cette union des marchés de capitaux, on ne fera pas, non plus, le financement de la transition climatique. La question qui se pose aujourd’hui concerne donc les priorités à se fixer dans les mois et années qui viennent.

Synthèse

Au regard du montant de 70 milliards d’euros, l’enjeu des perspectives paraît essentiel aux yeux de Joanna Mackowiak-Pandera, qui explique le coût qui devra être supporté si cette transition écologique n’est pas menée à bien. Le coût des différentes importations d’énergies fossiles en Union européenne était de 700 milliards d’euros en 2022, et ce déficit structurel doit donc être amoindri. Le gouvernement américain a par ailleurs alloué environ 800 milliards d’euros à la loi sur la réduction de l’inflation. L’enjeu de production d’énergie à l’avenir se pose également en cas de pénurie d’énergies fossiles, pour la Pologne comme pour tous. Avec, notamment, des perspectives de restriction concernant le gaz à la suite de la guerre en Ukraine. Le dialogue sur la gestion et la répartition des coûts de la transition paraît en effet essentiel et incite à progresser dans l’efficacité énergétique.

Il paraît indispensable de financer la transition écologique, exprime Daniel Baal, alors que cela aurait dû être fait depuis longtemps. La responsabilité des banques en la matière est particulière dans ce domaine, et plus encore pour les entreprises à mission, comme le CIC, qui a notamment créé un dividende sociétal, en affectant 15 % du résultat net consolidé chaque année, de manière pérenne, à ce dividende, soit 525 millions d’euros en 2023. La moitié du dividende sera consacré à l’investissement en haut de bilan, directement sur les entreprises, ou en accompagnement d’autres fonds, uniquement sur des sujets de transformation environnementale ou sociétale. Ce qui rejoint le métier des acteurs de l’equity, même si, pour le CIC, l’investissement sera réalisé en fonction de l’impact qu’il aura et non pas en fonction du rendement pour accompagner des entreprises qui investissent vraiment dans ce domaine, avec une durée de retour sur investissement de 8 à 15 ans environ, ce que les acteurs du domaine de l’equity ne font pas en général. Un dispositif de mécénat a par ailleurs été lancé avec un appel à projets dans le domaine de la biodiversité qui a reçu 285 dossiers, en 2 mois, qui vont être aidés. Des aides seront par ailleurs apportées directement aux clients pour leur permettre d’agir de manière plus active dans la transformation de leur mode de vie et l’isolation de leur logement avec, aussi, un prêt à taux zéro pour l’acquisition d’un vélo pour aider à changer de mode de transport et passer sur une mobilité douce, ce qui est positif pour le climat comme la santé.

Il faut bien prendre en compte le coût significatif de la transition, affirme Lorenzo Bini Smaghi, car il s’agit également d’une adaptation rendue plus complexe à cause des retards pris, par rapport à l’accumulation du CO2, par exemple, avec la désertification de zones en Europe. La situation est rendue complexe par le surendettement des États et par les limites du système financier européen basé sur les banques avec des marchés de capitaux limités et non unifiés. Ce qui induit une moindre compétitivité par rapport aux États-Unis qui ont un système financier très intégré et une réduction d’impôt pour créer les investissements. Pour mobiliser les consommateurs, il semble nécessaire de partir de l’économie réelle au lieu d’exiger et d’imposer. Les dirigeants européens doivent prendre conscience de ces éléments, car chaque jour qui passe augmente le coût de la transition et de l’adaptation.

Le réchauffement climatique constitue une réalité très concrète pour les assureurs, observe Florence Lustman. Il s’accompagne de drames humains avec un impact psychologique. Sachant que, pour une personne touchée directement par une catastrophe, 40 personnes sont impactées, comme l’a montré une étude récente. Ces impacts en santé mentale devraient également être chiffrés. Cela rend cette transition indispensable. Le rôle des assureurs est d’assurer contre ces risques, mais également de placer des ressources financières qui sont de plus en plus investies dans l’économie verte et durable, avec 270 milliards d’euros d’investissements verts. Au regard de la grande proportion d’assurance vie, lorsqu’on les interroge, les épargnants veulent à 60 % du sens, et également participer à la transition, mais aussi la sécurité et la liquidité. Les assureurs participent donc à cette transition, mais souhaitent que cet élan s’inscrive dans un vaste mouvement sociétal pour agir encore plus, sachant que le fait de contraindre par des normes ne paraît pas le plus efficace. Il faut faire un effort de conviction en la matière en incitant à l’épargne et en assurance vie en particulier.

Cette transition a déjà commencé, remarque Stéphanie Paix, avec notamment les infrastructures d’énergies renouvelables dont le développement s’accélère, avec les financements liés, tous les acteurs se mobilisant. Les missions à impact de la SNCF dans le domaine social paraissent également intéressantes. Des incitations doivent être produites pour ceux qui n’ont pas débuté ce mouvement et des progrès de mise en œuvre significatifs sont nécessaires par rapport à la rapidité d’action des États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act (IRA) notamment, en améliorant le fonctionnement et la rapidité des marchés en Europe.

