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Ours, taureaux, quel comportement pour les investisseurs ?

Propos introductif de Philippe Trainar, membre du Cercle des économistes

« Ours, taureaux, quel comportement pour les investisseurs ? », faut-il être haussier ou baissier ? Malthusien ou schumpetérien, sachant que la liquidité s’est asséchée sur les marchés ? Nous allons essayer de vous répondre avec Olivier Peronnet, président de Finexsi, et Rachid Sekak, associé fondateur de Sekak Conseils.

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord apporter un éclairage sur l’hétérogénéité des comportements, en fonction notamment des catégories d’investisseurs, des classes d’actifs, des régions du monde et des horizons temporels. Mais surtout, il faut s’interroger sur les opportunités d’investir et sur la manière de garantir un retour sur capital suffisant, dans un contexte apparemment chaotique, marqué à court terme par les tensions inflationnistes persistantes, la hausse des taux d’intérêt, la guerre en Ukraine, la fragmentation du monde qui en résulte et la montée de l’endettement, notamment public. À plus long terme, le monde est marqué par le ralentissement de la productivité du travail et la baisse de la productivité du capital, par la baisse de la part des profits dans le PIB aux États-Unis, dont on peut s’interroger sur les liens avec l’investissement. Un contexte marqué également par les défis multidimensionnels de l’environnement (biodiversité…), les coûts croissants de la transition énergétique, les régulations de plus en plus exigeantes qui s’imposent aux différentes catégories d’investissement. L’univers des risques n’a jamais été aussi complexe et menaçant. Alors, que faire dans ces conditions ? Trois constats sont importants pour notre discussion.

Premier constat, nous observons des comportements de plus en plus malthusiens au niveau de l’investissement dans les économies avancées. La formation nette de capital productif s’est ralentie et sa croissance se situe entre 1,0-1,5 %. Ce ralentissement de la formation du capital pèse sur la productivité du capital ainsi que sur la croissance économique qui est, de ce fait, limitée à 1,0-1,5 % sur le long terme dans nos régions. Les facteurs en sont multiples. Le premier, cité dans de nombreux panels, est que l’épargne européenne ne finance plus guère l’investissement européen. Le deuxième est l’univers des risques, qui s’est étendu… aujourd’hui plus que jamais, l’incertitude est de mise. Le troisième est que l’État lui-même s’est retiré et n’a plus fait, depuis de nombreuses années, de grand pari public… il a même abandonné l’un des grands paris qui nous aurait permis d’assurer la transition énergétique, le nucléaire.

Deuxième constat, nous observons une baisse tendancielle de la productivité dans les économies avancées, qui a été très bien mise en évidence par l’économiste Robert Gordon et qui pose le problème de savoir si nous sommes en présence d’un simple mouvement cyclique, résultat des chocs multiples qui ont frappé nos économies depuis une quinzaine d’années, ou d’une tendance longue, dont les causes ne seraient pas clairement identifiées (déclin de l’esprit d’entreprise, aversion croissante au risque, fiscalité trop lourde, endettement excessif, régulations de plus en plus contraignantes, rendement décroissants de l’éducation…). Clairement, les gains de la digitalisation ne se lisent toujours pas dans les statistiques macro-économiques… mais ce n’est pas la première fois que les gains de productivité liés aux innovations technologiques n’apparaissent pas immédiatement dans les statistiques officielles.

Troisième constat, nous faisons malheureusement face à des défis importants qui ont été cités tout au long de ces journées. Il s’agit des défis climatiques et du vieillissement de la population. Pour relever ces défis sans réduction substantielle, voire massive, du pouvoir d’achat, il serait impératif d’innover car le mantra de la redistribution ne sera certainement pas suffisant, si tant est qu’il soit réalisable à l’échelle requise, et probablement pas plus efficace que pour le développement économique des pays moins développés. Mais, pour innover, nous devons investir et de nombreux moteurs de l’investissement montrent des signes de faiblesse structurelle, comme nous l’avons vu.

