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Décarbonation : comment réagir aux crises en cours ?

Décarbonation : comment réagir aux crises en cours ? Patrice Geoffron donne ici les clefs pour comprendre combien la transition énergétique va demander en efforts, à la fois techniques et politiques. Déjà sur le devant de la scène avec l’engagement croissant des entreprises, la lutte contre le réchauffement climatique, intimement liée à la quête d’énergie, devient le sujet prioritaire pour les occidentaux, à l’aune de la guerre qui frappe le sol européen.

Le phénomène est inéluctable : les dépendances énergétiques européennes ne peuvent que monter en puissance, les préoccupations environnementales avec. Selon Patrice Geoffron, la sécurité d’approvisionnement énergétique du Vieux continent a été la grande oubliée du débat sur la résilience en pleine crise sanitaire. Comment rectifier le tir ?

De notre forte dépendance vis-à-vis de la Russie aux leviers d’action possibles pour en limiter les effets et reprendre le chemin vers notre souveraineté, le lecteur trouvera ici matière à réflexion pour éclairer le débat économique, sans parti pris, dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle.


Ce que la situation de « guerre et paix » avec la Russie change aux perspectives énergétiques et climatiques de l’Union européenne

L’Europe a été la première zone du monde, dès les années 2000, à fixer des objectifs ambitieux de lutte contre le changement climatique, et la France a assumé ce leadership en portant l’Accord de Paris en 2015. Mais, dans la progression de l’Europe sur le chemin de la décarbonation, l’agression militaire de la Russie en Ukraine tient lieu de « retour du refoulé » : les énergies fossiles sont des matières hautement géopolitiques, l’Europe est un vieux continent qui en extrait de moins en moins de son sous-sol et la Russie est son premier fournisseur aussi bien pour le pétrole, le charbon que le gaz (et un fournisseur majeur d’importants minerais « critiques » pour la production d’énergie renouvelable, de batteries pour les véhiculesélectriques…). Cette crise impose aux Européens d’évaluer dans l’urgence leur capacité à réduire ces flux de pétrole et gaz, voire à les mettre sous embargo pour accroître la pression sur la Russie, en interrompant des flux quotidiens qui pèsent de l’ordre de 700 millions d’euros.L’Europe a été la première zone du monde, dès les années 2000, à fixer des objectifs ambitieux de lutte contre le changement climatique, et la France a assumé ce leadership en portant l’Accord de Paris en 2015. Mais, dans la progression de l’Europe sur le chemin de la décarbonation, l’agression militaire de la Russie en Ukraine tient lieu de « retour du refoulé » : les énergies fossiles sont des matières hautement géopolitiques, l’Europe est un vieux continent qui en extrait de moins en moins de son sous-sol et la Russie est son premier fournisseur aussi bien pour le pétrole, le charbon que le gaz (et un fournisseur majeur d’importants minerais « critiques » pour la production d’énergie renouvelable, de batteries pour les véhiculesélectriques…). Cette crise impose aux Européens d’évaluer dans l’urgence leur capacité à réduire ces flux de pétrole et gaz, voire à les mettre sous embargo pour accroître la pression sur la Russie, en interrompant des flux quotidiens qui pèsent de l’ordre de 700 millions d’euros.

Et, quoi qu’il en soit dans les semaines et mois à venir, un audit des voies de la décarbonation s’impose : Quelles stratégies permettent d’atteindre le Fit for 55 (i.e. réduction de 55% des émissions en 2030) en réduisant drastiquement la dépendance à la Russie (centrale, pour ce qui est du gaz, dans l’Energiewende allemande en particulier) ? Comment allouer la charge de cette décarbonation sous contraintes accrues entre les membres de l’UE, et préserver l’objectif européen de « transition juste » ? Comment protéger les ménages et les secteurs industriels les plus fragiles face à cette rupture historique ? Comment, surtout, faire de ce choc un accélérateur dans la transformation de l’Europe en société post- carbone ?

La France n’échappe pas à cet audit : même si sa dépendance directe aux importations de gaz russe est limitée (moins de 20 %), la transmission des chocs via le marché de gros (ainsi que pour l’électricité) a d’ores et déjà conduit la puissance publique à ériger des « boucliers tarifaires » excédant déjà 1 % du PIB. Cela d’autant que l’envolée du prix du pétrole a également conduit à intervenir sur le prix des carburants à la pompe. Durant ces semaines, une évidence s’est imposée : dans une zone économique intégrée comme l’est l’UE, la France ne saurait être indemne face à des ruptures d’approvisionnements en gaz qui viendraient affecter l’Allemagne ou l’Italie (ainsi que les pays de l’Est de l’Europe, particulièrement dépendants).s’est imposée : dans une zone économique intégrée comme l’est l’UE, la France ne saurait être indemne face à des ruptures d’approvisionnements en gaz qui viendraient affecter l’Allemagne ou l’Italie (ainsi que les pays de l’Est de l’Europe, particulièrement dépendants).

