" Osons un débat éclairé "

Les assises de l’assiette

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

C’est décidé, des assises de la fiscalité des entreprises se tiendront d’ici la fin de l’année ou, au pire, au début de l’année prochaine. Il faut dire qu’on ne sait plus trop où on en est. En septembre, le gouvernement a annoncé la suppression de deux impôts très décriés : l’imposition forfaitaire annuelle (IFA) et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), deux impôts assis sur le chiffre d’affaire des entreprises. Les entreprises n’aiment pas ces prélèvements car elles doivent les acquitter quelle que soit leur situation financière. Pour compenser le manque à gagner, le gouvernement a pensé taxer l’excédent brut d’exploitation (l’EBE), c’est-à-dire le chiffre d’affaires moins les charges d’exploitation, mais avant déduction de l’amortissement du capital. Supposez que vous soyez chef d’entreprise. Vous vendez des montres, 100 € pièce. Pour produire une montre, vous achetez des composants pour 40 € et payez des heures de travail pour 40 €, charges comprises. Votre EBE est de 100-40-40=20 € par montre. L’idée était de taxer ces 20 € au taux de 3%, soit 60 centimes par montre.

Les patrons se sont violemment opposés à cette nouvelle taxe qui aurait réduit leur capacité à investir. En effet, l’EBE est mesuré avant l’amortissement du capital. Réduisez-le en le taxant, et la capacité des entreprises à investir diminue. Le gouvernement a donc abandonné l’idée de taxer l’EBE, mais le taux de l’impôt sur les sociétés sera relevé temporairement. Pour les grandes entreprises, il passera de 36% à 38%. L’assiette de l’impôt sur les sociétés, c’est l’EBE moins les amortissements, moins une part importante des paiements d’intérêts sur la dette des entreprises, moins un certain nombre de niches fiscales.

Vous me direz, puisque le problème semble réglé, pourquoi se lancer dans une discussion pénible entre gouvernement et patronat ? Eh bien, parce qu’avec cette hausse de l’IS, la France nage à contre-courant. Le mouvement général à l’étranger, c’est la baisse des taux d’imposition accompagnée d’un élargissement des assiettes. Ici on ne touche pas à l’assiette mais on élève le taux. Pourquoi est-ce contestable ? Parce que contrairement à une idée reçue, les entreprises ne payent pas l’IS. L’entreprise rédige le chèque mais ce sont les actionnaires, les salariés et les clients qui supportent le poids de l’impôt. Comme les actionnaires et les clients ont la possibilité de faire jouer la concurrence, l’IS se retrouve peser de facto sur les salariés. Par exemple, l’entreprise stoppe ses projets d’investissement n’atteignant pas une certaine rentabilité après impôt ; l’emploi s’en trouve diminué. Ou bien, elle obtient des salariés qu’ils renoncent à une augmentation de salaire. En outre, il sera difficile de remplir les caisses de l’Etat avec cette hausse de taux. L’IS est un impôt facile à optimiser pour une grande entreprise. Il suffit de créer une filiale en Irlande et d’emprunter auprès d’elle : les intérêts seront déductibles de l’impôt en France et imposés en Irlande au taux très doux de 12,5%.

Vous l’avez compris, le nœud de l’affaire, c’est l’assiette fiscale : comment élargir l’assiette de manière à réduire les taux, sans nuire à l’investissement et en limitant l’optimisation ? En fait d’assises de la fiscalité, nous allons assister à des assises de l’assiette.

Chronique diffusée sur France culture le 31 octobre 2013

 

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