" Osons un débat éclairé "

« Quelle concurrence en Europe dans l’après-crise du COVID-19 ? »

L’Europe se déconfine, les ambitions industrielles avec. Selon André Cartapanis, la crise pourrait relancer les « fusacs », avec leur lot d’interrogations sur le rapport entre la course à la taille et le bénéfice pour le consommateur

L’économie européenne n’est pas encore sortie du marasme, loin de là, que déjà se profilent des interrogations sur le monde d’après. La combinaison des faillites, de la chute des profits, de la destruction du capital dans les secteurs sinistrés et de l’effondrement des cours boursiers, pourrait bien relancer le mouvement de concentration dans l’industrie.

Au-delà de la disparition pure et simple des firmes les plus fragiles dans les secteurs sinistrés, cela pourrait induire un redémarrage des fusions-acquisitions ou des prises de contrôle. Quant aux soutiens, à court terme, et aux programmes européens visant les industries les plus touchées par la restructuration de la demande dans l’après-crise (à la baisse : automobile, aéronautique, transport aérien, transport maritime ; à la hausse : médicaments, matériel médical, technologies numériques…), ils pourraient privilégier les grandes entreprises au détriment des PME, par facilité ou à cause des enjeux politiques en termes d’emploi.

Mais quels seront les effets de cette grande transformation sur les structures de marchés et le régime de concurrence dans l’après-crise, tout particulièrement en Europe ?

Rappelons les termes du débat. D’un côté, la concurrence doit s’opérer au bénéfice des consommateurs, en assurant les prix les plus bas possible et en s’opposant aux rentes issues des abus de positions dominantes ou des ententes. D’un autre côté, la course à la taille, aux économies d’échelle, la nécessité de favoriser des champions européens à même de valoriser leur potentiel technologique sur le marché mondial… justifient des entorses à ces principes, surtout en période de crise ou de choc technologique.

Les économistes sont mal à l’aise face à ce dilemme car la littérature n’offre pas de réponse univoque quant aux liens entre la taille, le degré de concurrence, la capacité d’innovation, la productivité et la compétitivité des entreprises. Pour les uns, le risque de la concentration est d’accroître les rentes d’oligopoles au détriment des consommateurs. Pour les autres, c’est une exigence en termes de compétitivité et de capacité d’innovation.

Des oppositions risquent donc de réapparaître entre les tenants d’un ordo-libéralisme strict, très attachés aux règles de la concurrence (même s’ils y dérogent bien volontiers en temps de crise, on le voit en ce moment en Allemagne avec l’ampleur des aides d’Etat accordées par Berlin, qui représentent près de 52% du total alloué dans l’ensemble de l’Union européenne) et les défenseurs des politiques industrielles, voire d’un colbertisme technologique, s’exprimant dans de grands programmes de R&D définis par les pouvoirs publics dont bénéficient pour une large part les grandes entreprises.

Tout cela conduira-t-il à une remise en cause de la fameuse concurrence libre et non faussée placée sous la supervision de Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, en charge du respect du droit de la concurrence en Europe ?  Ce n’est pas certain. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que les ententes « qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte » peuvent être autorisées.

Les exemptions au droit en matière de R&D, ou d’accords de concentration verticale, ne s’opposent pas à des coopérations dites pro-concurrentielles, par exemple, pour mettre au point un nouveau médicament.

La Commission européenne, tout comme l’Autorité de la concurrence en France, considère qu’une opération de concentration qui pose des problèmes de concurrence peut néanmoins être autorisée si l’une des parties à l’opération est une entreprise défaillante. S’agissant des aides d’Etat, là encore, le Traité indique que sont compatibles avec le droit européen les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres évènements extraordinaires et que celles-ci « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur lorsqu’elles sont destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ».

Le droit de la concurrence européen, certainement perfectible, est néanmoins un droit souple qui pourrait donc contribuer à la synthèse des deux positions extrêmes : maintenir la concurrence tout en autorisant la renaissance des politiques industrielles volontaristes qu’imposera l’après-crise.

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