" Osons un débat éclairé "

La pauvreté dans tous ses états

Pour des personnes qui n’épargnent rien, chaque hausse de prix non compensée se traduit par des restrictions fortes sur des postes essentiels comme la nourriture, le chauffage ou l’habillement explique Alain Trannoy.

Il est dans l’ordre des choses que la poussée inflationniste fasse des perdants et des gagnants. Chez nous, les finances publiques ressortent affaiblies, les ménages globalement ont vu leur pouvoir d’achat préservé en 2022, avec un mieux en 2023 de l’ordre de 1%. Qu’en est-il pour les plus démunis, ceux dont les ressources sont inférieures au seuil de pauvreté défini comme 60% du revenu médian ?

On ne pourra répondre précisément que d’en plus d’un an, en novembre 2024, avec une estimation avancée du taux de pauvreté de 2023 de la part de l’INSEE. Mais d’ores et déjà, les faits pointent vers une dégradation. Si les effectifs des allocataires d’un minima sociaux restent globalement stables, la question de la revalorisation du montant des prestations devient cruciale en période de forte inflation. Pour des personnes qui n’épargnent rien, chaque hausse de prix non compensée se traduit par des restrictions fortes sur des postes essentiels comme la nourriture, le chauffage ou l’habillement. C’est d’autant plus vrai pour des ménages chez qui l’indice des prix à la consommation – calculé pour un ménage moyen – reflète mal la hausse qu’ils subissent, car pour eux la part des produits de base et de l’énergie est plus importante dans leur budget.

Selon la note de conjoncture de l’INSEE du mois de mars, l’inflation pour un ménage âgé du dernier quintile de revenu habitant à la campagne atteignait 9% − trois points de plus que la hausse des prix concernant l’ensemble de la population.

Les allocataires accumulent les pertes de pouvoir d’achat

Au total depuis le retour de l’inflation en 2021, le rythme d’indexation est très fluctuant selon les années, mais au bout du compte les allocataires accumulent une perte de pouvoir d’achat significative. Dans un document récent, la DREES fait état pour l’année 2021 d’une baisse de 2,7 % du pouvoir d’achat des bénéficiaires du RSA. Si l’année 2022 a vu une revalorisation à la hauteur moyenne de l’inflation, ce n’est pas la maigre augmentation de 1,6% consentie en avril 2023 qui peut compenser, pour cette année, la hausse des prix de 5%.

Les allocataires du RSA et de toutes les prestations familiales devront attendre avril 2024 pour connaitre une revalorisation de 4,5%. Une note de la Fondation Jean Jaurès calcule que la perte cumulée de pouvoir d’achat du RSA en trois ans, de mi-2020 à mi-2023, atteint 30€ par mois soit 5% du montant de l’allocation de base. Au vu de ces chiffres, il devient compréhensible que les Restos du Cœur voient un afflux de population auquel ils ont du mal à faire face. Compter sur les bénévoles pour palier le désengagement de l’Etat est une solution qui atteint ces limites. Fonder des espoirs sur une hausse des revenus d’activité semble assez illusoire, alors que les créations d’emploi vont se tarir.

L’image du modèle social se détériore

La France faisait figure de bon élève de la lutte contre la pauvreté en Europe avec un taux de 14,6% pour 2020, dernière année pour lesquels les chiffres sont disponibles. Qu’elle ne choisisse pas de maintenir son soutien aux plus pauvres dans une période difficile, alors même que son niveau de dépenses publiques est le plus élevé en Europe, ne peut que ternir l’image du modèle social français.

C’est d’autant plus illogique que le Parlement vient de voter un renforcement des devoirs de l’allocataire RSA avec un minimum de 15 heures d’activité hebdomadaires contrôlés par France Travail, sous peine de suspension du versement de la prestation. Il n’est pas encore trop tard pour que le volet dépenses de la loi de Finances prévoit un avancement au 1er janvier 2024 de la revalorisation prévue de 4,5% pour rééquilibrer le traitement des plus défavorisés.

 


 

Alain Trannoy, membre du Cercle des économistes et directeur d’Etudes à l’EHESS,

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