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Quelle politique pour la jeunesse ?

Quelle politique pour la jeunesse ? Question cruciale à l’aube du nouveau quinquennat. Qu’en sera-t-il dans les faits au cours des cinq prochaines années… et après ? Fort d’une discussion entretenue avec près de 16 000 jeunes de 18 à 28 ans au cours des derniers mois, le Cercle des économistes se livre à une synthèse des enjeux pour cette génération.

La jeunesse est aujourd’hui partagée entre inquiétudes et espoirs. Comment répondre à ses attentes et objectifs ? Selon Akiko Suwa-Eisenmann, une politique pour la jeunesse ne s’arrête pas aux jeunes, car la jeunesse dure de plus en plus longtemps. D’où l’importance de revoir l’ensemble des principes de base : définition des socles communs, financement des études, transition vers la vie active, responsabilité des entreprises…

Les propositions de l’auteure, formulées dans cette note, seront complétées par une série de propositions co-construites avec des jeunes lors d’ateliers de travail. Rendez-vous aux Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence les 8, 9 et 10 juillet prochains pour les découvrir.


Une jeunesse entre inquiétude et espoir

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    L’enquête du Cercle a été réalisée à travers le chatbot Jam en février-mars 2022. 15 695 jeunes y ont pris part. Ceux-ci ont été interrogés à raison d’un item par semaine (bien-être, vivre en- semble, formation, environnement, travail) ; ils pouvaient répondre en choisissant un des items proposés et en réponse libre pour les questions ouvertes. Les réponses ont été dépouillées de la manière suivante : pour chaque item, 500 jeunes qui avaient répondu à l’ensemble des ques- tions de l’item ont été sélectionnés de telle sorte qu’ils soient représentatifs de leur groupe d’âge en France, selon les critères de sexe, âge (18-21 ans, 22-25 ans, 26-28 ans), répartition géogra- phique (Ile-de-France, Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Est, Nord-Ouest), taille d’agglomération (Paris, région parisienne, grande ville, reste de la France) et statut (étudiant, en emploi ou inactif).

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Le Cercle des économistes a mené, au printemps 2022, une discussion sur plusieurs semaines avec 15 695 jeunes de 18 à 28 ans, à travers le média conversationnel Jam. De cette enquête brute (sur 500 jeunes répartis par grand thème : bien-être, vivre ensemble, formation, environnement, travail), ressort le portrait d’une jeunesse touchée par les années Covid-191.

C’est tout d’abord une jeunesse qui se projette dans le travail. Une majorité croit à l’ascenseur social mais plus d’un jeune sur deux pense avoir du mal à trouver du travail (surtout les femmes et les plus jeunes – ceux de moins de 25 ans). Les jeunes recherchent avant tout un CDI et se voient rester dans leur entreprise, « toute la vie » pour 12 % d’entre eux ou au moins pour 10 ans (23 %). Un sur dix envisage de créer sa propre entreprise. A contrario, le chômage, non seulement fait peur (39 %, surtout pour les femmes) mais il est vu comme « une honte » (14 %). À long terme, une majorité des 18-28 ans de l’enquête du Cercle nourrissent de sérieux doutes quant au fait de bénéficier d’une retraite.

C’est aussi une jeunesse engagée mais pas dans l’action politique : les jeunes qui s’expriment dans l’enquête du Cercle sont engagés dans la lutte contre les inégalités et en faveur de la transition écologique. Cependant, plus d’un jeune sur deux se sent impuissant face à la crise climatique même si 42 % espère trouver des solutions.

Surtout, cet engagement ne se traduit pas en participation politique. Certes, pour un jeune sur 4, le vote est le mode privilégié d’expression collective. Mais ils sont aussi nombreux à trouver qu’il n’y a aucun moyen de se faire entendre. 37 % ne se sentent représentés (politiquement) « par personne. »

Il en ressort une tentation du repli sur la sphère privée : 44 % des jeunes interrogés par le Cercle évoquent leur « communauté » comme la meilleure échelle pour faire société, loin devant l’échelon national (20 %) ou l’Europe (15 %).

Enfin, après plus de deux ans marqués par le Covid-19, c’est une jeunesse qui va mal : 42 % des jeunes interrogés « ne vont pas super » et 11 % « ne vont pas bien du tout ». Nombre d’entre eux ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour faire face à ces difficultés : 40 % des jeunes se sentent « pas assez entourés » et 8 % d’entre eux même « pas du tout », et il s’agit surtout des 18-21 ans.

