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Monnaies publiques, monnaies privées

La guerre des monnaies évoque d’abord les dévaluations compétitives. Se profile une autre guerre des monnaies, celle qui oppose monnaies publiques (ou officielles) et monnaies privées et dont les enjeux, éminemment politiques, touchent au pouvoir et à la souveraineté.  Car « la monnaie est pouvoir » comme disait Roy Harrod, et pas seulement pouvoir d’achat…

Le succès du bitcoin illustre la montée en régime des cryptomonnaies, ces monnaies digitales d’initiative privée, aux cours instables pour beaucoup d’entre elles, et dépourvues de banques centrales à même de servir de « prêteur de dernier ressort » en cas de coup de tabac. Certes, le bitcoin et les autres cryptomonnaies ne remplissent pas toutes les fonctions d’une monnaie complète, mais elles viennent quand même concurrencer les monnaies officielles pour certains usages. L’arrivée annoncée de Facebook en 2021 avec sa monnaie Libra, rebaptisée Diem, donnerait une énorme impulsion à l’essor des cryptomonnaies privées puisque le géant américain compte 2,5 milliards d’utilisateurs !

Face à la privatisation de la monnaie, qui nous ramène loin en arrière dans l’histoire, les autorités ne sont pas en reste. Les banques centrales veulent reprendre la main ; elles travaillent sur le lancement de monnaies digitales publiques. La BCE est sur cette ligne, sur les cinq prochaines années. Les banques centrales ne font que mettre en œuvre, chacune dans sa sphère de contrôle, les nouvelles technologies du digital.

L’euro numérique viendra compléter le cash, se substituer pour partie à lui. Partout, la part du cash dans le total des moyens de paiement recule, avec les vagues successives d’innovations technologiques.  Une partie des transactions courantes va pourtant continuer à se faire en cash pour des raisons d’habitude et de commodité, sans oublier que l’économie informelle, présente ici ou là, fonctionne avec le cash.

L’euro numérique s’échangera à la parité 1/1 contre toutes les autres formes de l’euro. Il sera donc un « stable coin », tout comme le Diem est prévu comme un « stable coin » par rapport au dollar. Cette propriété évitera la volatilité inhérente à de nombreuses cryptomonnaies.

Pour tous, les entreprises et les ménages comme pour les institutions financières, l’euro numérique va réduire les coûts de transaction, accélérer et sécuriser les règlements, potentiellement accroître la vitesse de circulation de la monnaie.  Le digital élargit le champ des possibles, en même temps qu’il se prête à des cyberattaques.

Avec les monnaies digitales des banques centrales, l’articulation entre monnaies publiques et monnaies privées deviendra essentielle. Les cryptomonnaies privées sont livrées pour leur prix au jeu permanent de la loi de l’offre et de la demande. Ce qu’il faut bien appeler la folie bitcoin l’illustre en ce moment. Par définition l’euro numérique aura, lui, la BCE comme garant de sa stabilité et de sa liquidité.

Monnaies digitales publiques et privées seront concurrentes. Avec, à la clef, le primat de ce qui fait la qualité d’une monnaie : la stabilité de sa valeur, la profondeur des marchés financiers auxquels elle est adossée, et bien sûr sa quantité disponible. Mais monnaies digitales publiques et privées seront aussi complémentaires. La convertibilité entre elles, dans les deux sens et avec des points de passage nombreux, sera une information cruciale pour la lutte contre l’évasion fiscale, contre le blanchiment de l’argent sale et contre le financement du terrorisme.

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