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Europe, l’Union fait la force

Propos introductif de Catherine Lubochinsky, membre du Cercle des économistes

Lors de la session inaugurale vendredi sur le fait de recréer l’espoir, l’Union européenne (UE) était déjà sur le devant de la scène. Nous pouvons recréer l’espoir en regardant ce qu’a fait l’Union européenne depuis la crise sanitaire. Les concepts de souveraineté et d’autonomie stratégique, certes compliqués à définir, sont de plus en plus utilisés. Ces concepts sont importants, parce qu’ils ne peuvent pas s’appliquer pour les pays européens pris individuellement : un seul pays européen, même parmi les plus grands, pèse moins économiquement que certaines entreprises multinationales. On comprend bien que seule l’union peut faire la force.

À partir de cette idée selon laquelle la souveraineté ou (où ?) l’autonomie stratégique ne peut (ne peuvent ?) se concevoir qu’au niveau européen, nous comprenons aussi que les pays membres de l’Union Européenne renoncent ainsi à une part de leur souveraineté. En particulier, grâce aux crises qui ont secoué l’Europe et le monde, nous voyons que l’Europe a été amenée à intervenir dans des domaines qui auparavant restaient plutôt dans les prérogatives individuelles des pays. Nous constatons aussi la créativité de l’Europe, par exemple à la suite de la guerre en Ukraine. Nous voyons que l’Europe de la défense progresse un peu. Ainsi, pour surmonter la neutralité de certains pays membres de l’Union, l’Europe a créé la facilité européenne pour la paix, ce qui montre comment l’Europe arrive à concilier des divergences culturelles entre les pays.

Ce sujet d’union entre pays européens est fondamental parce qu’il s’inscrit en ce moment dans une confrontation assez brutale entre trois grands blocs géopolitiques que sont les États-Unis, l’Europe et la Chine ou les BRICS. Nous avons vu ces derniers jours que la Chine restreint l’accès aux métaux indispensables à la décarbonation. Comment faisons-nous, puisque nous n’en produisons pas beaucoup ?

Ce sujet est aussi fondamental parce qu’il s’inscrit dans un nouvel environnement politique, avec la montée des populismes au sein même des pays européens. Avec plus de pays qui ont plus de divergences politiques, l’élargissement de l’Union européenne ne sera-t-il pas un facteur de désunion supplémentaire dans l’Union ?

Des questions se posent en matière de politique énergétique. L’Union a réussi à sécuriser l’approvisionnement énergétique à la suite de la guerre en Ukraine. Dans ce domaine, l’Union a fait un travail remarquable. En revanche, nous n’arrivons pas à nous entendre sur le mode de détermination du prix de l’électricité, ce qui semble insurmontable, puisque chaque pays a ses spécificités en termes de production énergétique.

Pouvons-nous espérer que l’Union devienne plus proactive que réactive ? Il s’agit de ma note d’espoir. Nous voyons bien que l’Union a changé sa matrice de raisonnement, vis-à-vis de la politique de la concurrence, par exemple. Mais l’idée fondamentale est la suivante : l’Union ne pourrait-elle pas devenir plus proactive, plutôt que de progresser à chaque fois qu’il y a des crises ?

Synthèse

Avec la guerre en Ukraine, qui sera très longue, l’Union européenne a remarquablement su faire preuve d’unité en soutenant l’Ukraine et en sanctionnant la Russie, la relation avec cette dernière ayant été un des sujets les plus diviseurs entre Européens, constate Pierre Levy. Le degré d’exposition est différent entre les États membres de l’UE et la distance des États-Unis pose la question de l’unité transatlantique.

L’unité est une force dont a fait preuve l’Union européenne face à des crises non anticipées, indique Tiago Antunes. Les pays d’Europe se sont unis pour faire face à la pandémie de la Covid-19 en acquérant des vaccins, en créant des instruments pour conserver la force de travail et en constituant des fonds. L’unité s’est poursuivie durant la guerre en Ukraine, en adoptant des sanctions et en soutenant politiquement, financièrement et militairement l’Ukraine à l’unanimité.

L’unité de l’Union européenne s’est matérialisée avec force sur le plan climatique dans le monde à travers le paquet « Fit for 55[1] », constate Pierre-André de Chalendar. Si l’Europe est en avance, elle représente seulement 7 % des émissions mondiales et sa capacité d’entraînement est limitée. En revanche, la Commission Européenne est marquée par une vision encore forte axée sur la concurrence et l’intérêt du consommateur, ce qui est incompatible avec la notion de puissance industrielle. La situation a toutefois progressé avec la triple crise sanitaire, énergétique et géopolitique, avec l’avancée de discussions sur une politique industrielle. Dans le contexte de rivalité entre la Chine et les États-Unis, la situation de concurrence entre les pays à l’intérieur de l’Union européenne doit changer.

L’UE a évité les échecs au cours des trois dernières années, affirme Adam Tooze, en dépit d’un historique caractérisé par des finances limitées, un essoufflement de la croissance et une mauvaise capacité à réagir rapidement. Mais l’Union ne fait pas forcément la force, compte tenu du montant très limité de dette conjointe, des choix économiques et financiers qui sont avant tout politiques et de l’importance de la démocratie.

L’Union européenne a tiré des enseignements des crises de différentes natures, constate Maarja Kruusmaa. Compte tenu de comportements différents, une position claire est nécessaire en termes de solidarité. Face à la crise climatique, qui durera, il est important d’agir aujourd’hui. Il faut être capable de tirer des leçons des échecs passés pour les mettre à profit pour les crises futures, incertaines.

