" Osons un débat éclairé "

L’inflation va-t-elle continuer à déterminer la politique financière ?

Lutter contre la flambée des prix en agissant par le biais des taux d’intérêt… les Banques centrales s’y emploient depuis de longs mois. Nathalie Chusseau explique pourquoi la politique monétaire restrictive présente des risques, qui plus est dans l’actuel contexte géopolitique et économique international

La Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses taux d’intérêt pour la dixième fois d’affilée en quatorze mois. Ainsi, le taux de dépôt est porté à 4%, un niveau jamais atteint depuis le lancement de la monnaie unique en 1999. Cette réaction de la BCE fait suite à la hausse des prix observée en Europe depuis 2021, et correspond à son objectif de lutte contre l’inflation conformément à son mandat de maintenir la stabilité des prix. Lorsque les prix augmentent trop rapidement et donc que l’inflation est trop élevée, une hausse des taux d’intérêt permet de ramener l’inflation à son objectif de 2% à moyen terme. Christine Lagarde, présidente de la BCE, a annoncé que ces taux seraient révisés à la hausse dans les mois à venir tant que l’inflation ne sera pas contrôlée.

L’inflation est nettement supérieure à l’objectif de 2%, alimentée par des chocs d’offre liés d’une part à la pandémie et à la désorganisation des chaînes de valeur qui s’en est suivie, et aux tensions géopolitiques d’autre part. Les entreprises ont du mal à satisfaire la demande du fait de difficultés d’approvisionnement en matières premières, d’une énergie devenue plus chère et de transports plus coûteux, et de tensions sur le marché du travail liée à une évolution démographique défavorable et à des pénuries sectorielles.

La politique monétaire restrictive n’est pas sans risques pour nos économies

Si cette politique monétaire plus restrictive a pour objectif d’infléchir la hausse des prix, elle n’est pas sans risques pour nos économies, surtout dans le contexte actuel.

D’abord, il est très probable que l’inflation perdure. Les difficultés d’approvisionnement vont peiner à se résorber dans une situation où l’énergie est plus chère (et où les tensions géopolitiques s’accroissent), rendant les transports plus coûteux, alors que les pays cherchent à relocaliser une partie de leurs chaînes de valeur. Sans oublier la transition écologique et l’objectif de décarbonation qui impactent fortement les changements productifs et les relocalisations et vont augmenter les coûts de production.

Ensuite, pour atténuer le choc inflationniste, nombre de pays européens ont vu leur déficit et leur dette publique exploser en raison des politiques budgétaires généreuses de soutien à l’activité des entreprises et au pouvoir d’achat. La hausse des taux d’intérêt risque alors d’obliger les pays à renoncer à certains investissements indispensables (éducation, transition énergétique, transition numérique, réindustrialisation, santé), ce qui serait catastrophique pour l’avenir.

Enfin, une telle politique monétaire restrictive n’est pas sans conséquence sur l’activité économique, entraînant un recul de l’investissement des entreprises et de l’investissement immobilier. Par le passé, on a déjà connu des situations où la hausse des taux  a déclenché une crise immobilière prenant la forme d’un recul de la construction, avec au final un ralentissement de l’activité globale. De ce point de vue, en un an en France, les ventes de logement ont dégringolé, surtout dans le neuf, du fait des difficultés d’accès au crédit pour les acheteurs.

Existe-t-il des alternatives à cette politique monétaire restrictive ?

Une première solution serait de modérer la réaction des banques centrales en augmentant la cible d’inflation de 2% à 3%. Augmenter d’un point la cible inflationniste ne devrait pas miner pour autant la crédibilité de la politique monétaire. En effet, il faut rappeler que cette cible n’apparait pas explicitement dans les différents textes régissant le fonctionnement des instruments de la politique monétaire. En outre, par le passé, les banques centrales ont utilisé une politique monétaire non conventionnelle (assouplissement quantitatif), sans que cela n’affecte leur crédibilité. Ainsi, en relâchant cette contrainte, les hausses de taux d’intérêt seraient moins élevées, et l’investissement moins pénalisé.

Une seconde solution consisterait à investir massivement dans des politiques d’éducation et de formation professionnelle plus efficaces pour stimuler l’accumulation de capital humain, répondre aux pénuries sectorielles ainsi qu’aux défis démographique, climatique et numérique, et augmenter ainsi le taux d’emploi. Au final, on accroît les capacités de production, et finalement, on fait baisser l’inflation.

 


 

Nathalie Chusseau, professeure à l’Université de Lille et Invitée par le Cercle des économistes

Les Thématiques