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Violence et Ordre Social

Les défis auxquelles nos société font face ne sont pas minces. Notre modèle de société peine à satisfaire l’ordre social, risque de voir un augmentation des violences. Pour Pierre Jacquet, il est impératif de recréer l’espoir pour pouvoir faire face au défis de demain.

La tentation de la violence menace de s’installer comme vecteur et arbitre des défis sociétaux.  L’analyse économique seule ne peut l’appréhender. Dans leur livre Violence et Ordres Sociaux (Gallimard, 2010), Douglas North, John Wallis et Barry Weingast font appel au concept d’ordre social, c’est-à-dire l’ensembles des institutions, relations, interactions, normes, valeurs et croyances qui maintiennent le statu quo et gèrent la violence intrinsèque aux sociétés humaines. Ils distinguent deux types d’ordres sociaux dans les sociétés modernes : un ordre social à accès limité, dans lequel les chefs de guerre capturent le pouvoir et la rente associée (privilèges et accès aux ressources) et la redistribuent à leur entourage, le partage des bénéfices (qui va de pair avec les prébendes, le favoritisme et la corruption) assurant la stabilité de l’ensemble ; et un ordre social à accès ouvert, dans lequel l’accès au pouvoir est gouverné par la concurrence, sur les marchés pour l’économie, et par les élections pour les dimensions politiques : la rente, une fois capturée, reste alors contestable à travers cette concurrence, et c’est cela qui assure la stabilité du système. Les auteurs définissent le « développement » comme le passage d’un ordre social à accès limité à un ordre social ouvert, qui s’accompagne d’une complexification des organisations et institutions. Cette approche est féconde, notamment parce qu’elle mobilise la complémentarité entre l’économie et le politique. Mais elle rappelle aussi un peu la thèse de la « fin de l’Histoire », en ce qu’elle repose sur la convergence vers un ordre social en quelque sorte final et stable, celui des démocraties libérales.

Les limitations de nos ordres sociaux

Or, nos ordres sociaux « ouverts » peinent à démontrer qu’ils sont capables de faire face aux défis présents et à venir : la violence signifie alors le refus de la médiation institutionnelle et organisationnelle qu’ils proposent. Ses thuriféraires semblent vouloir davantage de limites, concernant l’hubris humain, la détérioration du climat et de l’environnement, l’accumulation des inégalités entre individus. Si c’est le cas, il ne suffit pas de croire dans la technologie, la démocratie ou la concurrence, mais il faut questionner les fondements de nos institutions : l’opposition entre accès limité et accès ouvert est trop simple : ce qui compte, c’est le degré d’ouverture, la nature des limites, l’articulation entre les limites et l’ouverture. Cet apprentissage peut-il se faire sans violence ?

Recréer l’espoir

C’est peu probable si le message principal que reçoivent les groupes sociaux est une critique des comportements actuels et passés. Pour emporter la conviction de l’action, il faut « recréer l’espoir », pour plagier le thème des Rencontres économiques 2023 d’Aix-en-Provence, c’est-à-dire donner l’envie des limites nécessaires, montrer qu’il y a du rêve ailleurs que dans des modes de vie qui ne sont pas soutenables, et donc donner envie du changement au lieu de le fonder sur la culpabilisation et la contrainte. L’accumulation de chocs successifs, de défis, de nouvelles connaissances et techniques, conduit davantage à la réaction et l’improvisation permanentes et cloisonnées en fonction des priorités de court-terme, qu’à une vision de long terme qui motive et fonde l’espoir. Mettre en place une telle vision et la faire partager est aujourd’hui la principale priorité de l’action publique.

 


 

Pierre Jacquet, membre du Cercle des économistes

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