Propos introductif d’Olivier Pastré, membre du Cercle des économistes
C’est la France qui a inventé le concept de développement durable. En 1346, Philippe de Valois, administrateur des forêts, a été chargé de soutenir en bon état les forêts du royaume. Puis en 1972, il y a eu le Club de Rome, puis le rapport Meadows. En 1980, Jacques Ellul avec Penser global, agir local. Et puis, en 1997, c’est le rapport Brundtland, qui est la date de naissance du concept politique de développement durable. Je ne voudrais pas plomber l’atmosphère sachant que les intervenants vont vous remonter le moral mais, pour moi, le développement durable est un mauvais concept économique au sens où on ne sait pas ce que c’est. Et après cette table ronde, vous saurez ce que c’est.
Pour savoir ce que n’est pas le développement durable, commençons par dire que ce n’est pas la panacée. Il y a tellement d’échéances qui n’ont pas été respectées qu’il faut être un peu modeste. Le développement durable, ce n’est pas non plus la croissance verte. Le développement durable n’a pas non plus d’effets à court terme, on ne peut l’apprécier que dans la longue période. On va parler de rythme et ce sera l’occasion d’aborder ce problème. Enfin, le développement durable n’est pas une force universelle. Chaque pays a son histoire dans ce domaine-là, et l’universalisme n’est pas forcément de bon goût.
Trois thèmes peuvent, peut-être, apporter des solutions. L’innovation, le financement et le rythme, le court terme et le long terme et ce qu’il y a entre les deux. Cette table ronde va marquer l’histoire des rencontres d’Aix puisqu’on arrivera avec une définition, enfin, du concept et à une politique à mettre en œuvre.
Synthèse
L’hydrogène constitue la nouvelle ressource du développement durable, estime Pierre-Étienne Franc, après le solaire, l’éolien et l’électricité. Elle amène le complément de l’électron sur des usages énergétiques qu’il est difficile de capturer avec l’électricité, comme l’industrie lourde, le ciment et les transports lourds. L’industrie de l’hydrogène existe déjà avec 100 millions de tonnes produit chaque année, après décarbonatation, puisqu’il est produit à base de gaz naturel. L’innovation consiste à produire de l’énergie verte avec l’hydrogène à base de l’électrolyse de l’eau, avant de l’utiliser dans des piles à combustible, afin de décarboner la mobilité. Le passage à l’échelle semble aujourd’hui l’enjeu majeur en raisonnant de manière systémique après une phase où il s’agissait de produire des stocks avant de les transformer en flux. Il existe aujourd’hui des flux d’énergies renouvelables nombreux mais qu’il s’agit de stocker et de redistribuer correctement. L’hydrogène constitue le vecteur pour permettre de stocker de l’énergie renouvelable intermittente dans des zones très lointaines et l’amener dans des continents qui n’en ont pas assez. Est à déplorer la trop grande frilosité des entrepreneurs français dans ce domaine par rapport aux Chinois qui n’hésitent pas à tester et à échouer mais réussissent donc à déployer.
Hans-Helmut Kotz insiste sur l’enjeu de l’utilisation efficace des ressources grâce au niveau adapté des prix alors qu’il existe une tarification qui n’est pas optimale, aujourd’hui, notamment dans le domaine de la tarification des gaz à effet de serre. Il prône la prise en compte de l’ensemble des paramètres et effets induits ainsi que la mise en place d’instruments de mesure efficaces et significatifs. La tarification du carbone constitue un concept de distribution très fort et concerne en particulier les couches les plus basses de la société pour qui le prix est un élément très important, comme la crise des gilets jaunes l’a illustré.
L’innovation constitue un phénomène proche de la destruction créatrice de Schumpeter qui régule le monde, rappelle Cheikh Kanté. Il s’agit d’une nécessité pour les entreprises, comme pour les États, ceux qui ne s’adaptent pas étant voués à disparaître. Le gouvernement sénégalais a changé de référentiel de planification fonctionnelle en l’articulant sur le développement durable pour qu’il soit économiquement viable, socialement équitable, et écologiquement reproductible. En 2012, il y avait 514 mégawatts de puissance installée au Sénégal, avec des coupures intempestives, parfois pendant plus d’une journée, alors que désormais la puissance installée est de 1 400 mégawatts. Dans une logique de redistribution, de très nombreux villages ont été électrifiés, ce qui permet d’atteindre l’accès universel à l’électricité, avec 30 % d’énergie renouvelable, notamment grâce à de l’énergie éolienne. Une forme de désarticulation du système planétaire semble à l’œuvre ainsi qu’une démultiplication des points de rupture. Il paraît donc nécessaire de promouvoir plus de coopération, tout en intégrant plus encore la dimension de responsabilité sociale et environnementale.
Le développement durable constitue un agenda sur lequel se sont engagés de nombreux pays, explique Cécilia Lopez. Il s’agit d’agir différemment, désormais, pour atteindre les objectifs en 2030 en identifiant les erreurs qui ont été commises. Les peuples des pays en développement contribuent peu au changement climatique mais en souffrent beaucoup. Il faut d’abord réduire les inégalités, notamment en Colombie, pour pouvoir viser le développement durable. Plus de solidarité de la part des pays riches est nécessaire.
