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Paroles d’espoirs

Propos introductif de Françoise Benhamou, Présidente du Cercle des économistes

Je voudrais citer un dossier de la revue Esprit d’avril 2023, dans lequel la philosophe Azadeh Thiriez-Arjangi évoque le mouvement des femmes iraniennes, dont le slogan, que vous connaissez sans doute tous, « Femmes, Vie, Liberté » est un appel à la sortie du totalitarisme. Elle écrit : « Désormais, l’espérance a pris le dessus sur la détresse. Elle a ouvert un chemin qui permet de se réconcilier avec le progrès de la liberté dans l’histoire ». Permettez-moi d’ouvrir cette session finale en saluant le combat des femmes iraniennes et de toutes celles et ceux qui se battent pour la liberté et pour la démocratie.

Tout au long de nos Rencontres, nous avons cherché ce qui permet de recréer l’espoir, bien entendu ; nous avons aussi largement évoqué les difficultés qui existent. Tout d’abord, nous avons souligné la résilience de nos économies. Quand on évoque la France, par exemple : le chômage recule, l’inflation semble se tasser, la réindustrialisation revient.  Mais la résilience économique n’est pas la résilience de la société et nous avons vécu des émeutes d’une rare violence. Le défi maintenant est de passer d’une société du ressentiment et de la violence à une société qui va de l’avant.

Je voudrais revenir sur quatre thématiques qui ont été très présentes pendant les Rencontres et qui seront celles de notre dernière session. La première est la technologie, l’innovation : face au développement de l’intelligence artificielle (IA), nous oscillons entre fascination et inquiétude. C’est la parabole d’Ésope sur le médicament, tout à la fois poison et remède. Les avancées sont là et elles sont immenses. Les avancées, c’est la santé, c’est la recherche, c’est le domaine de la défense… Elles se conjuguent avec la prise de conscience du fait que l’intelligence artificielle n’est pas sans danger et qu’il faudra la réguler. On a vu cette prise de conscience jusque dans la tech américaine. On a donc à la fois les avancées et la volonté de réguler, on va de l’avant.

Deuxième point : la recherche bénéficie d’échanges entre chercheurs du monde entier, mais le monde, lui, se fragmente. J’ai entendu parler à plusieurs reprises de l’Europe comme devenue un continent périphérique. Pourtant, face au désordre et face à la guerre, l’Europe est parvenue à réagir en bon ordre et cela, malgré nos différences et malgré nos histoires respectives. J’ai évoqué tout à l’heure les peuples qui se lèvent. Nos démocraties sont à l’épreuve, y compris dans les pays occidentaux. Oui, la défense de la démocratie est un combat. Nous le mènerons tous. Nous le gagnerons, c’est le premier des combats.

Troisième point : il aura beaucoup été question du climat et de l’environnement tout au long de nos Rencontres, et c’est une nécessité. Face à l’anxiété, face à l’accélération des désordres, trois éléments au moins nous permettent d’être du côté de l’espoir : d’abord, la prise de conscience. Elle est évidente, elle se renforce chaque jour avec une transformation des modes de vie, avec la volonté de rompre avec l’économie du gaspillage. Deuxièmement, la capacité d’adaptation que nous avons eue face aux chocs brutaux, face à la montée des prix de l’énergie, est source d’optimisme. On voit bien que nous sommes capables, là encore, de beaucoup de résilience. Et enfin, la montée des investissements verts. Ainsi, même du côté du climat et malgré la chaleur que nous vivons, l’espoir est là.

L’espoir est aussi dans les quartiers, que nous voyons trop souvent dans leur face la plus sombre et la plus inquiétante ou la plus difficile en tout cas. A cela, nous avons envie de répondre en trois mots : l’école, l’école, l’école. L’éducation pour former bien sûr, pour monter en compétences, car nous an avons besoin, et cela a été dit, mais aussi pour rappeler les valeurs de la République. Il faut enfin construire une économie du temps libre pour les jeunes, à la fois de l’emploi mais aussi du temps dit de loisirs, pour que ce temps ne soit pas un temps vide qui soit propice au fait qu’ils empruntent des chemins de traverse.

Sur toutes ces questions, l’espoir est là.