Le plus grand défi économique de l’Europe est de concilier ses engagements climatiques avec la compétitivité, qui a été influencée par la guerre en Ukraine et la crise énergétique, affirme Pierre-André de Chalendar. Le libre-échange prôné par l’Europe ne fonctionne pas puisqu’il n’est pas souhaité au niveau mondial. Avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le système est inopérant et conduira à l’abandon de pans entiers de l’industrie européenne, tels que l’automobile.

L’unité est constamment à l’épreuve des réalités et choix politiques, observe Pierre Levy. L’Union européenne doit faire face à une combinaison de défis : résister à la guerre, restaurer la sécurité européenne et la stabilité stratégique mondiale ; éviter les polarisations géographique et thématique ; renforcer la relation transatlantique en veillant à ses intérêts ; retrouver une capacité opérationnelle. Pour cela, des choix politiques sont nécessaires dans les vingt-sept États membres.

L’un des plus grands défis est de maintenir l’unité au sein de l’Union européenne en trouvant des solutions communes aux problèmes, en matière de fiscalité et d’électricité par exemple, indique Tiago Antunes. L’UE doit aussi s’ouvrir au monde pour des raisons commerciales et géopolitiques, en établissant notamment des règles avec les organisations d’Amérique du Sud. Pour assurer l’élargissement nécessaire de l’UE, qui aura des conséquences sur le plan de l’agriculture, du budget et de la gouvernance, des règles sont à modifier et un travail doit être réalisé par les pays membres et les pays candidats.

Le plus grand défi est celui de la gouvernance et du respect du principe de subsidiarité pour pouvoir répondre aux crises transfrontalières, estime Maarja Kruusmaa. Il est nécessaire de prendre des décisions et de déployer des instruments financiers rapidement lors de crises futures, en s’appuyant sur les leçons tirées des crises passées.

Il est impossible de prédire les prochaines crises, indique Adam Tooze. Pour faire face aux séries de chocs simultanés et interconnectés, une réaction rapide et une unité sont nécessaires, ce qui passe par l’amélioration de la gouvernance et le financement de la recherche et de politiques industrielles.

L’Union européenne détient des clés du problème, affirme Pierre Levy.

L’élément déclencheur de la crise est la question européenne et le refus par l’Ukraine de signer l’accord d’association avec l’UE en 2013, sous pression de la Russie qui raisonnait selon une logique de jeu à somme nulle et de sphères d’influence. Le défi est le développement de l’Ukraine dans l’UE. L’élargissement de l’UE est possible, en dépit de problèmes majeurs qui se poseront, mais la réforme des Traités ne devra pas se faire tout de suite. Il sera nécessaire de faire bon usage du Traité de Lisbonne et d’améliorer le fonctionnement de l’UE par des dispositions infra-traité.

Si l’élargissement est souhaitable, se concentrer sur la réforme des Traités conduirait au désastre, confirme Tiago Antunes. L’Union européenne sera de plus en plus résiliente face aux crises à venir. Un mécanisme permanent de gestion des crises est ainsi nécessaire pour éviter d’avoir à repartir de zéro et de perdre du temps.

L’Union européenne existe encore et offre de nombreux privilèges et une haute qualité de vie à ses citoyens, notamment grâce à son système de santé, rappelle Adam Tooze.

L’UE devient plus résiliente au fil des crises, confirme Pierre-André de Chalendar. Sur le plan économique, il est nécessaire de se protéger, d’innover davantage, de renforcer la subsidiarité et d’envisager positivement la décarbonation.

Les crises favorisent la réflexion et l’apprentissage, constate Maarja Kruusmaa. La guerre en Ukraine a ainsi permis de désigner un ennemi commun et l’espoir de la reconstruction sera partagé dans toute l’Europe. Le mécanisme de gestion de crise a été amélioré en tirant des leçons de la crise sanitaire.

Le plus grand défi pour l’Union européenne est d’être plus diversifiée et plus flexible, considère Tiago Antunes.

Elle est un modèle pour les autres démocraties libérales, estime Maarja Kruusmaa.

Les problèmes de financement devront être résolus afin de permettre à l’Europe d’emprunter davantage de manière autonome, conclut Catherine Lubochinsky.

La préservation des valeurs communes, surtout démocratiques, est un préalable au fonctionnement économique et de l’Union européenne.

Propositions

  • Tirer des leçons des échecs passés pour les mettre à profit pour les crises futures (Maarja Kruusmaa).
  • Restaurer la sécurité européenne, éviter les polarisations, renforcer la relation transatlantique en veillant aux intérêts de l’UE et retrouver une capacité opérationnelle (Pierre Levy).
  • Prendre des décisions et déployer des instruments financiers rapidement lors de crises futures, en s’appuyant sur les leçons tirées des crises passées (Maarja Kruusmaa).
  • Améliorer la gouvernance et financer la recherche et les politiques industrielles (Adam Tooze).
  • Instaurer un mécanisme permanent de gestion des crises (Tiago Antunes).
  • Se protéger, innover davantage, renforcer la subsidiarité et envisager positivement la décarbonation (Pierre-André de Chalendar).
  • Résoudre les problèmes de financement ; préserver les valeurs démocratiques pour assurer le fonctionnement économique de l’UE (Catherine Lubochinsky).

[1] Ensemble de propositions visant à réviser et à actualiser la législation de l’UE ainsi qu’à mettre en place de nouvelles initiatives pour veiller à ce que les politiques communautaires soient conformes aux objectifs climatiques arrêtés par le Conseil et le Parlement européen ; notamment l’objectif de réduire les émissions nettes de GES d’au moins 55% d’ici à 2030.

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