Comme la question du niveau et de l’instabilité des prix énergétiques planera sur le prochain mandat présidentiel, il est impératif qu’un débat approfondi s’organise dans les prochaines semaines. Les propositions de blocage des prix qui affluent ne permettront pas, à l’évidence, d’affronter une période d’instabilité appelée à perdurer. Et, surtout, nos concitoyens doivent sortir convaincus de ce débat présidentiel qu’une accélération du rythme de décarbonation est notre seule garantie de sécurité collective. Dès lors que la taxe carbone, qui a été gelée au sortir de la crise de gilets jaunes, nous est maintenant imposée par nos fournisseurs d’énergies fossiles, V. Poutine au premier rang d’entre eux.

Sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Europe : la grande oubliée du débat sur la résilience au cœur de la crise sanitaire

La crise sanitaire a dévoilé des fragilités dont l’UE, et singulièrement la France en son sein, se croyaient exemptes, ouvrant sur une demande de « résilience » centrée sur la sécurisation des chaînes de valeur de produits nécessaires pour affronter d’autres chocs. Loin d’être circonscrit aux produits et équipements de santé, cet impératif a débouché en Europe sur des préoccupations bien plus larges, liées à une dépendance (réelle ou déformée au prisme de la crise) en bout de chaînes de valeur mondiales dans la production de biens manufacturés. La France n’a pas fait exception, et ce débat sur la résilience s’y est entremêlé avec celui, plus ancien et récurrent, portant sur la capacité à ancrer des capacités industrielles dans l’Hexagone.

Étrangement, ce grand audit des conditions d’insertion de l’Europe dans la globalisation n’a pas conduit à pointer les dépendances énergétiques de l’Union. Le déroulement de l’année 2020 explique cette occultation : le confinement de l’économie mondiale a, par un effet mécanique lié à l’effondrement de la demande, divisé parÉtrangement, ce grand audit des conditions d’insertion de l’Europe dans la globalisation n’a pas conduit à pointer les dépendances énergétiques de l’Union. Le déroulement de l’année 2020 explique cette occultation : le confinement de l’économie mondiale a, par un effet mécanique lié à l’effondrement de la demande, divisé par 3 le prix du baril de pétrole et par 2 celui du mètre cube de gaz livré en Europe, en mars 2020 par comparaison aux niveaux de la fin 2019. Ce maintien des cours à des niveaux historiquement faibles jusqu’au dernier trimestre 2020, combiné avec une parfaite continuité d’approvisionnement, a conforté la perception d’une grande résilience des chaînes d’approvisionnement des filières énergétiques. De sorte que la problématique de la résilience des flux d’hydrocarbures et leurs dérivés n’a pas alors trouvé place parmi les multiples préoccupations de gestion de crise pour les Européens, et somme toute assez logiquement dans un aussi extraordinaire contexte.

L’énergie n’a pourtant pas été évincée du débat en réponse au choc sanitaire, puisque la promotion du Green Deal s’est trouvée en bonne place dans la stratégie européenne de relance. En mai 2020, la Commission a proposé un plan « Next Generation EU » conduisant à lever 750 milliards d’euros sur les marchés sans grever les dettes publiques des États, et à porter le budget pluriannuel européen à hauteur de 1100 milliards d’euros. L’accord prévoyait notamment qu’un minimum de 30 % des fonds seraient consacrés à des projets liés à la lutte contre le réchauffement climatique. Les dépenses devaient être guidées par la taxonomie du financement durable en négociation, destinée à orienter les investissements dans les technologies contribuant aux priorités environnementales de l’UE. Chaque État membre devait s’engager à l’élaboration un « plan national de relance et de résilience » pour la période 2021-2023, intégrant une part environnementale minimale de 30 %. Ainsi, pour la France dans le plan dévoilé en septembre 2020, 30 des 100 milliards d’euros ont été dédiés à la transition énergétique (rénovation des bâtiments, rail et nouvelles mobilités, énergie renouvelables, hydrogène…).

Toute cette période aura été vertueuse, en ce sens que les impératifs environnementaux n’auront pas été sacrifiés sur l’autel de la gestion de crise (contrairement à ce qui avait été observé après la crise financière de la fin des années 2000). Les négociations pour fixer l’ambition au niveau du Fit for 55 et ses différents corollaires (taxonomie vert, taxe carbone aux frontières…) ont même été activement poursuivies. Mais, la perception généraled’un bon contrôle de la sécurité d’approvisionnement en énergies fossiles n’a pas été remise en question à l’épreuve du choc sanitaire. Relativement à la Russie, la perspective d’inauguration d’une capacité d’importation supplémentaire (via Nord Stream 2) constituait même un renforcement potentiel de cette sécurité. De manière plus générale, concernant le gaz, la question a plus porté sur son acceptabilité pour accompagner transitoirement les efforts de décarbonation, compte tenu de son origine fossile, plutôt que centralement sur les dangers liés à sa provenance.

Dès la mi-2021, l’Europe se trouve face une « falaise énergétique »

Mais à mesure de la progression dans l’année 2021, l’Europe a brutalement été ramenée à la réalité de sa condition précaire : les prix du gaz en Europe se sont envolés de 500% (sur l’année, et avant même le début du conflit en Ukraine), contre une augmentation limitée à 100% aux États-Unis, par comparaison. Et comme ce choc s’est transmis à l’électricité (compte tenu de la place du gaz dans le fonctionnement du système électrique européen), de nombreux ménages ont été soumis à une double peine, tandis que la compétitivité des secteurs intensifs en énergie (ou dépendants du gaz comme matière première, comme pour la production d’engrais) a été mise sous forte pression.