Le métier de l’assurance consiste à appréhender et chiffrer les risques et à leur donner un prix de référence, rappelle Paolo Ribotta, pour transférer et gérer ce risque. Il permet également d’associer différentes parties dans l’approche de ces risques et d’élaborer des plans pour protéger les économies et les sociétés. Cela est important au regard des effets du changement climatique. Lors de la COP 21 l’Insurance Forum a ainsi été créé pour favoriser l’impact positif des projets, notamment. L’alliance tripartite qui réunit l’Insurance Forum, les Nations Unies et le Ministère allemand pour la coopération et le développement durable vise à bénéficier à 500 millions de personnes dans le monde et à transférer des risques jusqu’à 5 milliards d’euros de capacité disponible sur les marchés de capitaux. 2,2 milliards d’euros de transfert de risque sont déjà disponibles, ce qui permet de développer des projets et réduire l’impact des conséquences climatiques sur des communautés fragiles. Le rôle des assureurs semble ainsi fédérateur.
Une vision a été élaborée par le conseil de l’hydrogène, explique Pierre-Étienne Franc, avec comme objectif de multiplier par 10 les dépenses énergétiques consacrées aux énergies renouvelables avant de permettre de fédérer dans des projets concrets. Un fonds de 2 milliards d’euros a été constitué avec pour moitié des industriels et pour moitié des institutionnels, et avec des effets de levier significatifs. Les fonds souverains demandent désormais des règles de traçabilité de l’hydrogène pour monétiser et déployer les infrastructures. Le rythme de mise en œuvre dépend, pour sa part, de la puissance publique.
La Banque Européenne d’Investissement (BEI) intervient déjà dans ce domaine, rappelle Hans-Helmut Kotz, comme la BPI, mais pas avec une ampleur suffisante. Cela pourrait s’avérer problématique, dans un contexte où la dette est élevée, comme c’est le cas actuellement. La fiscalité peut par ailleurs contribuer à réorienter les fonds dans l’économie là où cela serait le plus pertinent, car moins destructeur de l’environnement, et plus bénéfique pour les plus fragiles. L’effet multiplicateur permis par l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis semble ainsi très vertueux et peut constituer une source d’inspiration.
Olivier Pastré estime que le blocage des banquiers centraux sur l’objectif de 2 % d’inflation est absurde.
Certains tabous concernant les financements, qui pénalisent l’Afrique, doivent être brisés, espère Cheikh Kanté. Le coefficient de risque donné chaque année à l’Afrique par l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) a en effet, un impact très négatif, notamment après l’intervention des agences de notation sur les taux d’intérêt. Cela renchérit les coûts de transaction. Un mécanisme de stabilité financière en Afrique paraît également nécessaire, avec une gouvernance globale rénovée, pour tirer profit de la ressource que constitue la jeunesse. L’innovation doit être diffusée mondialement pour profiter à tous, ce que les principes du consensus de Dakar ont formalisé.
Olivier Pastré considère que les agences de notation font partie d’un système qui fait en sorte que les pays du Sud se financent à un coût qui n’a rien à voir avec la qualité de leur croissance.
La croissance de l’Afrique est bien supérieure à celle de l’Amérique latine, observe Cécilia Lopez. Selon les objectifs de Paris, les pays développés doivent aider les pays en développement en finançant l’innovation, mais aussi en fournissant de l’assistance technique. Les pays en développement ont également besoin de plus de temps d’après elle pour participer à la transition écologique. Il faut donc une réelle solidarité entre le Nord et le Sud pour mener à bien cette transition écologique.
Les assureurs peuvent contribuer à lever des fonds pour financer des programmes, explique Paolo Ribotta. Ils apportent leur expertise sur la maîtrise des risques comme avec l’alliance pour la résilience face aux inondations avec, notamment, des projets très pratiques. Ces projets s’appuient sur des données objectives afin d’anticiper les risques et de développer un comportement d’adaptation. L’objectif est de réduire les conséquences des sinistres tout en crédibilisant cette approche.
L’Afrique va d’abord se tourner vers les énergies fossiles pour son développement, estime Pierre- Étienne Franc. Cependant, l’enjeu est celui de la sobriété pour les pays développés qui doivent à la fois aller très vite dans leur transition, mais également apprendre une forme de patience dans la manière de se développer, la croissance entretenant un rapport différent à l’énergie.
Propositions
- Profiter de l’hydrogène, dans des piles à combustible, pour décarboner la mobilité (Pierre-Étienne Franc).
- Améliorer la tarification du carbone en prenant en compte l’ensemble des paramètres et effets induits et mettre en place des instruments de mesure efficaces et significatifs (Hans-Helmut Kotz).
- Promouvoir plus de coopération, tout en intégrant plus encore la dimension de responsabilité sociale et environnementale (Cheikh Kanté).
- Tirer les leçons des erreurs passées en termes de développement durable et réduire les inégalités par plus de solidarité internationale (Cécilia Lopez).
- Utiliser la fiscalité pour réorienter les fonds dans l’économie pour être moins destructeur pour l’environnement, et plus bénéfique pour les plus fragiles (Hans-Helmut Kotz).
- Développer une autre approche du coefficient de risque donné chaque année à l’Afrique par l’OCDE au regard des effets négatifs sur les taux d’intérêt (Cheikh Kanté).
- Mettre en place un mécanisme de stabilité financière en Afrique, avec une gouvernance globale rénovée (Cheikh Kanté).
- Permettre une réelle solidarité entre le Nord et le Sud dans la transition écologique des pays développés, le Nord aidant en finançant l’innovation, en fournissant de l’assistance technique, et en donnant plus de temps aux pays du Sud (Cécilia Lopez).
- Faire en sorte que les assureurs contribuent à lever des fonds pour financer des programmes, apportent leur expertise sur la maîtrise des risques pour permettre d’anticiper les risques et réduire les conséquences des sinistres (Paolo Ribotta).
- L’industrie peut contribuer à réorienter la croissance plus positivement en s’appuyant sur l’intelligence artificielle notamment (Hans-Helmut Kotz).