Propos introductif de François Geffrier, Radio Classique
Peut-on maîtriser le numérique ? La réponse est évidente pour vous, dans cette salle, qui avez dû pour la plupart maîtriser le numérique au travers d’applications comme SNCF Connect pour vous rendre sur les lieux. Tout le monde ne maîtrise pas le numérique en France où la vie sociale et administrative est pourtant toujours plus numérisée. Nous nous demanderons également si l’intelligence artificielle risque de renforcer ces clivages ou peut contribuer à les réduire.
Synthèse
Il serait prétentieux de dire que nous sommes capables de maîtriser le numérique aujourd’hui, estime Élisabeth Moreno. Alors qu’une étude IPSOS faisait le constat en 2022 que 43 % des enfants de 0 à 2 ans utilisaient internet pour se divertir, nous pouvons nous faire une idée de l’importance de maîtriser le numérique. Il s’agit d’un outil qui nous transforme en tant qu’être humain, qui transforme notre rapport à l’éducation, au monde de l’entreprise, ou encore à l’information. Le numérique ne fait qu’amplifier le meilleur et le pire de l’humain. Il exacerbe par exemple les inégalités existantes, y compris entre les femmes et les hommes : 27 % de femmes sont représentées dans le secteur du numérique. Quel sera le monde de l’emploi de demain pour les femmes si elles ne sont pas incluses dans le changement ? Si l’outil inquiète, il peut aussi être facteur de progrès et apporter des réponses aux défis de notre époque. Sur le continent africain, tandis que la démographie empêche les États de disposer des moyens nécessaires à la construction d’écoles en nombre suffisant, l’enseignement à distance peut par exemple favoriser l’inclusion.
Toute technologie peut être utilisée pour le meilleur et pour le pire, affirme Jacques Attali. Le numérique est un outil dont la dimension actuelle s’accélère et transforme les rapports humains. Nous pouvons faire trois constats principaux. Premièrement, l’accélération du numérique comporte le risque d’une société d’individus de plus en plus solitaires, de « bulles » individuelles, avec en parallèle un pouvoir financier concentré autour de personnes ayant connaissance des données produites par ces « bulles ». Deuxièmement, l’urgence d’orienter le progrès vers une « économie de la vie » qui soit vertueuse pour la société et l’environnement.
Troisièmement, le risque de dérives en matière génétique dans le contexte de développement de l’intelligence artificielle (IA). Si l’IA est toutefois cruciale dans des domaines tels que l’éducation, il s’agit de développer dans le même temps des moyens au service de la pédagogie. Notamment, les outils que sont les téléphones portables ne doivent pas pousser à une culture du court-termisme et mettre fin à des apprentissages de base (calcul, apprentissage de la langue maternelle et des langues étrangères).
Nous arrivons au constat du meilleur et du pire pour le numérique, mais qu’en est-il du besoin de réguler l’outil. Jacques Attali rejoint le propos d’une nécessaire régulation. Malgré tout, il remarque que cet effort n’est pas fourni naturellement par les États, bien que des moyens soient mis à disposition. Élisabeth Moreno observe également qu’un courage politique important est indispensable afin de pouvoir réguler. Des initiatives ont heureusement eu lieu par le passé (Digital Services Act), cependant les personnes en capacité d’agir étouffent quelquefois les initiatives qui leur semblent incompatibles avec un monde de surconsommation. Les chefs d’entreprise doivent prendre part à l’effort de régulation pour l’avenir.
Points forts du débat
- Élisabeth Moreno souligne l’avantage européen en matière de régulation (RGPD, Digital Services Act), qui joue en faveur de la maîtrise du numérique.
- Les intervenants se sont rejoints sur les défis du numérique et de l’éducation, de même que sur les dérives possibles du progrès qui peut « tuer » (cyberharcèlement) et favoriser un monde à double vitesse.
- Jacques Attali alerte particulièrement sur la tendance naturelle de toute technologie à l’enfermement, tandis qu’Élisabeth Moreno insiste sur le danger du numérique dans son utilisation individuelle si elle n’est pas maîtrisée.
Propositions
- Éduquer la jeunesse, filles et garçons, de même que les personnes les plus âgées ou peu habituées au numérique dans leur quotidien pour donner à chacun les moyens de le maîtriser et rendre le monde moins anxiogène (Élisabeth Moreno).
- Mettre les nouvelles technologies au service d’une économie « de la vie » (éducation, santé, énergies renouvelables, etc.) et non « de la mort » (énergies fossiles, surconsommation, etc.) (Jacques Attali).
- Inciter les entreprises à assumer leurs responsabilités en matière de régulation (Élisabeth Moreno).