Cette envolée des prix en Europe s’explique certes par certains facteurs internes, comme l’insuffisante production éolienne en 2021 (et un appel plus fréquent aux centrales à gaz en compensation) ou à la montée du prix des quotas de carbone européens (multiplié d’un facteur 2 durant l’année), notamment suite à la présentation de la vision Fit for 55, en juillet, par Ursula von der Leyen. Mais nous avons également découvert que le prix est désormais aussi dépendant d’évènements du bout du monde, comme en Chine (inondations dans des mines de charbon) ou au Brésil (moins bon rendement des barrages hydrauliques), qui affectent la demande de gaz, a fortiori dans une période de rebond économique.

Même si, fin 2021, le prix du baril n’avait augmenté « que » de 80% sur 12 mois, la stratégie des « petits pas » mise en œuvre par l’OPEP+ (l’Arabie saoudite, la Russie et leur vingtaine d’alliés) pour adapter l’offre à une demande croissante témoigne d’une détermination à laisser les prix sous tension, notamment pour compenser les pertes de 2020. Dès avant le début du conflit, certains producteurs peinaient déjà à atteindre leur quota de production (Nigéria, Angola, Libye en particulier), en raison de problèmes techniques ou d’une instabilité interne. Observons que ce « grand jeu » pétrolier est triangulaire, entre Riyad, Moscou et Washington (ou Houston), sans qu’une capitale européenne soit conviée à la table. Et comme les compagnies pétrolières ont réduit leurs investissements dans l’exploration-production, au cours de ces dernières années (et dès avant la crise sanitaire), l’Europe doit anticiper des prix du pétrole plus élevés durant la décennie.Même si, fin 2021, le prix du baril n’avait augmenté « que » de 80% sur 12 mois, la stratégie des « petits pas » mise en œuvre par l’OPEP+ (l’Arabie saoudite, la Russie et leur vingtaine d’alliés) pour adapter l’offre à une demande croissante témoigne d’une détermination à laisser les prix sous tension, notamment pour compenser les pertes de 2020. Dès avant le début du conflit, certains producteurs peinaient déjà à atteindre leur quota de production (Nigéria, Angola, Libye en particulier), en raison de problèmes techniques ou d’une instabilité interne. Observons que ce « grand jeu » pétrolier est triangulaire, entre Riyad, Moscou et Washington (ou Houston), sans qu’une capitale européenne soit conviée à la table. Et comme les compagnies pétrolières ont réduit leurs investissements dans l’exploration-production, au cours de ces dernières années (et dès avant la crise sanitaire), l’Europe doit anticiper des prix du pétrole plus élevés durant la décennie.

A partir de ce niveau de tensions atteint à la fin 2021, la sortie de l’ambiguïté russe par le déclenchement des hostilités en février 2024 a conduit :

Sur le front gazier : à un pic de prix sur le marché de gros européen, au-delà des 300€ du MWh, soit 15 fois au-delà des niveaux observés début 2021. Toutefois, assez contre-intuitivement, le niveau quotidien de livraison des gazoducs russes est plus élevé en mars qu’en janvier 2022. Les interprétations de ce paradoxe apparent sont multiples : on peut considérer que, dès lors que le conflit est ouvert, la Russie n’a plus à ce stade d’intérêt à faire pression sur l’Europe pour l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 ; surtout, conséquences des sanctions qui frappent l’économie russe, les recettes liées au commerce du gaz (et du pétrole, tout autant) sont essentielles.

Sur le front pétrolier : le prix du baril, après avoir frôlé les 150 $ le 8 mars (soit son record de 2008), est redescendu aux alentours de 100 $. L’Agence Internationale de l’Énergie considère que, à partir d’avril, la production de pétrole russe pourrait être réduite d’un volume de 3 millions de barils par jour, à mesure que les sanctions s’appliquent et que les acheteurs se détournent des exportations russes (dont le pétrole fait déjà l’objet d’un discount de 20% environ). Seuls l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis disposent de capacités de réserve qui pourraient immédiatement contribuer à compenser un déficit russe, mais s’en tiennent à la stratégie interne à l’OPEP+, de progression lente de volumes. Une autre perspective tient au retour de l’Iran sur le marché, après la conclusion d’un accord nucléaire (avec un potentiel de 1 à 2 millions de barils supplémentaires). Laréaction de ces acteurs, face à un probable affaissement de la production russe, sera clé pour éviter un nouveau choc de prix à 150 $ et au-delà.

