Après la faillite de plusieurs banques régionales aux Etats-Unis, la fébrilité des valeurs bancaires persiste sur les marchés. André Cartapanis explique pourquoi les mesures prises par les autorités pour éviter l’incendie ne correspondent pas à une résolution ordonnée du problème.
Depuis début mars, quatre banques régionales américaines ont fait défaut : Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature Bank, First Republic Bank. Couplée à un effondrement des cours boursiers, c’est une ruée bancaire, se traduisant par des transferts massifs de la part des déposants, qui a déclenché ces crises dans un contexte de dévalorisation des actifs obligataires de ces banques provoquée par la forte remontée des taux d’intérêt depuis plusieurs mois. La réaction des autorités américaines a été rapide, sous plusieurs formes : reprise des actifs par le FDIC, l’organe chargé de la garantie des dépôts bancaires aux Etats-Unis ; pilotage de rachats par d’autres banques ; garanties apportées par le Trésor américain et prêts à bas prix accordés par la Fed aux repreneurs… Sans doute ces opérations étaient-elles nécessaires pour éviter une crise systémique. Mais elles s’apparentent à un sauve-qui-peut, plus qu’à une résolution ordonnée respectant les conditions et la justification de telles interventions en dernier ressort.
La règle de Bagehot
Rappelons, en effet, ces principes. Selon la doctrine classique du prêteur en dernier ressort, le sauvetage des banques exposées à un risque de défaut est un impératif pour éviter les externalités négatives au sein de l’ensemble du système bancaire : diffusion de la panique et défiance contagieuse vis-à-vis de toutes les banques, mise en cause de la continuité des paiements, fuite vers des valeurs refuges, propagation vers l’économie réelle par le jeu d’une chute du crédit… Mais l’intervention dudit prêteur en dernier ressort est assujettie à plusieurs conditions, souvent résumées sous la notion de règle de Bagehot (Lombard Street, 1874) :
1) on ne doit sauver que les établissements en proie à une crise d’illiquidité, provoquée par la fuite des déposants, et certainement pas les banques insolvables, condamnées à la faillite ;
2) cela ne doit concerner que les banques dont la taille et l’envergure sont telles que leur défaut constitue une menace systémique (c’est le fameux Too Big to Fail) ;
3) le sauvetage doit s’opérer sous la forme de prêts, évidemment remboursables, à des taux très élevés et contre remise de collatéraux sûrs et garantis.
Des sauvetages généreux, sous contraintes allégées
Au-delà de la diversité des interventions menées par le FDIC et la Fed, non limitées à des prêts en dernier ressort mais recouvrant des recapitalisations, des garanties accordées aux repreneurs, la prise en charge du risque de crédit des actifs cédés, le rehaussement des plafonds de garantie des dépôts…, les conditions classiques de l’intervention en dernier ressort n’étaient certainement pas réunies. Les banques intéressées n’étaient pas des banques Too Big to Fail, ce qui explique d’ailleurs qu’elles aient fait l’objet d’une supervision et de contraintes prudentielles allégées, la taille de leur bilan étant inférieure à 250 milliards de dollars. Elles n’étaient pas seulement illiquides. Elles présentaient des déséquilibres de bilans menaçant leur survie et leurs actifs avaient fait l’objet d’une dévalorisation de vaste ampleur dont témoignait l’effondrement de leur valeur boursière. Quant aux conditions de reprise des actifs, notamment dans le cas de JP Morgan, fermement invitée par la FDIC et la Fed au rachat à bas prix de la First Republic Bank, elles devraient s’avérer particulièrement coûteuses, de 30 à 50 milliards de dollars selon certaines estimations.
Un mauvais message pour les banques de taille moyenne
Difficile de parler, dans ces conditions, d’une résolution ordonnée, ni de prêts en dernier ressort en phase avec la règle de Bagehot. Certes, peu importe, après tout, que ces sauvetages aient été empreints de pragmatisme pour éviter l’extension de la panique. Mais il y a là, pour les banques américaines, quelle que soit leur taille, un encouragement à poursuivre leurs prises de risques inconsidérées (de taux, de liquidité, de maturité, de crédit) dès lors que leurs dirigeants, leurs déposants et leurs actionnaires ont la quasi-certitude de bénéficier de la protection des autorités monétaires ou prudentielles en cas de crise, le Too Big to Fail s’appliquant désormais aux banques régionales et la règle de Bagehot étant de facto abandonnée. Car l’aléa moral a été bafoué par ces sauvetages. On objectera à juste titre que les autorités américaines n’avaient pas le choix face au risque d’extension de la défiance vers l’ensemble du système bancaire. Le sauve-qui-peut s’imposait.
Mais cela illustre la difficulté de gérer de façon ordonnée, efficace et équitable une crise bancaire lorsqu’elle est déclenchée. C’est ex ante qu’il convient de prévenir ces crises en durcissant considérablement les exigences prudentielles et les contraintes sur les leviers bancaires s’appliquant à toutes les banques, sans exception.