" Osons un débat éclairé "

L’emploi des seniors et l’emploi des jeunes

Le plein emploi est un des maîtres-mots du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Cependant, pour Alain Villemeur et Kevin Genna, cet indicateur occulte un mal français bien plus profond, le taux d’emploi aux extrémités de la pyramide des âges. À rebours de l’idée selon laquelle augmenter l’emploi des seniors se ferait au détriment de l’emploi des jeunes, ils proposent des mesures à la hauteur de l’enjeu social et économique.


Cet article est extrait du premier numéro de la revue Mermoz, « Travail : rebattre les cartes ».


U n des maîtres-mots du second quinquennat d’Emmanuel Macron est le plein emploi, situation qui se caractériserait par un taux de chômage de la population sous les 5 %. Bien que cela soit souhaitable, le plein emploi ne résout pas un problème structurel de l’emploi français, la faiblesse des taux d’activité aux deux extrémités de la pyramide des âges : chez les jeunes ( 15-24 ans ) et chez les seniors ( 55 ans et + ). Aussi, nous nous focaliserons sur deux catégories bien distinctes, les seniors inactifs et les Neets (1).

Le taux d’emploi des 55-64 ans est de 57 % en 2023 ( Dares, 2023 ), ce qui place la France sous la moyenne européenne ( 62 % ) mais surtout très loin des meilleurs pays européens que sont l’Allemagne ( 73 % ) ou la Suède ( 77 % ). Pire encore, dans une récente étude (2), l’INSEE montre qu’en 2021, 16 % des individus âgés de 55 à 69 ans ne sont ni en emploi, ni à la retraite, ni au chômage. Ce chiffre explose même autour de 61 ans pour atteindre 28 % des individus. On a donc une partie de la population senior qui se retrouve très vulnérable. À cela s’ajoute le fait que ces personnes inactives sont à forte majorité des femmes ( 59 % ) et peu diplômées ( 42 % ).

Parallèlement, on peut dresser un constat similaire de l’autre côté de la pyramide des âges avec la problématique des Neets, qui représentent un peu plus de 10 % des jeunes de 15 à 24 ans en 2022 en France ( Eurostat ), soit plus que la moyenne européenne, et ce pour la première fois en 10 ans. Il s’agit d’une population éloignée à la fois de l’emploi, mais aussi de l’éducation, à une période charnière de la vie professionnelle.

La Chaire TDTE a choisi de traiter la thématique de l’emploi des jeunes et des seniors sous l’angle du taux d’activité plutôt que sous l’angle du chômage au travers de plusieurs études présentées lors de la conférence « Résoudre le conflit Intergénérationnel » du 18 octobre 2022. L’augmentation de l’emploi des seniors ne se fait pas au détriment des jeunes, comme le confirment toutes les études, qu’elles portent sur les pays européens ou asiatiques (3).

Au contraire, l’emploi des seniors favorise celui des jeunes, car ils ont des compétences complémentaires combinant, d’une part l’expérience et la connaissance des entreprises avec d’autre part, celui des connaissances nouvelles et de l’innovation. Et il a été démontré que la satisfaction au travail et la formation étaient les leviers les plus importants pour que les seniors prolongent leurs carrières dans les entreprises.

Ce constat a inspiré une étude d’impact de la hausse simultanée de l’emploi des seniors et des jeunes, réalisée grâce à une modélisation à générations imbriquées, modélisation originale de la croissance économique élaborée par la Chaire. Le résultat est très frappant : un objectif d’emploi des jeunes et des seniors, rejoignant ceux allemands en 2040, est de nature à accroitre le PIB actuel d’environ 8 points, soit 200 milliards d’euros de richesses supplémentaires. Les recettes fiscales supplémentaires permettraient de quasiment résorber le déficit public actuel.

L’enjeu est d’une telle importance qu’il justifie des politiques, nouvelles et ambitieuses, afin de favoriser à la fois l’entrée des jeunes et le maintien des seniors sur le marché du travail. Pour les jeunes, il a notamment été proposé de généraliser l’approche des écoles de la seconde chance destinée aux Neets, de poursuivre et d’améliorer la trajectoire de l’apprentissage à tous les niveaux d’éducation et de renforcer leur insertion professionnelle. Pour les seniors, il s’agit de renforcer la formation continue, surtout après 50 ans, d’améliorer leurs conditions de travail en adoptant plus de flexibilité dans les organisations et les horaires ; mais, il faut aussi accroitre la satisfaction ressentie au travail et c’est pourquoi la chaire a proposé un Congé Réflexion Carrière à 50 ans pour que chaque travailleur réfléchisse à ses futures activités et aux moyens à mettre en œuvre pour maintenir le désir de travailler.

 


 

  1. « Not in Education, Employment or Training »
  2. Castelain, E. (2023), « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première, n°1946, Mai 2023.
  3. Belkessa L. (2023), « Emploi des seniors, emploi des jeunes : complémentarité plutôt que substitution ? » Chaire TDTE, octobre 2023.

Les Thématiques