Retour sur l’inéluctable montée des dépendances énergétiques européennes

L’Agence Internationale de l’Énergie avait réalisé fin 2020 une revue de la politique énergétique de l’UE qui fournit une photographie précise des dépendances énergétiques européennes, en amont de la crise sanitaire et du conflit russe. Il en ressort que l’UE est à l’origine de 12 % de la consommation d’énergie et de 9 % des émissions de CO2, cela à mettre en regard de 22 % du PIB mondial. En 30 ans, ces émissions auront reculé de 20 %, malgré une progression du PIB par habitant de 50 %, reflétant à la fois une diminution de 40 % de l’intensité énergétique de l’économie (également liée à la montée des services dans la structure de l’activité productive) et de 20 % de l’empreinte carbonée de l’approvisionnement énergétique.

Malgré ces performances qui placent l’UE à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, les combustibles fossiles représentent toujours environ 70 % du bouquet énergétique (certes, contre 80 % à l’échelle mondiale) ce qui donne une idée du chemin à parcourir pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Plus précisément, le pétrole occupait encore, à la fin de la décennie, 33 % du bouquet, le gaz naturel 25 % et le charbon 14 %. Des données qui masquent une très forte hétérogénéité, les combustibles fossiles pesant entre 26 % (en Suède) et 95 % (à Malte) parmi les États membres. Par ailleurs, même si le pétrole et le gaz sont les fossiles prédominants dans de nombreux pays, la dépendance au charbon reste forte dans l’Est, notamment en Pologne ou en République tchèque (sans compter l’Allemagne, dont la nouvelle coalition s’était engagée à fermer ses centrales à charbon au début des années 2030, mais cela sous réserve d’accès à du gaz naturel en substitution…).

Cette persistance des énergies fossiles à un très haut niveau dans le modèle européen n’est pas seulement une problématique environnementale, mais également un sujet de sécurité collective en raison de la nette diminution de la production « autochtone » de ces ressources : durant la dernière décennie, l’extraction de pétrole et de gaz a chuté de 40 %, tandis que celle de charbon reculait de 30 %. A noter également, sur la même période, une diminution de la production d’énergie nucléaire, avec une baisse de 11 % (en particulier en Allemagne).

La conséquence mécanique de cette tendance est que l’UE dépend à 90 % des importations pour couvrir la consommation de pétrole, à 77 % pour le gaz, et à 42 % pour le charbon. Alors que le Danemark était encore exportateur net d’énergie au début du siècle (seul dans ce cas), il n’y a plus actuellement d’État membre à présenter une telle balance. En particulier, la réduction anticipée de la production de gaz aux Pays-Bas (notamment liée à des problèmes sismiques induits par l’exploitation) est emblématique de la fin d’une époque ; évolution qui est également à rapprocher, aux marges de l’Union, du déclin dans les productions britannique et norvégienne.

L’une des difficultés à venir résulte de l’hétérogénéité des modèles énergétiques des États-membres : en Pologne et en République tchèque, le charbon (encore présent en grandes quantités dans le sous-sol) est l’un des piliers de la compétitivité industrielle depuis les années 1990. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’y traduiront par une augmentation des coûts de production et, possiblement, une augmentation de la dépendance énergétique (en cas de substitution charbon/gaz par exemple). L’allocation du « Fonds de transition juste », dédié de manière privilégiée aux pays producteurs de charbon, constituera l’un des mécanismes essentiels du Green Deal. Et plus encore, dès lors qu’il apparaît que la Russie n’est plus un fournisseur de confiance, caractéristique qu’elle s’était évertuée à préserver durant et depuis la « guerre froide » et dont la crédibilité vole en éclats avec la « guerre chaude ».

Des dépendances multiples à la Russie…

Face à cette montée de la dépendance aux importations d’hydrocarbures, il importe de détourer spécifiquement la dépendance à la Russie, dès lors qu’il se confirme que les relations avec ce fournisseur, à la différence de celles entretenues avec la Norvège par exemple (deuxième pourvoyeur important de gaz à destination de l’UE), ne procèdent pas, sur la durée, que des lois du commerce.

Soulignons tout d’abord que la spécialisation des exportations russes relativement aux matières premières est observable dans un large spectre incluant non seulement l’énergie, mais également des produits agricoles. Ce qui conduit à pointer que le conflit en cours s’apprête à avoir un impact délétère sur les économies fragiles, en considérant le poids conjoint de la Russie et de l’Ukraine dans certaines exportations de matières premières agricoles (destinées à l’alimentation humaine ou animale), ce sur quoi alerte déjà la Banque mondiale. Ces deux pays fournissent plus de 75 % du bléimporté par une poignée d’économies en Europe et en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique. La hausse des prix des produits de base menace de déboucher sur des émeutes de la faim, des chocs commerciaux, des turbulences financières…

En 2021, la Russie était le cinquième partenaire commercial de l’UE, représentant 6 % du total des échanges de biens de l’UE avec le monde ; à l’inverse, l’UE occupe une place prépondérante dans le commerce extérieur, dont elle représente 40% des débouchés (contre 15% environ pour la Chine). Les importations de l’UE s’élevaient à près de 160 milliards d’euros en 2021, dominées par les combustibles et les produits miniers : notamment les énergies fossile (62%), ainsi que le fer et l’acier (5%). Mais la principale dépendance procède des importations de gaz qui, en cas d’interruption des flux (subie ou décidée par les Européens), sont plus difficilement substituables que pour les autres énergies fossiles (les chaîneslogistiques du pétrole et du charbon étant plus flexibles que pour le gaz).

