Se positionner à moindre frais en Bourse, c’est la possibilité qu’offrent les trackers, ou ETF (Exchange Traded Funds). Ces fonds cotés connaissent un succès grandissant. Pour Bertrand Jacquillat, cette montée en puissance de la gestion indicielle n’est pas sans poser quelques problèmes.
Aujourd’hui, les trois plus grandes institutions mondiales de gestion financière, Vanguard, Blackrock et State Street, gèrent collectivement plus de 15 000 milliards de dollars, principalement sous forme de gestion indicielle. Les raisons de ce succès sont plurielles mais la première est la difficulté qu’ont les gestions actives à exciper d’une performance supérieure à leurs indices de référence. Ce style de gestion est par ailleurs peu dispendieux. Les transactions étant par construction peu fréquentes, les frais de transaction sont limités, de même que les frais de gestion, dans la mesure où ce style de gestion ne nécessite que la simple réplication dans les portefeuilles de la composition de leur indice de référence.
Certes, les comparaisons de performance entre gestion active et gestion passive sont biaisées. En pratique, la gestion active comporte des frottements qui entraînent des frais incompressibles et pénalisants en termes de performance que n’encourt pas la gestion indicielle. Cette montée en puissance de la gestion indicielle ne va pas sans poser de problèmes. Si les investisseurs passifs comptent sur les gérants actifs pour faire émerger les valeurs fondamentales des sociétés, l’extinction de la gestion active risque de rendre les prix boursiers incohérents, et donc vain leur rôle de signal pour la bonne allocation du capital dans l’économie. La gestion passive est ainsi devenue le passager clandestin de la gestion active, et un passager de plus en plus encombrant.
La taille même des ETF pose des problèmes de gouvernance, de démocratie actionnariale et d’antitrust. Il était courant de dire que les actionnaires pouvaient voter avec leurs pieds, signifiant par là qu’ils pouvaient toujours revendre les titres des sociétés qu’ils avaient en portefeuille s’ils n’étaient pas satisfaits de leur performance, au lieu d’exercer leur pouvoir de contrôle par leurs votes en assemblée générale. La gestion indicielle n’a pas ce choix, elle est collée aux titres de l’indice de référence qu’elle détient en portefeuille et dont elle ne peut se départir sans sortir de son mandat. Ce faisant, la gestion indicielle risque de se heurter aux exigences de plus en plus ciblées d’une part croissante des investisseurs en matière de responsabilité sociale, environnementale et climatique.
C’est ce type de préoccupation qui animait Larry Fink, le patron de Blackrock, en triplant les effectifs de son service de surveillance des sociétés cotées. Les fonds de sa société pouvaient ainsi peser davantage par leurs votes en assemblée générale sur la stratégie et les comportements des sociétés qu’ils avaient en portefeuille.
Un autre sujet d’inquiétude est lié à la concentration du secteur. Les trois investisseurs institutionnels évoqués plus haut possèdent des participations non négligeables dans le capital de sociétés cotées de mêmes secteurs, eux-mêmes déjà très concentrés, avec les risques de collusion d’une telle situation, susceptible d’entraver la concurrence. Par ailleurs, la gestion indicielle n’est pas sans risque, et peut s’avérer désastreuse pour l’investisseur.
Ainsi, dans les années 80, une gestion indicielle mondiale aurait entraîné la constitution d’un portefeuille investi à hauteur de près de 50% en valeurs japonaises. Quarante ans plus tard, ce portefeuille indiciel mondial aurait à peine retrouvé sa valeur d’origine. ETF : attention, dangers !