La défiscalisation des heures supplémentaires pourrait devenir totale à l’issue de l’examen du budget 2026. Pour Stéphane Carcillo, cette mesure bénéficierait surtout aux travailleurs qualifiés, sans effet sur la quantité totale d’heures travaillées.
Depuis plusieurs années, les salariés en France qui accomplissent des heures supplémentaires bénéficient d’un traitement fiscal et social très avantageux : en plus d’une majoration de rémunération, ces heures sont exonérées d’impôt sur le revenu dans un plafond annuel de 7.500 euros. Elles sont également partiellement exonérées de cotisations salariales, notamment d’assurance-vieillesse, tandis que les employeurs bénéficient d’une déduction forfaitaire sur les cotisations patronales applicable dans les entreprises de moins de 250 salariés.
L’Assemblée nationale souhaite aller encore plus loin. Le 25 octobre, elle a adopté la suppression du plafond de 7.500 euros : la défiscalisation des heures supplémentaires pourrait ainsi devenir totale. Le 6 novembre 2025, elle a étendu la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires à toutes les entreprises, y compris celles de plus de 250 salariés.
A première vue, ces mesures sont présentées comme un levier en faveur de l’emploi et du pouvoir d’achat : encourager « la France qui travaille ». Il est vrai qu’en matière d’heures travaillées par habitant – déterminant clé du PIB par tête avec la productivité – la France accuse un sérieux retard. Pourtant, nos députés semblent avoir la mémoire courte : cette politique a déjà été introduite une première fois en 2007, avant d’être supprimé en 2012 faute d’avoir démontré un quelconque impact sur l’emploi et le revenu des ménages les plus modestes.
C’est ce que nous avions démontré, déjà à l’époque, avec Pierre Cahuc. En comparant les heures des salariés travaillant en France à proximité de nos frontières – qui bénéficiaient de ce type d’exonération – à celles de ceux traversant la frontière chaque jour pour aller travailler – qui n’en bénéficiaient pas -, il s’avère que la défiscalisation des heures supplémentaires sur cette période n’a eu aucun effet significatif sur le volume global de travail.
La raison en est simple : pour de nombreux salariés la quantité exacte d’heures travaillées n’est pas une donnée facilement observable par l’administration, si bien qu’employé et employeur peuvent s’accorder pour déclarer chaque mois des heures supplémentaires fictives afin de bénéficier des allègements et se partager cette manne fiscale. Or ce sont surtout les travailleurs qualifiés – cadres, experts, professions autonomes – qui sont le plus en mesure de profiter de ce type d’optimisation, car leurs horaires de travail sont facilement manipulables. Nos députés devraient pourtant savoir que toute mesure fiscale doit porter sur une base facilement vérifiable.
Ainsi, défiscaliser davantage les heures supplémentaires n’aura aucun effet sur la quantité totale d’heures travaillées. Ce dispositif, coûteux pour les finances publiques, est en outre très peu redistributif puisqu’il bénéficie surtout aux professions intermédiaires et supérieures. Pour accroître les heures totales travaillées dans notre pays, le véritable levier réside ailleurs : augmenter l’âge effectif de la sortie des seniors du marché du travail, insérer plus rapidement les jeunes dans l’emploi, et lutter contre le chômage des moins qualifiés.
C’est par une meilleure mobilisation du potentiel de travail, et non par la subvention des heures supplémentaires, que la France pourra réellement produire plus, gagner plus – et rétablir plus rapidement l’équilibre de ses comptes public.