On observe que cette dépendance de l’UE s’est accrue au cours de la dernière décennie : si la consommation de gaz naturel dans l’UE est restée globalement stable au cours de cette période, la production interne a diminué d’un tiers, étant compensée par un accroissement des importations en provenance de Russie, qui pèse pour 40% des importations européenne dans ce domaine. Dans le même temps, la part de l’Ukraine en tant que pays de transit a été réduite, en raison notamment de l’inauguration de Nord Stream 1 (ramenant les flux ukrainiens de 60 à 25% du gaz russe destiné àl’Europe).

La carte ci-dessus permet de juger du degré de dépendance directe aux importations de gaz russe et de l’hétérogénéité des situations européennes. Toutefois cette carte ne reflète qu’en partie la complexité réelle qui dépend également du poids du gaz dans le bilan énergétique national, des capacités de stockage, des interconnexions entre voisins, de l’accès à des infrastructures d’importation de gaz liquéfié, de la nature des contratsd’approvisionnement… Cela posé, il est néanmoins évident que l’Europe de l’Est est particulièrement dépendante et que, en termes de poids économique dans l’Union, les fragilités de l’Allemagne et de l’Italie (grand pays « gaziers » en termes de consommation) constituent un sujet de d’attention tout particulier. Mais, à nouveau, il importe de se convaincre que les pays membres les plus à l’Ouest (ceux qui sont en grisés sur la carte) seraient également dans la zone d’impact en cas de rupture d’approvisionnement compte tenu des interdépendantes multiples, à la fois par l’intermédiaire du fonctionnement des marchés énergétiques et, surtout, via les perturbations dans les relations industrielles et commerciales.

… et les leviers pour la réduire

Dès le début du conflit, des réflexions ont été organisées de façon à identifier des leviers d’action destinés à réduire les importations de gaz russe, tout en garantissant un niveau de sécurité d’approvisionnement satisfaisant. Ce type d’exercice suppose de considérer différents horizons, le premier d’entre eux étant celui de l’hiver 2023, avec comme préoccupation de parvenir à remplir les stocks de gaz suffisamment tôt. Au-delà de cette urgencequi procède de la gestion de crise, la perspective est également d’établir un horizon auquel les Européens pourraient se passer totalement du gaz russe, c’est à dire d’un flux annuel qui représente aujourd’hui environ 150 milliards de M3.

L’Agence Internationale de l’Energie (dont, rappelons-le, la mission originelle est d’aider les pays importateurs d’hydrocarbures à gérer les menaces de pénurie) a publié le 3 mars un plan en 10 points (AIE, 2022a), permettant d’envisager la réduction des importations d’environ 1/3, au minimum, soit environ 50 milliards de M3 :

  • Les mesures essentielles sont centrées sur la substitution partielle du gaz russe par d’autres sources via des gazoducs (Norvège, Azerbaïdjan, Algérie) ou sous forme de GNL (des États-Unis, du Qatar…). L’AIE met également l’accent sur la production de gaz vert (biométhane, hydrogène), mais avec un effet réellement significatif à plus long terme. Ce levier doit permettre de viser une substitution à hauteur de 30 milliards de M3.
  • Le deuxième volet de mesures porte sur la production d’électricité décarbonée en accélérant le déploiement de capacités photovoltaïques ou éoliennes, ou en maximisant la production nucléaire au prix d’un report de fermetures de centrales (ce qui est déjà envisagé par la Belgique). Dans ce domaine, l’objectif serait de réduire le recours au gaz à hauteur de 20 milliards de M3.
  • Le troisième volet porte sur des mesures tournées vers la consommation, qu’il s’agisse du remplacement de chaudières par des pompes à chaleur, de l’amélioration de l’efficacité énergétique dans le bâtiment et l’industrie et, par ailleurs, d’adaptation des comportements en matière de chauffage. Le tout étant susceptible de réduire encore le besoin d’importations d’une quinzaine de milliards de M3.
  • Par ailleurs, l’AIE considère que de nombreux producteurs d’électricité devraient réaliser des bénéfices additionnels, liés aux conditions des marchés de gros, à hauteur de 200 milliards d’euros. Suggérant que des taxes temporaires sur ces bénéfices exceptionnels pour les orienter vers des mesures de compensation pour les ménages.
  • Soulignons enfin que l’AIE (2022) a également produit un plan en 10 points centré cette fois sur le pétrole et qui doit permettre de réduire la consommation d’environ 3 millions de barils, soit 3% du volume mondial (et l’équivalent du volume de production russe qui pourrait reculer sous l’effet des sanctions).

