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« Hausses du blé, du soja et de l’huile de palme : est-ce le printemps des pays émergents ? »

Après une chute au premier semestre 2020, les prix des biens agricoles augmentent depuis la fin de l’année dernière. Akiko Suwa Eisenmann revient sur les raisons de cette tendance et dresse les perspectives dans le contexte de crise sanitaire.

SojaEn février 2021, le cours du soja était 53% plus haut que son cours de février 2020, celui de l’huile de palme 40% plus haut, et celui du blé tendre 16% plus haut. L’indice agrégé des céréales est désormais 32% plus élevé que son niveau de 2019 d’avant la pandémie et l’indice agrégé des huiles et tourteaux, 56%. Va-t-on vers un nouveau boom des matières premières agricoles ? Et est-ce le signe d’une vitalité retrouvée pour les pays émergents ?

Pour le savoir, il faut s’interroger sur les causes de cette hausse des prix agricoles.

Les prix des matières premières agricoles dépendent de l’offre et de la demande. Du côté de l’offre, le phénomène climatique de la Niña, ce courant d’eau froide dans l’océan Pacifique, actif en 2020-2021, favorise l’hémisphère nord tout en apportant pluies en Asie du Sud-Est et en Afrique du Sud, et sécheresse en Afrique centrale. Cependant, au niveau global, les stocks provenant des années précédentes sont suffisants pour éviter des réactions trop brusques des prix à des chocs climatiques. Cette disponibilité globale recouvre cependant des phénomènes contrastés : certains pays en développement ont connu une pénurie alimentaire et une hausse marquée des prix, comme au Nigéria ou au Soudan.

L’offre agricole dépend aussi à court terme, d’un regain de la pandémie qui pourrait conduire à des reconfinements ou des mesures éventuelles de restrictions aux exportations dans certains pays, comme en Argentine sur le maïs ou en Russie sur le blé. Les prix des biens agricoles sont également influencés par le prix du pétrole, à travers le coût du transport et des engrais.

La demande, elle, est dépendante de l’activité. Or, la conjoncture est encore incertaine. Si la croissance est suffisante dans le monde, tirée par la Chine et les Etats-Unis, avec l’énorme plan de relance du président Biden, la demande de biens alimentaires – et de matières premières agricoles – devrait être soutenue. Un coup de pouce supplémentaire serait apporté par la dépréciation du dollar par rapport aux autres monnaies, ce qui rend les matières premières (souvent libellées dans cette devise) encore plus attractives. Cette dépréciation du dollar, amorcée dès la mi-2020, est sans doute la raison principale de la hausse nominale des cours agricoles de ces derniers mois. Là encore, il faut espérer que des mesures protectionnistes ne viendront pas entraver les échanges, comme le récent coup de frein de la Chine aux importations en provenance d’Australie.

La hausse des prix agricoles est donc encore fragile. Elle dépend pour l’instant moins de facteurs structurels que conjoncturels, en premier lieu, la baisse du dollar. Elle peut être compromise par des tensions commerciales ou une troisième vague de la pandémie.  Pour le printemps des pays émergents, il faut attendre tout d’abord une vraie campagne de vaccination qui leur permettra de sortir de la crise. A plus long terme, la nature de la demande agricole aura son importance : dans le « monde d’après », les consommateurs, en particulier les classes moyennes des pays émergents, sont-ils prêts à acheter moins de produits animaux ? Vont-ils se tourner plus vers les biocarburants ?

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