Les jeunes enquêtés sont frappés par la précarité : 44 % d’entre eux dépendent d’aides de leurs familles ou de l’État (à égalité) pour boucler leurs fins de mois ; 14 % souffrent de ne pas avoir de recours extérieur. Ils manquent de ressources pour se loger décemment et pour se nourrir : 17 % des jeunes n’ont pas les moyens de manger à leur faim et équilibré ; 7 % en sont à sauter des repas.

Un jeune sur trois (les plus jeunes, de moins de 21 ans) rencontre des difficultés à accéder aux services essentiels du quotidien (comme les services publics et les courses), surtout en province. Un tiers des jeunes ont du mal à accéder à des soins pour des raisons financières, et ce sont plus souvent des femmes. Malgré la souffrance mentale qui touche presque la moitié des interrogés, seuls 22 % des jeunes ont consulté un thérapeute.

Quels enseignements tirer de cette discussion avec les jeunes ?

On est jeune de plus en plus vieux

La jeunesse est un état social, caractérisé par la poursuite des études puis la survenue des événements marquant l’entrée dans l’âge adulte, soit l’accès à un logement autonome, le premier emploi et la mise en couple. Autrefois, ces événements arrivaient de manière quasi-simultanée. Maintenant, ils sont étalés sur plusieurs années, tandis que les études s’allongent. Aussi, la jeunesse dure… de 18 à 28 ans et parfois même plus.

Première conséquence : les jeunes qui poursuivent des études plus longues arrivent sur le marché du travail plus diplômés certes, mais aussi avec moins d’expérience professionnelle. Ce manque d’expérience les pénalise lors de leur recherche d’emploi et au tout début de leur vie active et se traduit notamment dans leur premier salaire. Aussi, pour véritablement mesurer le degré d’insertion dans l’emploi des jeunes d’aujourd’hui, on devrait les observer non pas à 25 ans mais plutôt vers 30 ans (et les comparer aux personnes de 25 ans des générations antérieures) : quand on fait cela, on voit bien l’effet positif de l’allongement des études et des diplômes sur les trajectoires d’emploi – une fois résorbé le handicap initial lié au manque d’expérience professionnelle.

Deuxième conséquence : la période entre études et installation dans un emploi durable, cet « entre-deux », est une période précaire. Les jeunes vont de CDD en CDD entrecoupés de périodes de chômage, accumulant ainsi, peu à peu, et de manière parfois chaotique, de l’expérience professionnelle. Or, c’est précisément durant cet « entre-deux » que les jeunes perdent les bénéfices associés au statut d’étudiant, sans que leur premier salaire suffise à compenser la perte d’avantages sociaux et économiques comme les aides aux étudiants de la Caisse d’allocations familiales, les transports gratuits ou à prix réduits, des tarifs réduits pour nombre d’activités culturelles ou sportives, ou les aides pour l’obtention du permis de conduire. L’entrée dans la vie active se solde donc pour certains, par une baisse transitoire du niveau de vie.

Jeunes des villes, jeunes des champs

L’enquête du Cercle distingue les réponses des Parisiens et des provinciaux, en matière d’accès à un logement décent et aux services essentiels du quotidien. Plus généralement, les situations sociales des jeunes diffèrent selon leur lieu de résidence.

Les jeunes des « banlieues » ou plutôt, des quartiers prioritaires de la politique de la ville (environ 1500 quartiers prioritaires, regroupant 5,5 millions d’habitants) sont les plus frappés par la période de précarité entre études et emploi : 31 % des moins de 30 ans de ces quartiers sont au chômage, comparé à 17 % des jeunes des autres quartiers des mêmes villes (Truong, 2016). Cependant, après des années de « petits boulots » (parfois ceux des emplois aidés du serveur non marchand, qui jouent leur rôle de tremplin vers la vie professionnelle), ils parviennent à un emploi stable, le diplôme exerçant là-aussi un effet protecteur.

Mais l’entre-deux frappe aussi les jeunes en milieu rural, ceux qui ont choisi de rester et ne pas poursuivre d’études en ville. Comme les emplois sont particulièrement rares en milieu rural, il arrive souvent que la mise en couple précède l’accès à l’emploi. Les conjoints ne trouvent pas d’emploi en même temps ; de fait, ce sont souvent les épouses qui se retrouvent en recherche d’emploi. En milieu rural, les emplois qui leur sont accessibles seront dans le secteur des services (comme caissière ou auxiliaire de vie) avec des horaires décalés et des déplacements, ce qui nécessite de pouvoir se déplacer en voiture. Or, l’obtention du permis et la possession d’une voiture sont deux investissements conséquents, qui demandent plusieurs années d’épargne, prolongeant d’autant la période transitoire d’« entre-deux » pour les jeunes femmes vivant en zone rurale (Coquard, 2019).