Par ailleurs, la Commission européenne a publié le 8 mars une communication « REPowerEU : action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable » qui permet d’envisager la réduction de 2/3 des importations de gaz russe sur un an. Cette analyse se distingue en particulier par une vision plus optimiste (ou volontariste) de la capacité à importer du gaz naturel liquéfié (50 milliards de M3, soit 30 de plus que dans le plan proposé par l’AIE). Au-delà de la préparation de l’hiver prochain, cette communication esquisse les grandes lignes d’une stratégie d’élimination progressive du gaz russe durant la décennie : « La Commission est prête à mettre au point un plan REPowerEU en coopération avec les États membres, d’ici l’été, afin de soutenir la diversification des approvisionnements en énergie, d’accélérer la transition vers l’énergie renouvelable et d’améliorer l’efficacité énergétique. Une telle initiative accélérerait l’élimination progressive des importations de gaz russe et de la dépendance à l’égard des combustibles fossiles et constituerait la meilleure assurance contre les chocs sur les prix à moyen terme en permettant un avancement rapide de la transition écologique de l’UE, avec un accent particulier sur les besoins transfrontières et régionaux » (CE 2022, p.12). Une partie de la solution relèvera de flux de GNL accrus en provenance des États-Unis. L’annonce d’un flux additionnel de 15 Mds de M3 lors de sommet de l’OTAN et du G7 fin mars, confirme la mise en place de mesures qui rappellent les solidarités entre alliés durant la Guerre froide (en particulier, le pont aérien vers Berlin). En parallèle, certains États très exposés comme l’Italie et l’Allemagne, ont engagé des pourparlers directs avec des fournisseurs, qui laissent craindre une concurrence. Pour éviter cette dérive, la Commission a proposé de créer une « task force » commune d’achat, de façon à mutualiser la demande. Elle présentera en mai 2022 les conditions de mise en œuvre du plan REpowerEU.

Naturellement, ces plans constituent à la fois une adaptation dans l’urgence au contexte, et une forme de pression en menaçant de couper la Russie de son principal débouché (qui se trouve être un voisin relativement opulent par rapport à ses autres clients). Mais ils ne répondent pas aux demandes qui ont commencé à se faire jour, et qui ne manqueront pas de croître en intensité avec la durée du conflit, à concernant un embargo sur le gaz et le pétrole russe, mettant en avant la valeur quotidienne d’environ 700 millions d’euros des livraisons d’hydrocarbures russes en Europe.

Chepeliev et al. (2022) proposent une analyse des effets d’un tel embargo, simulant un scénario dans lequel l’UE et d’autres pays à revenu élevé imposent des restrictions aux importations de combustibles fossiles en provenance de Russie à partir de 2022. Ces restrictions sont mises en œuvre sous la forme de barrières tarifaires qui augmentent avec le temps, jusqu’à 90 % en 2024. Schématiquement ce type de travail suggère que les effets à long terme sur la croissance européenne seraient limités, mais avec un fort impact de court terme nécessitant un accompagnement spécifique des ménages et des entreprises les plus vulnérables dans un tel contexte. En cumul, jusqu’à l’horizon 2030, une telle politique priverait la Russie de 1400 milliards de dollars de recettes d’exportations. Certes, il faut bien avoir à l’esprit la difficulté à intégrer l’instabilité socio-économique (et a fortiori géopolitique) dans des modélisations de cette nature. D’autant qu’une partie des conséquences dépendra de jeux d’acteurs (notamment l’OPEP pourles approvisionnements en produits pétroliers, diesel en particulier) sur lesquels l’Europe n’a pas d’influence réelle.

Mais, et c’est le point d’attention essentiel, dès lors que nous sommes dans une zone grise, entre guerre et paix, avec la Russie, il importe d’analyser au plus vite les conséquences d’un éventuel embargo et non pas seulement d’une éviction progressive des matières énergétiques provenant de Russie.


Propositions

La campagne présidentielle française a débuté en 2021 dans un contexte de forte reprise économique au « sortir » de la crise sanitaire (en tous cas, de sa phase traumatique d’un point de vue macroéconomique), elle s’achèvera au cœur d’une crise internationale dont la profondeur et la durée sont autant d’inconnues, y compris quant à l’éventualité du retour d’un conflit militaire dans les frontières de l’Union européenne.

Dans un tel contexte, le débat présidentiel doit tout d’abord permettre d’établir plus clairement les enjeux pour nos concitoyens, de structurer les mesures de « résilience » de début de mandat et celles, au-delà de la fin du conflit (perspective fatalement hypothétique en ce début du printemps), qui devront néanmoins permettre d’en tirer les conséquences.

A court terme, la « résilience » passe, au plan énergétique, par :

1. La fin de mesures transversales de « boucliers tarifaires »

Les mesures prises dans l’urgence ces derniers mois concernant les tarifs de l’électricité, du gaz et le prix de l’essence bénéficient à tous les ménages ; sur la durée, il est manifeste qu’elles ne sont pas soutenables (avec un impact qui dépasse d’ores et déjà 1% du PIB), qu’elles créent un effet d’aubaine et qu’il convient de privilégier des mesures ciblées vers les ménages, les professions, et les industries les plus directement affectés. Cela signifie, a contrario, qu’une partie de la collectivité devra assumer, au moins transitoirement, des prix de l’énergie plus élevés et qu’un discours de lucidité s’impose.

