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Peut-on être heureux de payer ses impôts ?

L’impôt, est bien plus qu’un simple prélèvement obligatoire. À l’heure les questions fiscales se cristallisent les débats, Pierre Boyer et Oana Bucescu nous éclairent sur les perceptions et les attentes des citoyens. Du consentement à l’impôt hérité de la Révolution française aux défis contemporains liés à la confiance dans les services publics, cet entretien explore les liens entre fiscalité, contrat social et justice. Un travail indispensable pour identifier les leviers qui permettraient de réconcilier les Français avec l’impôt.

Les impôts sont depuis toujours perçus comme une contrainte, un poids. Pourquoi une telle défiance ? 

PIERRE BOYER : On peut d’abord prendre l’exemple de la Révolution française de 1789 qui, comme le montre l’historien Nicolas Delalande (Les batailles de l’impôt, Seuil), naît d’une révolte fiscale, destinée non pas à supprimer le principe de l’impôt, mais à le légitimer en lui donnant l’onction du consentement de la Nation. On a envie de s’approprier l’impôt, de le choisir plutôt que de le subir. C’est ce qui fait la grosse différence entre l’Ancien régime et le régime démocratique. 

OANA BUCESCU : L’idée qui a fondé notre système fiscal, c’est que les citoyens participent justement à cette contribution commune qu’ils décident, chaque année, par l’intermédiaire de leurs représentants au Parlement. Mais il est difficile de concevoir un système fiscal capable de répondre aux réalités multiples des citoyens. Face à un système complexe, il est parfois difficile de comprendre comment il fonctionne, ce qui contribue peut-être à la défiance. 

Comment expliquer que des pays ayant un même niveau de prélèvements obligatoires aient des perceptions de l’impôt et des niveaux de satisfaction dans la vie très différents ?

P.B. : Les pays scandinaves et la France sont à peu près dans la même zone de pression fiscale. Comment arrivent-ils à faire « mieux que nous » ? Plusieurs déterminants entrent en compte mais l’un des plus importants est celui de la confiance, qu’elle soit dans les services publics mais aussi entre les citoyens. Il faut aussi rappeler que les impôts ne sont pas « seuls », ils appartiennent à un contrat social avec des contreparties à l’impôt, des services publics, de la justice, de la redistribution et, surtout, un système démocratique dans lequel les citoyens sont consultés pour savoir si on utilise les impôts à bon escient. Ce n’est donc pas juste d’avoir des impôts faibles qui réduit tous les problèmes d’une société. Enfin, vient le sujet de l’utilisation de l’argent public. Les expérimentations le montrent : lorsque les gens comprennent comment est contrôlé l’argent public, ils sont plus confiants envers le système.

O.B. : Le fait qu’il y ait une défiance ou un manque de visibilité sur l’utilisation des ressources peut effectivement créer un écart à pression fiscale égale entre les pays dont les concitoyens sont contents de payer des impôts et d’autres non. Il est très intéressant d’avoir quantifié ce phénomène. 

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Avec le dérapage des déficits, la question d’une hausse des impôts a fait son grand retour dans le débat public. Il semblerait que les Français aient leur avis sur la question (75% des Français trouvent que le niveau des prélèvements obligatoires est trop élevé). Le niveau des impôts a-t-il atteint un plafond en France ?

O.B. : Dans les prélèvements obligatoires, il y a les impôts mais aussi toutes les cotisations et autres prélèvements sociaux. Mis bout-à-bout, il y a une forte pression fiscale en France. En contrepartie, il y a un niveau élevé de services publics. En période de crise, si les contribuables ressentent des difficultés économiques au quotidien, la pression fiscale se ressent davantage et peut créer des crispations.

P.B. : La France a une dette élevée, mais les gens nous prêtent de l’argent car en France, les impôts rentrent bien. Finalement, les Français sont mécontents du système mais sont de bons payeurs. Mais est-on arrivés au maximum de ce que l’on peut faire ? Je pense que cela dépend énormément de la période et du contexte. Nous sommes à peu près certains que si la France subissait une agression de ses frontières, les gens seraient prêts à payer plus pour la défense nationale. Le sommet de la courbe de Laffer n’est pas identique en période de paix et de guerre. Plus généralement, la courbe de Laffer n’est pas qu’une construction économique, elle est aussi une construction politique et sociale.

Au-delà de son niveau, un impôt pour être accepté doit être juste. Mais qu’est-ce qu’un impôt juste ?

