Propos introductif de Bruno Decreuse, membre invité du Cercle des économistes
Christopher Pissarides, Prix Nobel d’économie en 2010, avait coutume de commencer toutes ses conférences en disant : « Il y a trois sujets importants dans la vie : le premier, c’est trouver un emploi, le deuxième, c’est trouver un ou une partenaire, et le troisième, c’est trouver un logement. » Et à chaque fois, il disait : « J’ai la chance de travailler sur ces trois sujets. » Aujourd’hui, nous allons nous intéresser qu’à un seul de ces trois aspects, le logement. Pourquoi ? Parce que l’État vient d’annoncer son nouveau plan logement, qui a différentes dimensions : tout d’abord l’abandon de la loi Pinel, l’évolution du prêt à taux zéro, l’achat des logements non pourvus par l’État, l’extension de la garantie Visale, cette garantie qui permet de pallier les défaillances des locataires lorsqu’ils ne payent pas leur loyer ; il y a aussi et surtout la patate chaude : comment faire pour libérer le foncier ?
Pourquoi un énième plan logement ? Parce qu’il y a une nouvelle crise du logement (en tous cas nos médias l’annoncent). Cette nouvelle crise du logement est symbolisée par un chiffre : il va manquer à l’horizon 2025 – c’est-à-dire demain – à peu près 25 % de nouveaux logements. La production de nouveaux logements n’est pas stoppée, mais elle est quand même freinée. Face à cette pénurie de logements, l’État a souhaité un nouveau plan. Ce nouveau plan logement intervient sur un marché déjà très régulé. On peut songer d’abord au secteur HLM, qui représente près de 15 % du parc des logements, c’est un record en Europe. On peut songer aussi à l’encadrement des loyers, qui varie selon les zones. On peut songer aussi à toutes les lois qui encadrent les procédures d’expulsion et qui, bien évidemment, sont très importantes d’un point de vue social, mais qui en même temps affaiblissent considérablement les droits de propriété sur les biens immobiliers. On peut songer encore à la constructibilité des terrains, qui elle aussi est très impactée par les nouvelles régulations en matière de développement durable. On peut songer aux allocations logement, qui ont des effets dont nous allons discuter brièvement tout à l’heure. On peut songer aux aides à la propriété. Bref, beaucoup de régulations.
Ces régulations sont très importantes, mais en même temps, elles créent des rigidités qui se heurtent à un contexte macroéconomique nouveau : ce contexte macroéconomique, vous le connaissez tous : la nouvelle ère inflationniste et la montée des taux initiée par les banques centrales, puisque leur mission première est le contrôle de l’inflation. Dans le même temps, cette régulation est très importante, elle est très touffue, elle est très dense et elle pose un véritable problème informationnel. Pourquoi ? Parce que nul n’est censé ignorer la loi. Pourtant, tout le monde l’ignore plus ou moins. Ainsi, en pratique, la qualité de l’information et la disposition des acteurs du marché immobilier est en question et, au-delà de la qualité, c’est aussi l’asymétrie de l’information qui est en question : tout le monde n’a pas le même degré de connaissance de la régulation et de toutes les astuces qu’il faut déployer pour finalement faire son jeu sur le marché immobilier.
Les économistes ont coutume d’être assez critiques vis-à-vis des régulations. Deux exemples sont assez connus : le premier est l’encadrement des loyers, nécessaire dans les zones tendues parce que, sinon, le budget des ménages serait très impacté, mais en même temps cet encadrement des loyers est un prix plafond sur le loyer, prix plafond qui vient gêner l’ajustement de l’offre et de la demande sur le marché locatif, qui crée un excès de demande en quelque sorte. Et dès lors que vous avez un excès de demande, il y a rationnement de la demande. Ce rationnement de la demande passe par des mécanismes qui ne sont pas des mécanismes de prix. C’est toute la thématique de la discrimination sur le marché locatif, c’est aussi toute la thématique de la qualité du parc locatif, avec des incitations parfois un peu réduites pour les propriétaires d’investir dans leur bien immobilier. Voilà un premier exemple. Le deuxième exemple, ce sont les allocations logement : elles sont très discutées et elles ont été accusées de participer à la hausse des prix, à la hausse des loyers sur un marché où l’offre locative est très peu élastique. Bref, certains économistes sont assez critiques vis-à-vis de ces politiques.