2. Une promotion des mesures de « sobriété » énergétique

Le choc, a fortiori s’il devait être prolongée par des restrictions sur les livraisons de pétrole et ou de gaz, doit conduire à retrouver les réflexes de « chasse au gaspi » expérimentée dans les années 1970 ; pour la partie de la population qui est soumise à des contraintes économiques fortes, cette sobriété dans les usages énergétiques s’impose mécaniquement d’ores et déjà ; pour les ménages les plus aisés, la fin de la logique des boucliers tarifaires doit permettre d’envoyer des signaux de prix perceptibles, et susceptibles d’avoir un effet sur les comportements.

3. Le maintien des incitations au télétravail

Pour face à la crise énergétique, nous devons puiser dans l’expérience collective de la crise sanitaire ; le recours au télétravail doit permettre de réduire les besoins de transport et, dès lors, les consommations de produits pétroliers, et être une source d’économies pour les ménages.

4. L’activation des leviers de production/importation d’énergie à portée courte dans le temps

La France a une responsabilité spécifique compte tenu de ses capacités d’importation de gaz naturel liquéfié, liées à sa large façade maritime (et aux 4 terminaux qui permettent d’accueillir des méthaniers), et sera donc un acteur important des premières étapes du plan REpower EU ; la capacité à activer la mise en service de moyens de production renouvelables (photovoltaïque et biométhane en particulier) ne doit pas être négligée et passe parune adaptation des procédures administratives au contexte; plus encore qu’avant le début du conflit, l’augmentation du niveau de production des centrales nucléaires constitue une urgence (certes subordonnée au niveau le plus strict concernant les exigences de sûreté), tant pour EDF et les autres fournisseurs français, que pour l’ensemble des consommateurs sur la « plaque » électrique européenne.

5. L’organisation de mécanismes de solidarité gazière à destination des États-membres sous dépendance du gaz russe

La position géographique de la France et la diversification de son portefeuille d’approvisionnement la soumettent à un niveau de dépendance assez réduit relativement au gaz russe ; cela signifie que, en cas d’interruption des livraisons en provenance de Russie, une partie du gaz destiné à la France en provenance de Norvège (qui est notre premier fournisseur) devrait être alloué en fonction des impératifs de gestion de crise plus à l’Est en Europe ; cette obligation de solidarité doit, plus encore, constituer une incitation à la sobriété dans les usages du gaz.

Au-delà de ces mesures d’urgence, le prochain cycle politique doit être celui d’une nette accélération dans le rythme de décarbonation. La France a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 20% environ depuis 1990 et, selon les nouvelles ambitions européennes, devrait atteindre moins 55% en 2030. Le conflit va placer cette accélération sous plus fortes contraintes que ce qui était envisagé jusqu’alors, mais avec non moins de détermination compte tenu des enjeux de sécurité collective. À cette fin il s’agira :

6. Réviser les principes de la fiscalité énergétique

En l’état, la fiscalité qui pèse sur les consommations énergétiques amplifie la portée des chocs, par l’intermédiaire de la TVA (suscitant des demandes de son abaissement à 5,5%) ; dans une longue période durant laquelle nous avons la garantie d’être soumis à des prix de gros plus erratiques, la fiscalité énergétique devrait avoir un effet « contracyclique » (comme ce fut le cas, très brièvement, avec l’expérimentation d’une TIPP « flottante » sous le gouvernement Jospin) ; on ne doit certes pas négliger les difficultés de mise en œuvre d’une modularité de la fiscalité en fonction des tensionsmais, a contrario, garder les principes en l’état condamnerait les prochains gouvernements à opérer des ristournes dans l’urgence (se voyant systématiquement reproché d’agir trop tard et trop peu) ; une fiscalité modulaire permettrait d’en améliorer l’acceptabilité par les citoyens-consommateurs, qui actuellement incriminent un État pour structurellement aggraver les chocs.

7. Accélérer, au-delà des efforts de sobriété, les investissements dédiés à l’efficacité énergétique

Les efforts de sobriété seront à la fois nécessaires et non suffisants, dès lors, par exemple, que le nombre de logements correspondant à des passoires thermiques est actuellement d’environ 5 millions ; la crise implique des efforts massifs d’efficacité (i.e. d’investissements pour réduire la demande, et non pas seulement de modération des consommation), efforts dont l’équation économique se trouve modifiée par la crise, en réduisant l’horizon de retour sur investissement (puisqu’il s’agit d’économiser des unités d’énergie dont le prix sera plus élevé), en présentant une plus forte valeur assurantielle (en mettant à l’abri des chocs de prix), et en réduisant les mesures de soutien aux ménages les plus fragiles, mieuxprotégés par la qualité de leur habitat.

