" Osons un débat éclairé "

Y a-t-il un risque de crise immobilière ?

Hausse des taux d’intérêt, inflation, incertitudes économiques… la conjoncture n’est pas de nature à inciter les Français à investir dans l’immobilier. Alors que les ventes et les prix ont amorcé une baisse, Alain Trannoy explique pourquoi le secteur dispose de capacités de rebond.

Contre toute attente, la pandémie a été une période faste pour l’immobilier. Les prix ont grimpé de 19%, les transactions n’ont jamais été atteint un pic aussi élevé (1,2 million en rythme annuel fin 2021) en augmentation de 50% par rapport à la décennie 2000, pour le plus grand bénéfice des collectivités locales. L’inflation qui met à mal le pouvoir d’achat des ménages et la hausse des taux d’intérêt devraient entraîner un coup d’arrêt. La formation brute de capital fixe (FBCF) des ménages n’a augmenté que de 0,6% en 2022, mais il faut relativiser, car elle avait augmenté de 17% en 2021 ! Les mises en chantier restent à un niveau élevé. Faut-il s’alarmer ?

Des mouvements structurels poussent le marché à la baisse

D’abord, rappelons que l’activité immobilière est naturellement cyclique. Elle est constitutive du mouvement des affaires, en raison du financement par emprunt de l’investissement. Le coup de frein des investissements immobiliers des ménages aurait eu lieu de toute façon. L’endettement immobilier des ménages est à un haut niveau et en léger repli en 2022 à 65% du PIB.

Au-delà du caractère cyclique, on peut également déceler des mouvements de fond plus structurels qui poussent à la baisse.

D’abord, il faut tordre le cou à un mythe. Contrairement aux chiffres alarmistes du rapport de la Fondation Abbé Pierre, les besoins en logement n’apparaissent pas particulièrement criants, à part l’hébergement qui pose un problème spécifique. Certes il y a 1,5 million de demandes de logements sociaux non satisfaites, mais ces demandes traduisent très largement l’attractivité financière du logement social. Le logement social permet de se loger à un coût en moyenne de 30% moins cher que dans le parc privé. En regard, le parc de logements vacants lui n’a jamais été si important, plus de 8,2% du parc, soit plus de 3,1 millions !

40 milliards pour transformer le parc immobilier

En second lieu, la croissance démographique a ralenti de moitié. La population ne croit plus que de 200 000 habitants par an au lieu de 300 000. Avec 2 personnes par ménage, le nombre de logements additionnels strictement nécessaires (hors hébergement) pour y faire face est de l’ordre de 100 000. Ensuite, bien sûr, se rajoute le mouvement de décohabitation, le désir de changer de région, d’un ordre de grandeur équivalent. On pense bien évidemment au grand mouvement de bascule de population du Nord, de l’Est et de l’Ile de France vers l’ouest, le sud-ouest et le midi qui continue, voire s’amplifie, après la pandémie.

Ensuite, nous ne sommes qu’au début du processus de transformation du parc immobilier en un parc respectant les normes énergétiques et environnementales. La facture pour transformer l’ensemble des logements en parc bas carbone représente un investissement annuel de l’ordre de 35 à 40 milliards d’euros d’ici à 2050. Cela représente grosso modo un quart de l’investissement des ménages, un trimestre d’investissement immobilier. La capacité financière des ménages pour financer l’expansion du parc existant va s’en trouver progressivement asséchée.

Moins de nouveaux logements, plus de rénovations

Enfin, l’Etat, vers lequel se tournent les acteurs de l’immobilier dès que le retournement du cycle des affaires se fait sentir, est largement démuni pour répondre à leurs attentes. Il est pris en étau entre le retour à des taux d’intérêt sur la dette qui reviennent à des niveaux de longue période de l’ordre de 3%, et des demandes pressantes d’investissement dans les services publics régaliens (défense, justice), dans les services publics liés au développement et au maintien du capital humain (éducation, santé), dans la nécessité d’atteindre nos objectifs climatiques et d’abord d’investir massivement dans des énergies non carbonées. Dans ces conditions, il est fatal que les dépenses d’infrastructure et de logement, qui ont été un marqueur fort de l’investissement public en France depuis la guerre, en fassent les frais.

Dans ces conditions, la construction neuve devrait marquer le pas dans les années prochaines mais le secteur de la construction trouvera une activité de substitution dans les gros travaux, l’isolation et le chauffage bas carbone.

 


 

Alain Trannoy, membre du Cercle des économistes et professeur à l’Ecole d’Economie d’Aix-Marseille

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