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Taxer les superprofits : et si les Belges avaient raison ?

Tout l’automne a été agité par le débat sur la taxation des superprofits des entreprises. Pour Alain Trannoy, ce débat n’est pas fondamentalement nouveau et des sources d’inspiration existent.

Les économistes ont l’habitude de distinguer le profit de la rente. Or à écouter les uns et les autres, il semble bien que le superprofit désigne dans le discours de ces contempteurs un accroissement de profit du à une rareté qui peut être plus ou moins occasionnelle.

Cette rareté d’une ressource – ici on songe aux ressources naturelles qui sont devenues plus rares en raison d’un évènement politique – fait monter son prix bien au-delà de son coût marginal de production. La question posée peut être reformulée de la manière suivante : est-il légitime de taxer à un taux plus élevé la rente que le profit ? Les économistes sont unanimes pour répondre oui à cette question, dans la mesure où le profit rémunère une prise de risque et un investissement en capital, alors que la rente provient de facteurs accidentels dont le chef d’entreprise n’est pas à l’origine. La morale et l’efficacité économique se conjuguent pour recommander une taxation plus forte de la rente que du profit. D’ailleurs, on ne voit pas au nom de quoi il serait légitime de taxer les superprofits une certaine année et pas une autre et dans un secteur et pas dans un autre.

Le dilemme d’une taxe sur les superprofits

Ceci posé, il reste encore à s’entendre sur les modalités d’application. Trois critères semblent aller de soi.

1/ La co-monotonie des profits des entreprises du secteur (le fait que des facteurs communs le déterminent) pour éliminer les surperformances individuelles.

2/ Le caractère exogène du bond des profits dont la provenance n’est pas un boom de la demande ou de nouveaux produits, mais un bond des prix de vente.

3/ Le caractère exceptionnel des taux de marge au regard de données historiques dans le secteur.

Tout ceci peut devenir vite compliqué et donner lieu à du contentieux. Il faut rappeler d’ailleurs que la grande règle des traités fiscaux internationaux est d’éviter la double taxation du même revenu. Par voie de conséquence, la France ne pourrait taxer sur son territoire que les surprofits qui y sont générés. Une mise en place suppose une harmonisation à l’échelle européenne. Celle-ci ne va pas de soi. Pour mémoire, la Hongrie bloque toujours l’accord international sur le taux minimal à 15% de l’impôt sur les sociétés établi sous l’égide de l’OCDE !

Une taxe simple et rentable

Une solution plus simple existe, qui certes ne traite qu’imparfaitement la distinction entre profit et rente esquissée ci-dessus. Mais elle a le mérite d’avoir prouvée son efficacité sur le plan du rendement budgétaire et son caractère praticable. La France pourrait faire cavalier seul, en fait pas toute seule, puisqu’elle ne ferait que suivre la Belgique.

Celle-ci a réalisé en 2006 une réforme fiscale de son impôt sur les sociétés avec pour but de ne taxer que les superprofits. Les entreprises qui travaillent en Belgique ont la possibilité de déduire du montant de leurs profits une rémunération normale de leurs capitaux propres. Ce système baptisé « régime fiscal de l’abattement pour fonds propres des sociétés » (en anglais ACE pour Allowance for Corporate Equity) prévoit un abattement déductible pour les fonds propres des sociétés dans le calcul des bénéfices imposables des entreprises concernées. Cet abattement est égal au produit des fonds propres et d’un taux d’intérêt nominal approprié. Ce taux est plus important pour les PME. La déduction se rapproche donc des bénéfices « normaux » de l’entreprise. L’impôt sur les sociétés se limite alors à taxer les rentes économiques car seuls les bénéfices de l’entreprise dépassant l’ACE sont soumis à l’impôt sur les sociétés.

Que les partis politiques qui promeuvent ce type de taxation des superprofits proposent donc de suivre l’exemple de la Belgique ! La part des ressources fiscales obtenues en taxant les profits et les gains en capital en France ne représente que 5% contre 9% en Belgique. Apparemment la rentabilité fiscale est au rendez-vous !

 


 

Alain Trannoy, membre du Cercle des économistes et professeur à l’Ecole d’Economie d’Aix-Marseille

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