" Osons un débat éclairé "

Médecine, on n’arrête pas le progrès !


Coordination : Pierre-Yves Geoffard, membre du Cercle des économistes

Contributions : Einas Al-Eisa, Princess Nourah bint Abdulrahman University, Dean Ho, Université Nationale de Singapour, Maria Pereira, TISSIUM, Christian Schmidt de la Brélie, Klesia, Jérôme Wirotius, Biogaran

Modération : Mireille Weinberg, Capital


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Propos introductif de Pierre-Yves Geoffard, membre du Cercle des économistes

Nous allons parler d’innovation en santé. L’innovation fait partie des choses qui peuvent contribuer à nous donner espoir, ou en tout cas qui le devraient. L’innovation est multiple, elle n’est pas forcément uniquement en santé. Si on réfléchit aux 50 dernières années, quelles sont les innovations qui ont réellement changé nos vies ? L’IPhone, Chat GPT, les airbags… mais l’innovation en santé fait partie des innovations les plus importantes parce qu’elle peut nous aider à vivre plus longtemps et en meilleure santé. Cela détermine les progrès des sociétés humaines. L’innovation en santé peut être tous azimuts ; on va parler des médicaments évidemment mais aussi des dispositifs médicaux, et aussi des innovations de procédés dans les modes d’organisation. Au regard de ce dernier point, le digital peut être au cœur de véritables révolutions sur la manière d’organiser et de coordonner les différents acteurs dans la chaîne de soins.

On ne peut pas penser l’innovation en santé à l’échelle d’un pays, cela n’a aucun sens. Les médicaments qui marchent dans un pays marchent également dans d’autres pays pour soigner les mêmes maladies. L’innovation en santé doit être réfléchie au niveau international, sinon on ne s’en sort pas. Les débouchés sont potentiellement internationaux mais l’organisation de toute la chaîne qui conduit à l’innovation reste en grande partie conditionnée par les caractéristiques du pays ou de la zone géographique dans lequel elle se produit. L’innovation en santé s’appuie sur un écosystème extrêmement complexe et extrêmement riche, qui articule la recherche fondamentale, souvent académique, souvent publique, mais pas uniquement (elle peut articuler le public et le privé), la recherche plus appliquée, la recherche translationnelle. Le passage de la paillasse à la boîte de médicaments ou aux produits injectables ne se fait pas en deux secondes, ils mobilisent des acteurs divers. Les chaînes de production sont très internationalisées et d’ailleurs peuvent être très vertueuses dans l’incitation et dans l’émulation que cela peut donner en termes d’innovation. Elles peuvent cependant aussi parfois révéler des faiblesses. On le voit sur les ruptures d’approvisionnement, sur le fait que certaines innovations, ou même des médicaments plus anciens, peuvent être indisponibles, et le phénomène n’est pas propre à la France, il est bien international. Tout ceci dépend beaucoup des contextes locaux et de la régulation. On a un système d’intrication très forte entre opérateurs publics et privés ; cela peut être sur la recherche fondamentale, mais cela peut être également sur le financement puisqu’une certaine partie des dépenses de recherche et développement peuvent être promues, encouragées par des dispositifs fiscaux. Les politiques fiscales sont donc importantes. Les politiques d’adoption de nouveaux médicaments ont également un rôle de premier ordre. Aujourd’hui elles s’inscrivent dans un cadre européen, mais elles sont différentes d’une région du monde à l’autre. Les politiques de fixation du prix et de critères de remboursement ont également un impact potentiel sur l’innovation ; et là elles sont vraiment à un niveau national. On ne peut pas vraiment parler du marché du médicament au niveau européen, ne serait-ce que pour s’en tenir à cette échelle.

Voilà les enjeux, qui partent un peu dans tous les sens. Nous allons essayer de voir cette chaîne dans son évolution, du plus fondamental jusqu’à ce qui bénéficie aux patients, en ayant en tête ses missions.  L’innovation en santé a deux missions : trouver de nouveaux produits pour améliorer les soins et la prise en charge des patients en faisant en sorte que ces innovations soient accessibles à toutes celles et à tous ceux qui en ont besoin. Aristote disait : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ». S’il y a un domaine dans lequel cette ambition est à garder en tête c’est bien le secteur de la santé.