Notre session va donc s’interroger sur comment investir, et surtout investir plus, sur où trouver des investisseurs disposés à « prendre du risque ». Je me tourne donc vers nos intervenants pour leur demander comment ils voient l’univers des investisseurs, leurs comportements et leurs fragmentations à la lumière de ce constat ?

Synthèse

La situation actuelle est marquée par le doute et l’attentisme, de même que par quelques paradoxes, observe Olivier Peronnet. Le premier paradoxe est que les investisseurs professionnels sont aujourd’hui sur la défensive notamment du fait des coûts de l’investissement. Le second paradoxe est celui du niveau de la valeur des actifs et en particulier du niveau des marchés financiers : le CAC40 se trouve sur des niveaux extrêmement élevés ce qui pourrait présager des évolutions à court terme. Enfin, les grandes entreprises ont privilégié ces dernières années le rachat d’actions à des niveaux presque équivalents au versement des dividendes. Ce dernier point, malgré une possible évolution, est représentatif des difficultés à trouver des projets d’investissement. Au regard de ces éléments et dans la période d’incertitude géopolitique que nous traversons, le comportement « Ours » pourrait être privilégié. Il faut toutefois souligner la résilience de nos économies, qui voient émerger des besoins colossaux en investissement en faveur de la transition écologique.

Devons-nous parler de risque ou d’incertitude, s’interroge Rachid Sekak. Depuis 24 mois, l’environnement économique présente 4 caractéristiques principales : une dimension géopolitique déterminante, une forte incertitude sur les données économiques, la fin de « l’argent facile » ainsi que la difficulté de maîtriser de nouveaux paradigmes. La stratégie défensive adoptée par les gestionnaires d’actifs dans ce contexte a notamment conduit à une croissance fulgurante du monétaire. Si l’avenir est incertain, il est cependant possible de dégager 3 grandes tendances. D’une part, la géopolitique sera au centre du jeu économique. D’autre part, la gouvernance mondiale va évoluer. Enfin, les enjeux environnementaux seront essentiels. La réponse la plus adaptée est alors de considérer la diversification comme la règle. Il s’agit de déterminer où positionner le curseur entre la prudence et l’audace et de privilégier un comportement hybride, « Renard ». Sur la dichotomie entre les pays développés et émergents, il faut différencier les pays de la région Asie qui possèdent un grand potentiel d’investissement dans leur ensemble, des pays d’Afrique qui présentent des tendances plus hétérogènes. L’Afrique doit se positionner afin de déterminer sa place d’acteur ou, au contraire, de « butin » sur le marché. En outre, le continent est une zone clé pour l’enjeu de transition énergétique à échelle mondiale.

À la question de savoir si les investisseurs répondront présents pour relever les défis imposés par la réglementation, notamment en matière de transition énergétique, Olivier Peronnet estime que la période faste des années précédentes ayant favorisé la création de réserves considérables, du moins chez les investisseurs privés, devrait permettre de répondre aux défis de demain en lien avec l’innovation. Rachid Sekak rejoint le propos, soulignant toutefois un manque de stabilité économique ce qui porte préjudice à l’émergence de projets d’investissement.

Propositions

  • Se doter d’une vision à plus long terme qui permette de mieux identifier les opportunités et risques de l’investissement et procurer aux investisseurs plus de visibilité, à court et long terme, grâce à un environnement réglementaire, fiscal et social attractif, i.e. stable et incitatif à l’innovation (Olivier Peronnet) ;
  • Adopter un nouveau comportement « Renard » à la croisée de l’Ours et du Taureau, dans une logique d’adaptation, afin de savoir où placer le curseur entre prudence et audace selon le contexte économique (Rachid Sekak) ;
  • Inventer de nouveaux modes d’investissements privés en impliquant toutes les institutions concernées, de sorte à reposer la question de la responsabilité du risque et à aider le fléchage des investissements vers des projets jugés pertinents pour l’avenir (Olivier Peronnet).

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