Le commerce international semble résister à la fragmentation du monde. De nouveaux partenariats économiques se sont noués, au-delà des considérations politiques.
Cet article est extrait du numéro 8 de la revue Mermoz, « Notre modèle social, un chef d’œuvre en péril »
L’invasion de l’Ukraine et la guerre qui a suivi marquent le début de ce que l’on craint être une fragmentation globale de l’économie mondiale. L’élection puis les annonces de Donald Trump sur les droits de douane ont ajouté de la confusion et de l’incertitude à une situation déjà complexe. Pourtant cette fragmentation n’apparaît pas dans le commerce international, à l’exception de celui de la Russie et des États-Unis avec la Chine. Néanmoins, depuis le début de 2025, de nouveaux partenariats se sont imposés selon une logique qui semble largement économique et repose peu sur des affinités politiques.
La mise en scène d’une alternative à l’Occident
La photo des présidents Xi Jinping, Poutine et du Premier ministre Modi côte à côte lors de la réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai à Tianjin, les 1er et 2 septembre 2025, permet à la Chine d’afficher sa réconciliation avec l’Inde et son poids face à l’Occident. Xi Jinping a fait l’éloge du multilatéralisme et le défilé militaire du 3 septembre – auquel n’a pas assisté Narendra Modi – a été une démonstration de force.
Au-delà de la communication, c’est d’abord le contraste entre la traditionnelle opposition entre la Chine et l’Inde et cette proximité nouvelle qui interroge sur la stratégie de ces grandes puissances. L’Inde, proche des États-Unis, a été fortement choquée par le traitement infligé par le président américain avec des « droits de douane punitifs ». Elle ne rompt pas pour autant avec ce pays puisque les négociations continuent, confirmant sa stratégie de multi-alignement.
Surtout, c’est l’image d’une Chine leader du « Sud Global » qui apparaît.
Le 23 septembre 2025 à New-York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le vice-ministre du Commerce a rappelé que la Chine demeurait le plus grand pays en développement du monde et qu’elle serait toujours au côté des autres pays en développement. Cela fait partie d’une sorte de « storytelling » rappelant que Pékin a aussi souffert de la colonisation par des puissances occidentales de certaines parties de son territoire et a toujours aidé les pays en développement, même quand elle était très pauvre. La suppression de l’organisme américain d’aide au développement (USAID) a des effets dramatiques dans les pays les plus vulnérables et ne peut que les inciter à se tourner vers d’autres, la Chine en premier lieu.
D’une façon générale, on constate que, malgré leurs différences et leurs désaccords, les pays du sud veulent peser dans la gouvernance mondiale et la définition des normes. L’opposition à une domination occidentale est un socle commun fort, entretenu par la Chine. Elle est aggravée par l’imposition des droits de douane américains qui ont accru le fossé Nord-Sud . La position chinoise ne s’est pas vraiment dégradée et aujourd’hui 82% des pertes dues à la baisse du commerce avec les États-Unis sont compensés par des échanges avec les pays du sud puis avec l’Europe.
La diversification des alliances
On observe aujourd’hui, une multiplication des alliances entre pays ayant des différents politiques ou diplomatiques afin de sécuriser les approvisionnements et les débouchés.
L’exemple du rapprochement sino-indien est l’un des plus parlants. Malgré des années de conflits frontaliers, un soutien chinois au Pakistan dans son opposition à l’Inde, un refus de l’entrée de New Delhi au Conseil de sécurité des Nations unies, les relations économiques sont restées intenses et la Chine demeure l’un des premiers fournisseurs de l’Inde, essentiellement de produits intermédiaires. Avec un déficit commercial très important, New Delhi dépend de Pékin pour les antibiotiques, les panneaux solaires, les batteries au lithium… Cette dépendance rend illusoire toute véritable rupture. Il faut noter que ce rapprochement est antérieur à l’élection de Donald Trump et a été acté lors de la rencontre Xi-Modi au sommet des BRICS en 2024 à Kazan.
En revanche, le renforcement de la coopération Tokyo-Séoul-Pékin, avec la réunion des trois ministres des Finances du Japon, de la Corée du sud et de la Chine le 30 mars 2025, apparaît comme une réaction à la politique du président américain. Les deux premiers pays sont les traditionnels alliés des États-Unis qui leur fournit une protection militaire, mais sont économiquement très liés à la Chine. Ils veulent donc offrir un environnement plus prévisible aux entreprises et accélérer les négociations afin de signer un accord de libre-échange.
De nombreux pays d’Asie craignent l’influence de la Chine et cherchent à diversifier leurs partenaires tout en ayant des relations économiques très fortes avec elle. C’est le cas du Vietnam – très dépendant des États-Unis – dont les relations avec son voisin sont complexes. Néanmoins, le voyage de Xi Jinping au Vietnam en avril 2025 s’est conclu par des accords d’investissements chinois dans les secteurs de la décarbonation de l’économie et de l’intelligence artificielle.
De même, le Moyen-Orient maintient ses relations avec les États-Unis tout en se tournant vers la Chine qui est, désormais, le premier partenaire commercial des Émirats Arabes Unis et de l’Arabie saoudite.
Un pragmatisme qui va de pair avec la défense des intérêts stratégiques
Aujourd’hui, dans un monde multipolaire marqué par l’opposition entre la Chine et les États-Unis, les enjeux concernent surtout l’avance technologique, que ce soit en matière de sécurité civile ou militaire, d’énergies non carbonées ou de télécommunications. Chacun recherche la zone d’influence la plus large, dans une imbrication des logiques économique et stratégique.
Deux éléments sont particulièrement importants pour comprendre cette situation. Premièrement, dans une période où le commerce international était régi par des règles et des institutions, la forte internationalisation des chaînes de valeur a rendu les pays très interdépendants.
Deuxièmement, la stratégie chinoise en matière d’innovation depuis le début des années 2000 lui permet aujourd’hui de rivaliser avec les États-Unis et d’étendre son influence. Ainsi, le système de navigation par satellites chinois BeiDou est aussi utilisé dans le monde que le GPS américain. Son usage est particulièrement développé en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique, au risque de voir un jour, au niveau mondial, une fracture entre deux systèmes technologiques incompatibles.
Outre le conflit armé et les droits de douane américains, les tensions portent sur les questions de sécurité militaire ou économique. Dans les deux cas, la concurrence en matière de technologie et d’accès aux minerais et terres rares est centrale. On comprend que les échanges internationaux demeurent une nécessité.
D’ailleurs, le rapport de l’OMC publié le 7 octobre 2025 souligne la forte résilience du commerce international même s’il est moins optimiste pour 2026.
Donc, le pragmatisme implique une poursuite des échanges et une diversification des partenaires économiques. On observe ainsi une adaptation des politiques commerciales aux décisions américaines, adaptation qui a permis au commerce international de résister à ces tensions fortes.
Traditionnellement, les pays ont pratiqué le « friendshoring » en échangeant en priorité avec des partenaires avec lesquels ils partageaient des valeurs et des règles. Les États-Unis en étaient beaucoup plus adeptes que la Chine ou l’Europe , ils ont pourtant taxé lourdement de nombreux pays « amis » mettant en péril l’ordre international qu’ils avaient eux-mêmes construit. Or, la mondialisation a besoin de règles et il appartient à l’ensemble des pays, notamment hors Chine et États-Unis, de coopérer à cette fin.