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Le rouble fait de la résistance… pour combien de temps ?

Alors même que l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’est immédiatement accompagnée d’une très forte dépréciation du rouble, la devise russe a retrouvé des niveaux supérieurs à ceux d’avant-guerre dès le mois de juin 2022. Cette résistance du rouble face au dollar est-elle amenée à durer en dépit des sanctions infligées à la Russie ?

L’effondrement du rouble survenu en février 2022 puis la forte dépréciation observée en décembre s’expliquent par les sanctions occidentales prises sur les plans financier et énergétique. Parmi celles-ci, le gel des réserves internationales de la Banque centrale russe a joué un rôle central en empêchant le Kremlin de soutenir sa monnaie. L’entrée en vigueur en décembre 2022 des sanctions énergétiques décidées en juin explique quant à elle la dépréciation de la devise russe en fin d’année 2022.

Afin de faire face aux sanctions financières l’empêchant de puiser dans ses réserves pour soutenir sa monnaie, le Kremlin a pris des mesures pour limiter les sorties de capitaux. Les entreprises exportatrices russes doivent ainsi convertir une part majoritaire de leurs recettes en devises en roubles. L’interdiction des transferts bancaires des citoyens russes vers l’extérieur et des prêts en devises est également décidée. Enfin, les « pays hostiles » reçoivent, fin mars 2022, l’ordre de régler leurs achats de gaz russe en roubles. Ces mesures, qui ont pénalisé les épargnants russes et auxquelles s’ajoutent la hausse du taux directeur de la Banque centrale de Russie au niveau record de 20 %, ont permis de limiter l’effondrement du rouble face au billet vert qui a retrouvé son niveau d’avant-guerre moins de deux mois après le déclenchement de la guerre.

Un rouble renforcé, soutenu par le gaz

S’agissant des sanctions énergétiques, les craintes de difficultés d’approvisionnement d’hydrocarbures russes apparues dès le début du conflit, et les mesures annoncées en juin 2022 dans le sixième train de sanctions, ont eu pour conséquence une flambée du prix du pétrole durant le printemps et l’automne. Cette envolée du cours du baril s’est traduite par une forte croissance des exportations de la Russie vers l’Europe, en hausse par rapport à l’année précédente. Les importations ont quant à elles connu une diminution importante en raison notamment des restrictions à l’exportation de l’Europe vers la Russie concernant les technologies de pointe, les biens et technologies spécifiques nécessaires au raffinage du pétrole ou encore les équipements, technologies et services dans le secteur de l’énergie.

Il s’en est suivi un excédent commercial record pour la Russie en 2022. Moscou ne pouvant dépenser les dollars accumulés du fait des sanctions mais continuant à exporter ses hydrocarbures, le rouble s’est renforcé. Cette dynamique a en outre été soutenue par l’ouverture de comptes de plusieurs entreprises européennes auprès de GazpromBank afin de convertir les euros en roubles, suite à l’injonction du Kremlin de faire payer les importations de gaz russe en roubles.

Un effondrement à court terme n’est pas crédible

L’évolution récente de la devise russe montre toutefois des signes de faiblesse. Début avril, le rouble a ainsi atteint son plus bas niveau face au dollar depuis un an, pâtissant notamment des sorties de capitaux et, surtout, de la baisse des revenus tirés des exportations d’hydrocarbures. Cette diminution est principalement imputable aux sanctions entrées en vigueur en décembre 2022, notamment l’interdiction des achats, importations et transferts de pétrole brut transporté par voie maritime et le plafonnement du prix de l’or noir importé par la même voie.

Au total, l’évolution du rouble montre qu’il ne fallait pas attendre des sanctions un effondrement de l’économie russe – neuvième puissance mondiale – à court terme, leur efficacité devra être appréhendée à plus longue échéance. Si les sanctions ont eu pour effet d’envoyer un double message de solidarité envers l’Ukraine et de coordination transatlantique, celles-ci devraient toutefois rendre la guerre plus difficile pour la Russie à plus long terme sur les plans économique, financier et technologique.

 


 

Valérie Mignon, membre du Cercle des économistes, professeur d’économie à l’Université Paris Nanterre, chercheure à EconomiX et conseillère scientifique au CEPII

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