Agir pour la jeunesse : État, entreprises ou famille

Education : une ardente obligation

Les jeunes interrogés par le Cercle croient en l’importance de l’éducation : pour trois-quarts d’entre eux, les diplômes sont importants. Cependant, ils jugent sévèrement le système éducatif actuel : seuls 17 % considèrent qu’il est adapté au monde actuel. Ils souhaitent un enseignement qui les forme mieux à l’entrée sur le marché du travail, notamment dans les soft skills comme la maîtrise de l’oral, la gestion d’un planning, l’esprit d’équipe, la stimulation de la créativité. Ils rêvent d’une école bienveillante, qui supprime la notion de bon ou mauvais élève, sans sélectionner ou exclure ; une école attentive aux décrochages et à la santé mentale des élèves ; un enseignement qui développe l’esprit critique plutôt que le « par cœur », puisqu’internet permet d’accéder aux connaissances.

Il faut rappeler ici un élément de contexte important : l’effort important de démocratisation scolaire (l’entrée massive d’enfants de classe populaire au collège puis au lycée puis post-bac) s’est arrêté en 1995 ; le taux de scolarisation à 21 ans qui était à 44,8 % en 1995 a baissé à 40 % avant de reprendre légèrement à partir de 2008.

Responsabilité des entreprises

Les entreprises doivent aussi s’adapter. Elles pourraient accorder moins d’importance à l’expérience professionnelle dans leurs critères de recrutement et s’engager dans la formation des nouvelles recrues. Les jeunes recherchent le bien-être au travail : travailler dans une entreprise dont l’action est positive pour la société, concilier vie personnelle et professionnelle (horaire flexible mais avec une rémunération effective des heures supplémentaires, télétravail ou semaine de 4 jours, sport intégré dans la journée de travail).

La famille ou les transferts entre générations ne sont pas ceux que vous croyez

Étrangement, la famille est quasi-absente, dans l’enquête du Cercle. Selon les jeunes interrogés, les générations précédentes pourraient les aider financièrement ou par l’accès au logement, avec comme contrepartie, des services aux personnes âgées. Ils souhaiteraient aussi (pour 9 % d’entre eux) du mentorat pour leurs choix d’études ou de carrière et 8 % abordent la question des donations.

Or, la famille est bien au cœur des transferts vers les jeunes, surtout en France. Pour schématiser, les dépenses en faveur des personnes âgées (qui représentent 20 % de la population) sont le fait de l’État : un peu de services collectifs et beaucoup de transferts (320 milliards d’euros), avant tout sous forme de prestations de retraite (280 milliards). Face à cela, l’État consacre 160 milliards d’euros aux dépenses d’éducation (pour des jeunes qui représentent 30 % de la population si on prend les moins de 25 ans). La plupart des dépenses en direction des jeunes provient donc de la famille (sans compter l’investissement en temps et la co-résidence). Ce rôle de la famille a assurément des avantages mais aussi des effets négatifs pour la collectivité, en perpétuant les inégalités.

Une politique pour la jeunesse va bien au-delà de la jeunesse

De ce court panorama, il ressort qu’une politique pour la jeunesse ne peut se réduire à une politique ciblée par groupe d’âges. La jeunesse comme état social marqué par la poursuite des études puis l’accès à l’emploi, au logement et la formation d’une famille autonome, requiert une action dans toutes ces dimensions. Elle garde cependant une spécificité, celle de l’« entre-deux » : les jeunes travaillent pour étudier, passent par une succession de « petits boulots » avant d’accéder à un emploi stable ; fondent une famille avant cet emploi stable, etc. Aussi, nos propositions « pour la jeunesse » se focalisent sur ce passage études-emploi.


Propositions

Éducation

Dans l’enquête du Cercle, les trois quarts des jeunes accordent une importance notable aux diplômes (« très importants » pour 28 %, « un peu » pour 46 %). Ils ont raison : les travaux des économistes montrent que les diplômes protègent du chômage et permettent d’accéder à de meilleurs emplois.