8. Investir dans la maturation et le déploiement accéléré des gaz verts, et travailler à améliorer l’acceptabilité des investissements dans les moyens de production d’électricité renouvelable

Dès lors qu’il va s’agir de réduire notre dépendance aux gaz fossiles (et de contribuer aux efforts de nos voisins), la valeur des gaz verts s’en trouvera rehaussée (biométhane en particulier) et l’horizon d’une maturité des usages de l’hydrogène sans doute rapproché (dans l’industrie lourde, dans le transport lourd) ; par ailleurs, l’acceptabilité des investissements dans les renouvelables (éolien terrestre en particulier) doit être resituée dans un contexte où, désormais, les questions de sécurité d’approvisionnement doivent également entrer en ligne de compte dans les débats publics locaux (ce qui impliquera probablement des mécanismes d’incitation renforcés, qui rémunèrent les services rendus par les collectivités qui acceptent des renouvelables sur leur sol) ; la crise vient également modifier l’équation économique de l’ensemble de ces filières, dès lors qu’il s’agit de réduire le recours à des unités d’énergies fossiles dont le prix sera plus élevé qu’initialement anticipé.Dès lors qu’il va s’agir de réduire notre dépendance aux gaz fossiles (et de contribuer aux efforts de nos voisins), la valeur des gaz verts s’en trouvera rehaussée (biométhane en particulier) et l’horizon d’une maturité des usages de l’hydrogène sans doute rapproché (dans l’industrie lourde, dans le transport lourd) ; par ailleurs, l’acceptabilité des investissements dans les renouvelables (éolien terrestre en particulier) doit être resituée dans un contexte où, désormais, les questions de sécurité d’approvisionnement doivent également entrer en ligne de compte dans les débats publics locaux (ce qui impliquera probablement des mécanismes d’incitation renforcés, qui rémunèrent les services rendus par les collectivités qui acceptent des renouvelables sur leur sol) ; la crise vient également modifier l’équation économique de l’ensemble de ces filières, dès lors qu’il s’agit de réduire le recours à des unités d’énergies fossiles dont le prix sera plus élevé qu’initialement anticipé.

9. Accélérer les investissements dans les infrastructures décarbonées

Du fait de son système électrique décarboné, la France peut d’ores et déjà se prévaloir d’un transport ferroviaire qui l’est également (très largement) ; il convient d’accélérer également la décarbonation de la route, qui passe en premier lieu par une électrification rapide des autoroutes (pour favoriser l’adoption du véhicule électrique) ; par ailleurs, le vaste plan le déploiement de la fibre aboutit à un système de télécommunication moins consommateur d’énergie que sur le réseau cuivre, il doit être poursuivi à bon rythme ; l’ensemble de ces éléments permettront à la France de gagner à la fois en résilience, tout en attirant des investissements industriels en recherche de chaînes logistiques décarbonées.

10. Anticiper les dépendances à venir dans le cadre de la transition bas carbone

Cette crise des matières premières avec la Russie, au-delà des questions directement relatives au gaz et au pétrole, doit conduire à rehausser le niveau d’anticipation et de vigilance concernant les dépendances qui ne manqueront pas de croître concernant les minerais et matériaux « critiques » (du lithium aux terres rares) ; comme l’Europe ne produira sans doute pas plus de ces minerais qu’elle produit aujourd’hui d’énergies fossiles, il est impératif de prévenir les futures dépendances (par l’intermédiaire d’une politique de diversification des approvisionnements, de stockage, de recyclage…).

Enfin, même si les temps sont graves, le débat sur les efforts de transition environnementale ne doit pas être surplombé par un discours « le sang et les larmes ». La succession des chocs doit nous convaincre que l’invention en Europe d’un modèle de société décarboné sera une source de bénéfices collectifs considérables : retenons, comme l’indique régulièrement l’Agence Européenne de l’Environnement, qu’une amélioration de la qualité de l’air aurait pu éviter de l’ordre de 200 000 morts l’an dernier. Nous allons devoir intégrer dans nos décisions collectives l’ensemble des effets qui concourent à notre bien-être. Et nous devons maintenant admettre que nous passer du gaz et du pétrole russe en fera partie.


Références

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  • Agence Européenne de l’Environnement, COVID-19: lessons for sustainability?, 2022.
  • Agence Internationale de l’Energie, A 10-Point Plan to Reduce the European Union’s Reliance on Russian Natural Gas, 3 March 2022a.
  • Agence Internationale de l’Energie, A 10-Point Plan to Oil Use, 18 March 2022b.
  • Agence Internationale de l’Energie, Energy Policy Review, European Union, 2020.
  • Assemblée Nationale, L’indépendance énergétique de l’Union européenne, Rapport d’information n° 3130, 24 juin 2020.
  • Auzanneau, M., L’UE risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d’ici à 2030, Analyse prospective prudentielle, The Shift Project, 2020.
  • Chepeliev, M., Hertel, T., Van der Mensbrugghe, D., Cutting Russia’s fossil fuel exports: Short-term pain for long-term gain, VOX, CEPR, 09 March 2022.
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  • Commission Européenne, RePowerEU : Action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable, Strasbourg, le 8.3.2022 COM(2022) 108 final.
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  • Geoffron, P., Leguet, B., Co-bénéfices environnementaux et sanitaires de l’action publique : « it’s (also) the economy, stupid ! », Coronavirus : regards sur une crise, Terra Nova, 7 mai 2020.
  • IRENA, A new world: the geopolitics of the energy transformation, 2019.
  • McWilliams, B., Sgaravatti, G., Tagliapietra, S., Zachmann, G., Can Europe survive painlessly without Russian gas?’, Bruegel Blog, 27 January 2022.