Synthèse

L’espoir est partout, souligne Mireille Weinberg. L’innovation est majeure en ce moment. Elle est portée évidemment par la recherche mais aussi par le numérique, qui va créer une vraie révolution dans un certain nombre de domaines, en médecine en particulier.

La Princess Nourah bint Abdulrahman University est la plus grande université pour femmes dans le monde, non seulement en termes de taille, mais en termes de nombre de disciplines proposées, explique Einas Al-Eisa. Plus de 114 programmes académiques, 2 000 facultés, plus de 33 000 étudiantes, dont 15 % dans le domaine de la santé ; 5 écoles de santé : médecine, dentaire, pharmacologie, sciences de la santé et soins infirmiers. L’université se concentre sur deux domaines principaux : le bien-être et la santé d’un côté et les technologies innovantes de l’autre. Par ailleurs, elle a des partenariats avec l’INSEAD en France pour former au leadership 1 700 femmes d’Arabie Saoudite. En médecine, tout évolue tous les jours et l’université a évolué dans sa façon d’enseigner aux femmes. Elle possède un centre de simulation très important, avec plus de 200 mannequins, des robots chirurgicaux, des salles de réalité virtuelle avec des robots où les élèves peuvent se former. En octobre 2021, l’université a diplômé deux cohortes de codeuses. Elle développe ainsi la capacité des femmes dans le domaine de la santé et des technologies à l’échelle internationale.

Dean Ho explique que l’Institut de la Santé de l’Université Nationale de Singapour est actuellement engagé dans 16 essais cliniques en cours, chacun étant interventionnel, ou orienté traitements en utilisant l’intelligence artificielle. Beaucoup de technologies prometteuses sont tournées vers la Big Data. Cependant, l’Institut ne l’utilise pas lorsqu’il traite ses patients, mais utilise la Small Data. Ainsi, le dosage des médicaments est calibré selon chaque patient alors que les réponses varient dans le temps et sont mesurées. Pour cela, il utilise un avatar numérique, c’est-à-dire une cartographie tridimensionnelle, où seules les données du patient sont utilisées pour gérer ses propres cursus de soins. Par exemple, il a été possible de traiter plusieurs patients qui ne répondaient à aucun traitement, simplement en réduisant le dosage d’un médicament de l’ordre de 50 %.

Pour les innovations proposées par TISSIUM, le parcours de la recherche académique jusqu’à la fabrication ou l’industrialisation d’un procédé ou d’un appareil médical et jusqu’à sa mise sur le marché est long, explique Maria Pereira. Les résultats obtenus sont dus à la contribution de plusieurs personnes. Par exemple, en développant pour les tissus un procédé moins invasif que les points de suture ou les agrafes, en collaborant avec des cliniciens, des ingénieurs… L’humain est au cœur du travail sur les innovations. Des entrepreneurs français ont cherché à créer un écosystème pour lancer une nouvelle entreprise, afin de lancer ce matériau, qui en était au stade de la recherche. Trois choses sont importantes : la prise en charge des patients, la recherche académique et l’industrie. Il a fallu inventer un nouveau processus de fabrication afin de reproduire ce nouveau matériau. Or, pour certaines étapes de fabrication il a été compliqué de trouver des personnes qui avaient l’expertise suffisante. Il a donc fallu discuter avec les investisseurs et construire un site de fabrication, ce qui peut paraitre effrayant pour une startup. Mais pour innover, il faut faire preuve d’audace. Les idées sont importantes, mais le plus important c’est de transformer les idées en réalité. Pour cela, beaucoup d’étapes doivent être franchies ; souvent elles sont difficiles et peuvent tuer dans l’œuf n’importe quelle bonne idée.