Il faut reprendre l’effort volontariste en faveur de l’éducation, interrompu depuis plusieurs années :

  • Relancer l’effort d’éducation : scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans
  • Mettre en place un dispositif de prévention et d’alerte en cas de décrochage

Les jeunes interrogés par le Cercle sont néanmoins sévères avec le système éducatif dans sa forme actuelle : ils ne sont que 17 % à le juger en phase avec les enjeux de l’époque (27 % le perçoivent même comme « complètement dépassé ». Ils souhaitent que le lycée et les études supérieures s’ouvrent plus aux stages et à la formation en alternance.

  • Instaurer un stage obligatoire au lycée
  • Mieux former les conseillers d’orientation

Financer les études

40 % des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur travaillent en parallèle de leurs études (Observatoire de la vie étudiante, 2021). 37 % des étudiants ont touché une bourse sur critères sociaux dont un tiers recevant 1000 euros sur l’année et un autre tiers recevant une bourse annuelle comprise entre 4500 et 5600 euros (le maximum). Des bourses au mérite sont attribuées en complément des bourses sur critères sociaux aux titulaires d’un baccalauréat avec la mention Très bien.

  • Augmenter le nombre et le montant des bourses destinées aux étudiants ; augmenter le plafond de ressources parentales (jusqu’à 2,5 fois le smic) et varier le montant de la bourse selon le coût de la vie (ou du logement) du lieu d’études.
  • Instaurer des bourses au mérite, récompensant l’effort plus que les notes.
  • Instaurer des Prêts étudiants avec un taux d’intérêt bonifié, remboursables sur quinze ans à partir de la fin des études.
  • Créer des subventions couvrant les frais d’études (y compris achat de matériel), de santé, logement et transport.
  • Faciliter le cumul emploi-études dans l’enseignement supérieur : les bourses, subventions ou prêts pour les étudiants peuvent être attribués pour de la formation à temps partiel ou en reprise d’études.
  • Augmenter le nombre de chambres et studios en résidences universitaires.
  • Faciliter les conditions de location pour les étudiants : ne pas exiger que le revenu mensuel soit le triple du montant du loyer, conditions de garantie de loyer facilitées, caution d’un mois et non pas deux.

Lisser le passage étudiant-entrée dans l’emploi

  • Instaurer un revenu jeunes à un niveau comparable aux bourses actuelles, sous conditions de ressources, mais sans conditions d’études ou d’emploi, en réduisant le nombre de démarches pour son obtention.
  • Créer pour les jeunes résidant dans des zones peu desservies par les transports en commun, un financement de la préparation au permis de conduire sous conditions de ressources et sans conditions d’études ou d’emploi.
  • Prolonger pendant un an après la fin des études, l’accès aux aides réservées aux étudiants.
  • Réviser le statut d’alternant pour maintenir l’accès aux bourses et aides de la CAF.
  • Prolonger pendant 3 mois après la fin des études, le bénéfice du visa étudiant pour les étrangers extra-européens.
  • Du côté des entreprises : mettre moins de poids sur l’expérience à l’embauche. S’engager à former les jeunes employés.

Faciliter les transferts privés en direction des jeunes

  • Repousser l’âge de la retraite : allonger la durée d’activité permet de diminuer les transferts publics en direction des personnes âgées et d’augmenter la richesse du pays, libérant de la marge budgétaire en faveur de la jeunesse.
  • Encourager la transmission patrimoniale, sous forme de donations en direction des jeunes par une fiscalité différenciée : soit des donations au sein de la famille, soit des donations vers des fondations universitaires ou des fonds d’aides à la création d’entreprise par de jeunes entrepreneurs.

Bibliographie

  • Amsellen-Mainguy, Yaëlle, Lardeux, Laurent, Couronné, Julie (2022). Jeunesses, d’une crise à l’autre. Presse de Sciences Po.
  • Cercle des Economistes et Jam (2022): Rapport d’étude : Bien- être,vivre ensemble, formation, environnement, travail
  • Collectif (2007). Une jeunesse difficile : portrait économique et social de la jeunesse française. Edité par Daniel Cohen, Opuscule du Cepremap, 06, éditions de la rue d’Ulm, 2007
  • Coquard, Benoît (2019). Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin. Editions La Découverte.
  • Galland, Olivier, Lazar Marc (2022) Une jeunesse plurielle : enquête auprès des 18-24 ans. Institut Montaigne
  • INSEE (2021) France Portrait Social, INSEE références
  • Truong, Fabien (2015) Jeunesses françaises : Bac+5 made in banlieue