Synthèse

Les gains de productivité issus de l’IA ont été largement orientés vers la consommation de masse, avec un progrès technologique très biaisé en faveur des plus compétents et des plus favorisés, explique Victor Storchan. Le XXIe siècle, espère-t-il, sera le moment où le monde sera capable de comprendre comment utiliser l’IA pour la consommation durable, en remettant l’humain au centre. Des études académiques très intéressantes montrent que l’utilisation de ChatGPT peut resserrer les gains de productivité entre les plus faibles et les plus compétents. Pour arriver à transcrire sur le temps long ce qui est pour l’instant un résultat de recherche académique dans l’industrie, il faut que nous puissions créer des alliances au bon niveau, à la fois social pour accompagner très fortement l’automatisation dans l’industrie et, évidemment, au niveau de la gouvernance globale d’alliances géopolitiques concrètes. La phase de recherche en IA, comme dans les autres sciences, est fondamentalement du temps long. L’approche doit par ailleurs être multipartite, pluridimensionnelle et, pour cela, un enjeu semble être en France un peu sous-estimé au niveau de la recherche industrielle comme publique : celui de la communication. Il faut apprendre collectivement à se parler. Commencent à émerger des initiatives extrêmement intéressantes d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) aux États-Unis, qui réunissent la société civile et les entreprises, et qui se posent cette question de la taxonomie et du vocabulaire. Enfin, dernière variable, celle de la formation au sein des entreprises. Dans l’accompagnement de l’automatisation, les partenaires sociaux ont un rôle essentiel. Ils doivent non seulement accompagner la formation, mais aussi être en état de pouvoir proposer une offre de formation adaptée.

Aujourd’hui, les journalistes ne peuvent pas se rendre en Afghanistan et en Iran, rapporte Ava Djamshidi. Mais dans ces endroits, énormément d’initiatives sont menées à bas bruit. En Iran, la Révolution culturelle d’aujourd’hui se nourrit de la volonté des droits déjà acquis en France et que l’on oublie peut-être parfois. Les mots d’espoir pour les Iraniens comptent énormément. Dans ces pays où les femmes ont très peu de droits, la situation est tellement atroce que, si elles ne se battent pas, leur horizon est totalement sombre et leur seule autre option est de se nourrir d’antidépresseurs. Cette vie atroce est en elle-même le moteur pour essayer de se battre, quel qu’en soit le prix. À Téhéran, des femmes risquent leur vie pour aller faire leurs courses sans voile. Face à ce régime extrêmement conservateur, il n’est pas question pour elles, aujourd’hui, de revenir en arrière et elles préfèrent en payer le prix. Elles demandent aux journalistes de relayer leur combat, car il est essentiel que cette énergie soit retransmise par les citoyens de France et de l’étranger. Il est essentiel de se rappeler que tous les droits considérés comme acquis en France ne le sont pas partout.

On vit dans un monde qui évolue constamment, constate Melati Wijsen. Tant d’évènements se produisent, des bons et des mauvais, que cela peut être accablant. Grâce au pouvoir de l’espoir et de l’imagination, on peut inviter les gens à suivre notre mouvement. La peur et les discours alarmistes sur le climat ne mènent à rien. La science nous dit qu’il faut agir maintenant et l’espoir est l’ingrédient le plus important de ce mouvement.

Chacun est concerné par ce qui s’est passé récemment, remarque Fathi Benjilali. Si on peut danser ensemble, on peut vivre ensemble. Tout passe par l’éducation. Il faut remettre au cœur de l’éducation le patriotisme, les valeurs démocratiques et la République.

Il est possible que l’intelligence artificielle rende les moins productifs plus productifs et qu’au fond, cette technologie réduise le fossé culturel ou social, fait observer François Lenglet.

On peut y croire si on accompagne bien le changement, estime Victor Storchan. La technologie ne va pas se substituer à la décision politique et à ce que l’on en fait, mais le déploiement de la technologie, qui est une question hautement politique, doit être accompagné et orienté collectivement. Les démocraties libérales ont besoin de convergence. En effet, l’intelligence artificielle peut être à la fois utilisée pour augmenter l’efficacité de ressources et aider la transition climatique, que pour du gaspillage et de la fast fashion. La régulation et le cadre doivent être commun au moins entre l’Europe et les États-Unis. Pour cela, il est nécessaire de réduire les asymétries d’information qui existent entre l’écosystème du monde des ingénieurs et celui des décideurs publics. Les entreprises ne pourront pas survivre à des divergences trop grandes entre les différents marchés.