Recréer l’espoir autour de la santé… nous sommes là au cœur d’un sujet qui est sans doute le plus sensible en termes de création d’espoir, souligne Jérôme Wirotius. On observe une accélération de l’innovation extrêmement forte. Les innovations sont aujourd’hui ultra puissantes, avec des nouvelles technologies et des traitements sur mesure. On est capable aujourd’hui de s’intéresser à des pathologies de niche, qui touchent très peu de patients, et de trouver des solutions. Comment s’assurer que cette innovation soit accessible à tous ? Certains pays ont un État-providence, capable de prendre en charge les soins de santé, mais jusqu’où ? Certains pays, qui historiquement n’étaient pas des États-providences à l’instar des États-Unis, ont la volonté d’accompagner la santé de tout le monde (Medicare[1]). Il est nécessaire de continuer à travailler sur la prévention, d’avoir des diagnostics prédictifs qui vont permettre d’éviter le plus possible des traitements lourds. Il faut aussi mutualiser l’information entre les pays, ce que l’IA devrait permettre de faire. Mutualiser les datas, en bénéficiant des erreurs des autres mais aussi de leurs succès, permettra d’impacter à la fois l’efficacité des traitements, la rapidité de sortie de ces innovations mais aussi leurs prix. La santé étant un élément absolument essentiel et vital pour chacun des États ou des groupes d’États, comment protéger notre production et être le moins dépendant possible, en tout cas sur les médicaments ou les traitements les plus critiques ? Ce sujet de souveraineté est un vrai sujet. L’accessibilité de ces traitements ne doit pas être réservée à de rares privilégiés, comme c’est le cas par exemple aux États-Unis où le prix moyen d’une innovation en 2023 est de 226 000 dollars par an et par patient. Il faut croire à un modèle extrêmement holistique, prôner la protection des innovations par des brevets. Une fois que le brevet arrive à échéance, il faut créer un cercle vertueux et produire des produits à l’identique, qui offrent la même efficacité, la même formule et la même sécurité pour les patients et qui permettent aux États de générer des économies substantielles. En France, le fait d’avoir développé la dynamique de ces cycles représente 3 milliards d’économies par an sur le système de santé, sachant que cette somme pourrait justement servir à financer cette innovation qui coûte de plus en plus cher. Aujourd’hui, 16 innovations thérapeutiques pour des patients atteints de cancer ne sont pas prises en charge par le système français en raison de problèmes de ressources.

Klesia est un investisseur institutionnel, dont la spécificité est d’être un assureur non lucratif, déclare Christian Schmidt de la Brélie. Il contribue pleinement à l’innovation santé à travers une stratégie à hauteur d’homme qui est celle d’améliorer le service rendu aux entreprises et aux salariés que le groupe protège. Il essaie également d’apporter sa pierre à l’édifice dans la transformation du système de santé en cours, qui recouvre plusieurs champs d’investigation : l’épuisement du système hospitalier et curatif traditionnel, sur lequel il faut développer de nouveaux dispositifs de prévention santé ; les problématiques de désertification médicale, qui supposent de travailler sur l’accès aux soins ; chercher dans les centaines de milliers de start-ups les nouveaux horizons à appliquer à ses clients. Il faut s’assurer de la pérennité des start-ups et apporter une garantie sur l’utilisation de ces différentes innovations : vérifier leur modèle et leur pérennité et surtout mesurer l’impact de la plus-value ainsi apportée. Klesia, par exemple, a mis en place un programme « Transportez-vous bien », en impliquant une start-up qui a créé un bracelet permettant de gérer la douleur chronique via la sécrétion d’endorphines, à destination des transporteurs souffrant de fibromyalgie. Comment trouver ces différentes start-ups ? Un investisseur institutionnel, en effet, n’a pas la capacité d’avoir ces outils de sourcing. Il s’appuie donc sur des tiers de confiance. Ces progrès ne passent pas uniquement par la technologie mais aussi par des programmes de prévention basique, sur des sujets d’activité physique, de sommeil, d’addiction, de nutrition. On applique systématiquement dans ces programmes des sondages de retour de mesures d’impact.

Propositions

  • Faire preuve d’audace pour innover (Maria Pereira).
  • Avoir des diagnostics prédictifs permettant d’éviter les traitements lourds (Jérôme Wirotius).
  • Mutualiser l’information entre les pays afin d’impacter à la fois l’efficacité des traitements, la rapidité de sortie des innovations mais aussi leurs prix (Jérôme Wirotius).
  • Développer de nouveaux dispositifs de prévention santé (Christian Schmidt de la Brélie).

 


 

[1] Système d’assurance santé géré par le gouvernement fédéral des États-Unis au bénéfice des personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères.

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