Pour autant, est-ce qu’il faut être cynique ? Faut-il à tout prix considérer que l’action de l’État en la matière sera forcément inutile et très inefficace ? Pas du tout et nous allons vous proposer de nouvelles solutions, des pistes d’espoir.
Synthèse
Le secteur de la construction est par définition un secteur cyclique, souligne Hervé Montjotin. On observe actuellement une crise conjoncturelle qui est intervenue post-Covid, au moment de la guerre en Ukraine, à savoir le renchérissement du coût de la construction, renforcé par les normes environnementales nécessaires, la filière construction émettant à peu près 30 % des gaz à effet de serre. À cette séquence a succédé brutalement une crise de la demande, conséquence de la remontée des taux. Cet enchaînement a un caractère assez inédit, d’où probablement le caractère un peu déceptif des annonces qui ont été faites. En effet, classiquement en France, dans des situations de ce type, la réponse est de booster la demande par des mesures fiscales. Or, le seul choix qui a été fait a été de faire confiance au marché, un marché très particulier pour plusieurs raisons : tout d’abord, il est très contraint sur le plan des normes. Par ailleurs, le logement est par essence un bien peu liquide. Les prix s’ajustent très lentement, l’ajustement devrait être de l’ordre de 5 à 10 %. Aucun crash ne se produira, d’autant plus que les ménages français sont endettés à taux fixes. Tout concourt à une forme de ralentissement, engourdissement de la filière. Le point central est qu’il existe 4 millions de mal-logés en France. La demande va continuer à croître, le pic démographique en France devant être atteint en 2040. L’enjeu est de favoriser l’accès au logement. Se pose aussi un enjeu de mobilité professionnelle : au moment où l’on parle de réindustrialisation, le logement pourrait constituer un frein essentiel. C’est également un enjeu de cohésion sociale majeur, car lentement mais sûrement, une société de rentiers est en train d’être créée. Enfin, il y a un enjeu majeur : déplacer l’effort sur la rénovation.
Le monde du financement du logement alimente le marché du logement par deux biais extrêmement simples, précise Maya Atig. Tout d’abord l’épargne, une bonne partie du patrimoine des ménages français étant constituée de leur logement et une bonne partie des achats se faisant avec l’épargne, et bien entendu le crédit, qui permet de projeter cela dans le temps et qui permet de ne pas avoir de société de rentiers. Dans le domaine du logement, encore plus que d’autres domaines, de très grandes institutions et de très nombreux acteurs publics et privés font des choix afin d’apporter des solutions à des ménages, qui eux font des choix pour des raisons complètement différentes. Le logement est au cœur de la stratégie des banques sur le marché des particuliers français, c’est un élément essentiel de concurrence. Cela tire les taux à la baisse par rapport à leur niveau naturel. Les taux du marché immobilier français ont augmenté deux fois moins vite qu’ailleurs en Europe. Ils augmentent, ce qui alimente un certain attentisme, mais on continue pour autant à se financer en France beaucoup moins cher qu’ailleurs et essentiellement à taux fixe (96 %). La production de crédits immobilier baisse par rapport à des niveaux historiquement élevés en 2021-2022, de l’ordre de 22 milliards d’euros de nouveaux crédits par mois alors que nous sommes retombés aux alentours de 15 milliards d’euros de crédits actuellement. Nous sommes revenus au niveau de 2016, ce qui est déjà très important. Il faut cependant noter qu’entre temps les prix de l’immobilier ont augmenté. Pour le même montant de crédit, il y a une pièce en moins ou alors il faut aller habiter 20 km plus loin. Un choix individuel est à faire quand l’offre collective change.
