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Philippe Aghion reçoit le prix Nobel d’économie 2025

Philippe Aghion, membre du Cercle des économistes, s’est vu décerner le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel 2025.

La science économique française est une nouvelle fois récompensée. Philippe Aghion vient de recevoir le prix Nobel d’économie 2025, récompensant une vie de recherche consacrée à comprendre la dynamique du progrès. Avec ses co-lauréats Peter Howitt et Joel Mokyr, il est salué pour avoir donné un cadre théorique à la destruction créatrice, ce processus par lequel l’innovation crée de la croissance, renouvelant sans cesse l’économie et la société.

Avec Peter Howitt, il a formulé à partir de 1987 un « modèle de croissance schumpétérien » dans lequel la prospérité ne vient pas seulement de l’accumulation du capital ou du progrès technique exogène, mais de l’innovation endogène, fruit des décisions d’investissement des entrepreneurs.

La destruction créatrice devient alors le moteur du système économique. Chaque avancée technologique remplace les technologies précédentes ; chaque entreprise innovante bouscule les acteurs installés ; chaque rupture crée à la fois des opportunités et des pertes. C’est un cycle d’équilibre instable, qu’il faut apprendre à piloter.

Pour Philippe Aghion, cette dynamique est économique et politique à la fois. Elle nécessite des institutions capables d’encourager la prise de risque, de protéger la concurrence, mais aussi d’amortir les chocs pour ceux qui en subissent les effets.

L’Europe à la frontière de l’innovation

Dans sa contribution à la revue Mermoz (Comment permettre à l’Europe et à la France d’innover à la frontière), Philippe Aghion s’interrogeait sur le décrochage économique et technologique de l’Europe et sur les moyens de la relancer dans la course.

Son diagnostic est limpide. L’Europe ne manque ni d’ingénieurs ni de capital humain, mais elle souffre d’un déficit d’écosystèmes : les liens entre universités, entreprises et pouvoirs publics y sont encore trop cloisonnés, et les incitations à prendre des risques restent faibles.

Pour lui, la solution passe par trois leviers : l’investissement massif dans la recherche fondamentale, publique comme privée ; une politique industrielle ciblée, capable d’orienter les innovations vers les grands défis comme l’énergie, la santé, l’intelligence artificielle ; et un cadre réglementaire plus agile, qui encourage l’expérimentation.

Il en appelle à un sursaut collectif : que l’Europe ne se contente plus de rattraper les États-Unis ou la Chine, mais qu’elle devienne un acteur de la frontière technologique. « Nous devons accepter la prise de risque, la mobilité, la possibilité d’échouer« , disait-il à Aix-en-Provence en 2024. « C’est le prix à payer pour innover. »

L’innovation, entre audace et protection

Lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2024, dans une session consacrée aux enjeux de la destruction créatrice à l’ère de l’intelligence artificielle, Philippe Aghion avait proposé une lecture éclairante du moment actuel. L’IA, selon lui, n’est pas une rupture isolée mais une accélération d’un processus déjà à l’œuvre : une destruction créatrice devenue quasi instantanée.

https://www.youtube.com/watch?v=_SL3oymoARs

Les cycles technologiques se raccourcissent, les positions dominantes se forment et se défont à grande vitesse, et la frontière entre les innovateurs et les autres devient plus mouvante que jamais. Dans ce contexte, la question essentielle n’est plus de savoir s’il faut réguler, mais comment réguler sans étouffer.

« Le rôle de l’État n’est pas de freiner l’innovation, mais d’en fixer les garde-fous », affirmait-il. « L’enjeu n’est pas de choisir les gagnants, mais d’empêcher que les gagnants d’hier bloquent les innovations de demain. »

Cette conviction traverse toute son œuvre : la croissance n’est durable que si elle reste ouverte. Autrement dit, que si la concurrence peut s’exercer.

L’économie comme bien commun

Aux Rencontres économiques 2025, Philippe Aghion a prolongé cette réflexion à la lumière de deux urgences : la transition écologique et la souveraineté technologique européenne. L’innovation, plaidait-il, doit désormais s’orienter vers la soutenabilité : non plus innover pour produire plus, mais innover pour produire mieux.

Là encore, il refuse l’opposition stérile entre croissance et environnement. La solution n’est pas de renoncer à la croissance, mais de la transformer de l’intérieur, en stimulant l’innovation verte et en accompagnant la reconversion des secteurs traditionnels.

« Ce n’est pas la croissance qu’il faut craindre, c’est la stagnation« , disait-il. « C’est en innovant que nous trouverons les réponses écologiques, pas en figeant l’économie. »

Un Nobel au cœur des préoccupations de notre époque

L’attribution du Nobel 2025 à Philippe Aghion a valeur de symbole. Elle récompense une œuvre scientifique majeure, mais nous renvoie aussi aux débats sur les impacts de l’innovation.

À l’heure où nos sociétés balancent entre technosolutionnisme et peur de l’innovation, où l’intelligence artificielle inquiète autant qu’elle fascine, où la transition écologique exige des ruptures sans précédent, le travail de Philippe Aghion rappelle que la solution ne viendra pas de la peur, mais de notre capacité à penser le progrès sans naïveté, en protégeant sans empêcher.

Au-delà du chercheur, Philippe Aghion est un passeur. Il a toujours cherché à rendre ses idées accessibles : à ses étudiants, à ses collègues, mais aussi au grand public, comme le montrent ses ouvrages récents, notamment Le Pouvoir de la destruction créatrice (avec Céline Antonin et Simon Bunel – Odile Jacob, 2020).

Son passage au Collège de France a été l’un des plus suivis de ces dernières années ; ses cours, disponibles en ligne, montrent une économie vivante, reliée à l’histoire, à la politique, à la société.

Dans un monde où les économistes sont parfois accusés d’arrogance ou d’abstraction, Aghion incarne une autre voie : celle d’une économie en dialogue, ouverte, soucieuse du réel.

Un esprit européen

Enfin, il y a dans la trajectoire de Philippe Aghion quelque chose de profondément européen. Il partage cette conviction – que l’on retrouve aussi dans les travaux d’Esther Duflo ou Jean Tirole – que l’Europe peut inventer un modèle propre de modernité économique : à la fois compétitive et solidaire, tournée vers le long terme, soucieuse de concilier efficacité et justice.

Ce message, son intervention aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2025, aux côtés de Mario Draghi et de Benoît Cœuré, le résume parfaitement : « L’avenir de l’Europe ne se joue pas dans la nostalgie de ce qu’elle fut, mais dans la capacité à inventer ce qu’elle veut être« .

https://www.youtube.com/watch?v=zD6VC3Rfx3k