" Osons un débat éclairé "

Où peut nous conduire l’extrême faiblesse des taux d’intérêt de long terme ?

Pronostiquée depuis des mois, la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis semble, pour l’instant, faire long feu. Partout les taux de long terme sont bas et vont probablement le rester. Jean-Paul Pollin analyse les causes et les conséquences d’une tendance paradoxale : favorable à l’investissement mais pas exempte de risques.

Mise en perspective, la baisse régulière des taux longs sur les titres sans risques, que l’on observe dans la plupart des pays avancés depuis le début des années 90, est tout à fait singulière. A la fois par son ampleur qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire financière, et par le fait qu’elle touche simultanément tous ces pays, confirmant ainsi l’existence d’un cycle global qui témoigne de la force de l’intégration monétaire et financière internationale.

Les taux nominaux à 10 ans sur les dettes publiques sont nuls au Japon, inférieurs à 1% dans plusieurs pays européens ; tandis que les taux de même échéance sur les obligations corporate européennes sont à -15pb. De sorte que les taux d’intérêt réels (c’est-à-dire nets de l’inflation) à 10 ans sont négatifs dans bon nombre de pays avancés.

Les causes de cette situation hors norme sont loin d’être éclaircies et font toujours l’objet de débats. Le plus simple, mais aussi le plus contestable, est de l’expliquer par le laxisme des politiques monétaires. Mais, sans entrer dans les détails, on a aussi évoqué un excès d’épargne mondiale, l’apparition d’une «stagnation séculaire» des économies, une modification de la structure de l’épargne impliquant une montée de l’aversion au risque, une pénurie d’actifs sans risque…

Quant aux conséquences du très faible niveau des taux, elles sont de deux ordres. D’une part, cela permet un allègement du poids relatif des dettes : on montre facilement, en effet, que l’évolution du taux d’endettement d’une institution, d’un agent privé ou public, est une fonction (positive) de l’écart entre le taux nominal sur leur dette et le taux de croissance de leur revenu nominal. La baisse des taux consolide donc la solvabilité des emprunteurs. Naturellement, cette «aubaine» a pour contrepartie une réduction de la rémunération de l’épargne qui peut avoir des effets macroéconomiques déstabilisants.

D’autre part, cela peut inciter à une orientation de cette épargne vers des placements peu favorables à la croissance, tels que les investissements immobiliers, qui génèrent des gains de productivité limités tout en contribuant à faire monter les prix dans le secteur. Plus généralement, on a quelques raisons de croire que la faiblesse des taux provoque des distorsions dommageables sur l’allocation des capitaux parce qu’elle fait obstacle à une sélection efficace des investissements : elle ouvre l’accès au financement à des projets peu rentables, ou permet la survie d’entreprises non viables.

Réorientation de l’épargne mondiale

Elle incite également à la prise de risque, c’est-à-dire à choisir des investissements plus risqués ou à augmenter le poids de l’endettement dans la structure financière, pour accroître la profitabilité des capitaux. Enfin, elle dégrade la rentabilité et la stabilité des intermédiaires financiers, ce qui peut contraindre, à terme, l’offre de crédit. Dès lors, il se pourrait que le niveau actuel des taux finisse par entraîner une baisse de la croissance potentielle des économies et donc des taux d’intérêt d’équilibre, justifiant une nouvelle baisse des taux longs, etc.

Mais est-ce à dire qu’il faille en finir avec des politiques monétaires laxistes pour rompre ce cercle vicieux, et revenir à des conditions plus «normales» de rémunération et d’allocation de l’épargne ?

Rien n’est moins sûr. D’abord parce que, comme il a été dit, l’évolution des taux longs relève d’un mouvement global qui ne pourrait être inversé que par une action coordonnée de toutes les banques centrales. Ensuite, parce que diverses études récentes montrent que la baisse des taux sans risque est le produit d’une augmentation des primes de risque, la rentabilité du capital et des actions étant restée à peu près stable durant les deux dernières décennies. En durcissant leurs politiques, les banques centrales ne feraient donc qu’accroître le coût du capital et provoquer une chute de l’investissement et de la croissance.

La solution du problème se trouve donc plutôt du côté d’une réorientation de l’épargne mondiale favorisant une réduction des primes de risque et de liquidité. Ce qui n’est pas une mince affaire.

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