Il y a 70 ans a été créé le 1 % logement. Aujourd’hui, Action Logement représente 0,45 % de la masse salariale des entreprises de plus de 50 salariés, rappelle Nadia Bouyer. Sa vocation est de favoriser le logement pour faciliter l’emploi. Il y a 5 ans, Action Logement s’est réorganisée avec l’objectif de doubler la production de logements abordables, ce qui a été fait, dans un contexte de construction de logements très compliqué, avec des contraintes financières inédites, grâce à un puissant système de financement du logement social en France permettant de protéger ce secteur d’aléas qui peuvent exister sur le financement. Dans le même temps, les services aux salariés ont augmenté de 40 %, tout en réduisant les frais de fonctionnement, grâce à trois facteurs : une gouvernance paritaire de ce mouvement 1 % logement, une ultra-territorialisation de l’organisation et une correction des défaillances de marché (par exemple, avec la garantie Visale, Action Logement se porte garant des jeunes de moins de 30 ans).
On ressent déjà les effets de la crise du logement sur le terrain, souligne Carole Delga. La production de logements est insuffisante en Occitanie alors que la population est en augmentation et que l’on observe un phénomène de réindustrialisation. Ce manque de production de logements commence à produire des tensions sociales sur tous les territoires. De plus, la question du logement s’est corrélée à la question de l’emploi. Actuellement, la réindustrialisation se fait en général dans des territoires non urbains. Pour qu’il y ait réindustrialisation, il faut qu’il y ait du logement, ce qui est extrêmement difficile dans des territoires périurbains, ruraux ou de montagne. La tendance sociétale du télétravail est aussi à prendre en compte. Ces deux paramètres font que le positionnement de la demande de logement est moins concentré sur les métropoles et un peu plus dans les petites villes d’équilibre. Une autre tendance sociétale est d’avoir plusieurs métiers dans une vie, ce qui entraîne une hausse de la mobilité à laquelle on n’arrive pas à répondre par manque de logement. Par ailleurs, la question de la rénovation est le parcours du combattant, par exemple pour un maire d’une petite commune qui doit rénover des bâtiments, parce que la complexité en matière de droit de l’urbanisme est forte, ou encore pour les copropriétés. Il faut repenser la question du logement et de l’habitat. Pour des questions de lutte contre le réchauffement climatique, il faut arrêter de s’étendre et être un peu plus dans la densité. Mais pour avoir de la densité, il faut avoir du bien-vivre et donc repenser la question des espaces publics.
L’enjeu partagé par tous est celui de la rénovation du parc existant, souligne Hervé Montjotin. Le sujet n’est pas tant de produire 400 000 logements par an, mais de rénover à la bonne vitesse ce qui doit être rénové. La rénovation est un processus complexe, à la fois sur le plan technique et sur le plan réglementaire. Il est très important de garantir une bonne fluidité d’information au sein de la filière : si l’État se désengage, comment la filière peut-elle se prendre en main ? Cela peut passer par l’économie circulaire, le fait de réemployer des matériaux d’un bâtiment A qui sera détruit vers un bâtiment B. Cependant, il est primordial de savoir comment flécher les matériaux réutilisables, comment garantir leur performance et donc l’assurabilité du futur bâtiment. L’accès au financement de la rénovation énergétique est un sujet somme tout assez récent. Le sujet de la rénovation reste parfois très normatif et il faudrait faire plus confiance à la capacité de la filière à se réunir sur des enjeux de performance.
Le secteur bancaire est vraiment acteur du monde du logement, avance Maya Atig. Le message est simple : que tout le monde aide les Français à se loger de manière saine et durable et à réaliser leurs projets. Il faut aussi que les acteurs aient un message simple de confiance : les banques sont là pour financer de manière saine les projets de leurs clients, sans surendetter, sans spéculer. Ensuite, il est très important de renvoyer le choix aux ménages en leur indiquant en transparence la norme qui va être appliquée, le type de prestataires auxquels ils peuvent avoir recours, que ce soit pour construire, pour acheter ou pour rénover, ainsi que les financements. Avec les pouvoirs publics et parfois les régions, les banques offrent une palette de solutions, mais ce n’est pas la solution qui fait le projet. Il faut au contraire rassurer les ménages ou les investisseurs dans le monde locatif ou institutionnel : ils peuvent bâtir leur projet et, ensuite, la solution de financement ira avec.