P.B. : Il y a plusieurs critères qui jouent. La justice est regardée par chacun avec ses propres critères et valeurs, cela ouvre de grandes discussions de philosophie. Par exemple, certains penseurs adhèrent aux principes d’égalité de sacrifice et à l’idée d’une imposition basée sur les prestations reçues (benefit-based taxation en anglais) : ce que l’on paie correspond au bénéfice qu’on en retire. Ensuite, il y a une tradition à laquelle appartient John Rawls pour laquelle l’objectif serait d’améliorer la vie de la personne la moins bien lotie dans la vie […]. Aux Etats-Unis, les gens vont penser que la situation dans laquelle vous êtes est plus liée à votre effort qu’à votre chance, alors que c’est l’inverse en Europe continentale. […] Il y a aussi une grande question intergénérationnelle : les nouvelles générations héritent d’une planète dégradée, mais aussi de la dette. Dans quelle mesure pourra-t-on répartir l’effort commun entre les générations ? On pourrait se dire que faire de la dette pour les jeunes générations, c’est un peu leur faire payer deux fois le prix de la transition.

O.B. : Qui devra effectivement faire le plus d’efforts, notamment financiers, pour résoudre la crise climatique ? La répartition pose question. Structurellement, plus les mesures tarderont à être prises, plus les jeunes seront amenés à devoir injustement supporter la charge de cette situation héritée des anciennes générations. 

La transparence sur l’utilisation des fonds publics semble aujourd’hui la condition nécessaire du consentement à l’impôt. Le précédent gouvernement avait même lancé en 2023 une consultation « En avoir pour mes impôts ». Est-ce vraiment une bonne idée de chercher à « rentabiliser » le paiement de son impôt ?

O.B. : La définition même de l’impôt, c’est un paiement sans contrepartie directe, une contribution à un projet de société commun, à des services publics etc. Il peut donc apparaitre paradoxal de vouloir les « rentabiliser ». Mais il semble normal de chercher à s’assurer de leur  efficacité. Il peut être utile d’informer les contribuables sur le niveau de services publics obtenu chaque année.   

P.B. : Il ne faut pas voir l’impôt du pur point de vue d’un consommateur. Parce que l’impôt est lié au contrat social. On est ensemble pour faire société. Je pense qu’il manque un aspect à cette question : celle du gaspillage. Si on me prend 100 euros et que j’ai des services publics 4 étoiles, tout marche parfaitement, alors il n’y aura pas de problème à payer ses impôts. Mais si on prend 100 euros et qu’il y a très peu par rapport à ce qu’on s’attend, là c’est différent. C’est donc plus la question d’une bonne utilisation de chaque euro versé qui va déterminer l’acceptation du prélèvement. Et ça, je pense que c’est quelque chose qui est assez consensuel. Tout le monde a envie d’avoir plus avec autant.

L’alternative aux hausses d’impôts, c’est la baisse des dépenses publiques. Or seule une minorité de Français l’accepterait (qu’il s’agisse des retraites, de la santé, de la justice-sécurité, de l’éducation ou de la défense). Et même, moins d’un Français sur deux considère qu’il faudrait réduire le nombre de missions de l’Etat. Sommes-nous schizophrènes ?

P.B. : Nous avons posé ces questions en 2023 dans le baromètre des prélèvements obligatoires et effectivement on voit que très peu de gens y sont prêts ! Nous avons décidé collectivement que ce soit l’Etat qui fasse de nombreuses tâches, mais on aurait très bien pu faire un système à l’américaine avec un Etat qui laisse les acteurs privés réaliser plus de missions ! Finalement, ce n’est pas forcément schizophrène. On ne veut pas forcément baisser les impôts contre une baisse des services. Il y a derrière une question plus importante : peut-on faire mieux avec le même argent ? A celle-ci, beaucoup de gens répondent oui. Le problème, c’est donc plus la qualité de la dépense.

O.B. : Le mieux serait effectivement d’essayer d’optimiser, si cela est possible, l’argent qui est investi dans les services publics. Je trouve qu’il y a quand même une tendance positive vers plus de transparence, avec de plus en plus de rapports sur l’utilisation des fonds et des mesures de performance de certaines dépenses. 

Alors, finalement, est-ce possible de réconcilier les Français et l’impôt ? Quelle serait, selon vous, la mesure la plus efficace pour cela ?

O.B. :  Je pense qu’il est important de faciliter l’accès à l’information et de permettre à tous les citoyens d’avoir une bonne compréhension de notre système fiscal. Sur des sujets très techniques, si on manque de connaissances on peut difficilement participer au débat. Pour associer l’ensemble des Français, il me semble utile d’agir sur la méconnaissance de l’impôt. Vulgariser les données d’évaluation, les rapports sur l’utilisation des finances et les explications sur le fonctionnement du système fiscal rendrait le débat plus accessible. Et si on incluait même quelques cours de finances publiques dans le parcours d’étude ?

P.B. : L’appropriation du fonctionnement du système est importante et les impôts sont un très bon sujet pour cela car en paie tous ! Aujourd’hui, on ne peut pas être complètement sûrs de ce qui fonctionne, mais en s’appuyant sur les méthodes les plus récentes de la recherche, en multipliant les études et en intégrant les derniers résultats dans différentes disciplines, on sera de mieux en mieux placés pour dire exactement ce qui marche ou non.