Tout ce dont nous pouvons jouir en France – écoles, bibliothèques gratuites, hôpitaux – n’existe pas dans la majorité des pays du monde, remarque Ava Djamshidi. C’est en prenant conscience de vivre dans un endroit extraordinaire que nous avons envie d’aller raconter ce qui se passe ailleurs. « Quand on se regarde, on se désole et quand on se compare, on se console ».  Il est possible d’aider à faire que les choses s’améliorent chez nous, mais aussi à l’extérieur. Quand elle rentre en France, elle se réjouit à chaque fois d’avoir la chance d’être née dans une République et de vivre dans une démocratie libérale.

Il n’y a pas qu’une façon de créer du changement, explique Melati Wijsen. Nous avons besoin des capacités de tous (journalistes, experts en technologie, professeurs, agriculteurs…). Il y a de l’espoir tant qu’on célèbre la capacité de chacun à faire part du changement.

L’éducation populaire est un pan important de l’éducation. Former des talents très divers pour la technologie, par exemple, est absolument essentiel, et ce à tous les niveaux, explique Victor Storchan. La diversité est une énorme chance, répète -t-il. Tout euro investi dans l’éducation est un euro très bien investi sur le long terme.

Il faut également responsabiliser les parents, précise Fathi Benjilali. Certes, il existe un historique avec la ségrégation culturelle, mais il est important de recentrer la place des parents.

En traversant les récents évènements en reportage à Nanterre, une forme de convergence des peurs s’est révélée, constate Ava Djamshidi : la peur des parents, quelles que soient leurs origines, d’interpellations avec les forces de l’ordre qui tournent mal, la peur des jeunes qui saccagent, que peuvent parfois ressentir ces mêmes parents, et la peur des contrôles policiers qui dégénèrent et de se trouver dans des situations où ils seraient obligés de prendre une décision qui pourrait être irréparable et compromettante pour leur avenir professionnel.

Davantage de règles et de liens pourrait peut-être permettre que cela s’arrange, même si cela peut paraître un peu naïf.

Il faut se poser la question des valeurs, estime Françoise Benhamou, et inculquer des valeurs très tôt aux enfants.

Cette explosion ne semblait pas possible en France, s’étonne Fathi Benjilali. Il faut apprendre à être, revenir à l’essentiel et transcender le « Liberté, Egalité, Fraternité ».

Ce qu’il se passe en Iran, c’est la première révolution féministe de l’histoire portée à la fois par des hommes et par des femmes, rappelle Ava Djamshidi. Pour aider les Iraniens, il y a ce qu’on peut faire à l’échelle individuelle, à savoir continuer de relayer cette révolution avec l’ampleur qu’elle mérite. D’un point de vue plus politique, la principale demande des opposants iraniens est que toute personne participant à ce régime soit interdite de séjour dans les pays de l’Union européenne (UE) ; c’est une décision qui aujourd’hui est extrêmement compliquée à prendre. La France ne peut pas le décider toute seule. Or, certains mollahs ont l’habitude de venir séjourner dans les pays de l’UE, de profiter de l’alcool qu’ils interdisent et pour lequel ils pendent des jeunes dans leur propre pays. Ce paradoxe est insupportable pour les Iraniens qui ne peuvent pas sortir.

Françoise Benhamou conclut en citant Ernst Bloch qui disait : « L’espoir ce n’est pas une croyance, c’est ce qui nous fait avancer. »

Propositions :

  • Apprendre collectivement à nous parler les uns les autres (Victor Storchan).
  • Appuyer les politiques centrales sur les élus locaux (Fathi Benjilali).
  • Accompagner et orienter collectivement le déploiement de la technologie (Victor Storchan).
  • Responsabiliser les parents (Fathi Benjilali).
  • Miser sur la diversité (Victor Storchan).
  • Inculquer des valeurs très tôt aux enfants (Françoise Benhamou).
  • Renforcer les règles et les liens pour apaiser les tensions (Ava Djamshidi).
  • Célébrer la capacité de chacun à faire part du changement (Melati Wijsen).

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