Les présidents de région ont été très surpris du plan gouvernemental, du manque d’ambition et du manque d’outils, souligne Carole Delga. En effet, la concertation menée dans les mois précédents contenait de nombreuses propositions très intéressantes. Les régions doivent pouvoir piloter le foncier. Se pose également la question du financement. Beaucoup d’aides existent, mais il est difficile pour les particuliers de s’y retrouver. La création d’un guichet unique est donc nécessaire. En raison de l’inflation et des taux d’intérêt qui augmentent, les ménages ont de plus en plus de difficultés financières, ce qui nécessite des dispositifs d’avance des subventions, ce que fait l’Occitanie.
Les politiques d’urbanisme ont été décentralisées dans les années 1980, rappelle Nadia Bouyer. Cela n’a pas été le cas de la politique du logement, qui reste assez nationale ; l’enjeu est donc de la décentraliser. La solution est de faire ensemble, à l’échelle territoriale : entreprises, syndicats, collectivités locales, associations, banques… Il faut passer à l’échelle et former massivement les professionnels du bâtiment pour donner confiance aux particuliers. La responsabilité des grands acteurs est en jeu, que ce soient les acheteurs publics ou les sociétés d’économie sociale et solidaire, pour orienter massivement l’achat public, pour massifier ces solutions de rénovation et de construction.
Au Vietnam, la politique du logement n’est pas tellement différente de celle de la France, explique Xuan Thanh Nguyen.
Pendant beaucoup d’années, les autorités locales se sont chargées de ce domaine. Aujourd’hui, le pays profite de la mondialisation et bénéficie de nombreux investissements étrangers, ainsi que de l’afflux de travailleurs migrants. Le Vietnam cherchait à soutenir la classe moyenne supérieure grâce à sa politique du logement, mais tout a changé à cause de la crise Covid. Les travailleurs migrants étaient très mal logés et c’est dans ces zones que l’incidence de la Covid a été la plus élevée. Le gouvernement central et les gouvernements provinciaux ont dû rédiger une toute nouvelle politique de logements sociaux pour les travailleurs migrants, car ils ont compris le risque inhérent à cette tension sociale.
Aujourd’hui, le souhait est de rester ouvert sur le plan économique et de profiter de ces changements dans la chaîne d’approvisionnement mondial qui provoque un déplacement en masse de travailleurs ruraux vers les zones urbaines ; cela ne sera pas possible s’il n’y a pas de politique de logement durable. Il y a trop de réglementations au Vietnam, ce qui freine la rénovation et la construction, et le pays manque d’infrastructures qui soutiennent la construction. L’idée est de décentraliser davantage, de donner plus de pouvoir aux autorités provinciales. Au Vietnam, le guichet unique est une sorte d’agence publique locale qui approuve les projets de logement et qui se charge des inspections. Peu de rénovations sont effectuées, le pays crée des logements neufs et devrait utiliser les énergies renouvelables pour le faire. Or, le gouvernement n’arrive pas à développer d’infrastructures innovantes, estimant cela trop coûteux. L’objectif est donc d’employer les partenariats publics privés (PPP). Un certain pourcentage des revenus générés par la vente aux enchères des terrains est mis de côté pour financer des projets durables et les entités privées de construction reçoivent une partie de cette somme pour aider à financer la création de logements nouveaux. Le respect de certaines normes en termes d’économie circulaire et d’énergie renouvelable est nécessaire lors de ces projets de construction de logements. Le problème est la transmission : il faut avoir un réseau intelligent d’électricité pour pouvoir employer l’énergie verte. Les intentions des politiques sont toujours magnifiques ; le défi, c’est la mise en œuvre.
Propositions
- Déplacer l’effort sur la rénovation (Hervé Montjotin).
- Repenser la question des espaces publics (Carole Delga).
- Aider les Français à se loger de manière saine et durable (Maya Atig).
- Créer un guichet unique concernant l’ensemble des politiques d’aide au logement (Carole Delga).
- Décentraliser la politique du logement (Nadia Bouyer).