La nécessité d’une transition semble partagée par tous, selon Philippe Setbon, qui se félicite des 3 000 milliards d’euros d’épargne longue en France, en stock, auxquels s’ajoutent 100 milliards d’euros environ chaque année. Une part de cette épargne pourrait être fléchée dans la transition écologique. Cependant, cela ne sera possible que si les conditions pour cela sont réunies. Tout d’abord, grâce à un cadre réglementaire clair, chacun ayant pour l’heure sa propre définition de la transition. Il nous faut ensuite un corpus d’indicateurs communs, ce qui est possible notamment avec les travaux de l’Institut de la Finance Durable, tout en offrant des produits et une rentabilité adaptés, sachant que cette rentabilité adviendra. En effet, investir permet de la productivité et in fine participe à la création des emplois si le temps suffisant pour le faire est donné.

Les labels, comme la taxonomie, peuvent s’avérer trop statiques dans la mesure où des pans entiers de l’économie vont s’effondrer, observe Florence Lustman. Cela oblige à travailler un référentiel commun sur la transition et le plan de transition, en conditionnant les investissements au fait que les entreprises respectent la RSE et contribuent à la transition écologique. Cela nécessite un accompagnement car, aujourd’hui, il est complexe de définir ce qu’est un bon plan de transition. Un travail coopératif est souhaitable entre les différents acteurs pour définir les plans de transition et leurs critères avant de suivre leur déroulement.

Joanna Mackowiak-Pandera observe que certaines règles présentes dans la taxonomie permettent de définir un investissement vert et qu’il existe une méthodologie très précise pour calculer l’empreinte carbone. Le plus grand défi concerne le fait d’appliquer ces règles qui existent pour pouvoir changer d’échelle.

Les labels peuvent orienter les décisions tandis que la fiscalité peut permettre d’accompagner sans orienter la décision pour éviter les bulles spéculatives, remarque Philippe Setbon. L’information est décisive pour analyser et juger de la pertinence des investissements, mais il remarque que les fournisseurs de ces informations sont privés et non européens, ce qui constitue un enjeu de souveraineté.

Florence Lustman insiste sur l’importance de l’épargne pour permettre le financement de la transition écologique par les pays les plus endettés en accompagnant le développement de l’épargne populaire comme c’est déjà le cas en Afrique francophone, par exemple, comme sur les partenariats public-privé.

Benoît Cœuré prône une évolution des institutions financières mondiales et notamment la BEI et la BERD pour adopter une approche moins paternaliste, et adopter les mêmes principes pour eux que pour l’Europe, par exemple sur le gaz comme énergie de transition.

Daniel Baal n’exhorte pas à une nouvelle réglementation et ne pense pas que le conditionnement du taux de refinancement des banques auprès des banques centrales à la présence de collatéraux verts ou d’actifs verts dans les bilans constituerait la meilleure manière d’accompagner la transition. Il suggère de faire confiance aux acteurs banques et assureurs, en prenant en compte les souhaits des épargnants, même si les banques ont la capacité d’orienter et d’accompagner. Un excès de réglementation dans un secteur déjà très régulé serait contre-productif.

Benoît Cœuré avoue être un peu plus optimiste malgré le contexte fort déprimant de réchauffement climatique, puisque la discussion prouve que les acteurs de la finance sont mobilisés sur ces enjeux ; néanmoins il faut accompagner les épargnants pour passer d’une logique de rendement à une logique d’impact, appropriée par tous les acteurs. Les financiers semblent craindre que les politiques se défaussent de leurs responsabilités sur eux, alors qu’ils ont besoin d’un cadre réglementaire et d’une perspective. L’Europe doit réformer son marché de l’énergie et son marché des capitaux pour qu’ils financent mieux la transition. C’est un des enjeux des élections européennes à venir.

 

Propositions

  • Expliquer le coût qui devra être supporté si la transition écologique n’est pas menée à bien (Joanna Mackowiak-Pandera).
  • Créer un dividende sociétal (Daniel Baal).
  • Offrir des conditions tarifaires plus favorables pour les entreprises comme les particuliers qui mènent des actions avec un impact (Daniel Baal).
  • Chiffrer les impacts notamment psychologiques des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique pour aider à la prise de conscience (Florence Lustman).
  • Améliorer le fonctionnement des marchés financiers européens pour réagir plus rapidement (Stéphanie Paix).
  • Définir un cadre réglementaire clair et un corpus d’indicateurs communs pour permettre de flécher les investissements et leur donner le temps de dégager la rentabilité (Philippe Setbon).
  • Faire évoluer les institutions financières mondiales et augmenter l’aide financière pour les pays en développement (Benoît Cœuré).
  • Privilégier les mesures incitatives (Stéphanie Paix).

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