Chaque année, la France perd 20 à 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers sous la pression des activités humaines. Pour lutter contre l’étalement des villes et la bétonisation, la loi « Climat et Résilience » a posé un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon de 2050. Au risque, comme le pointent ses détracteurs, d’accentuer la crise du logement ? En raréfiant le foncier, va-t-elle entraîner une hausse des prix ? Pour David Miet, c’est par la densification urbaine que la France pourra répondre à une demande croissante tout en améliorant la qualité de vie et en respectant le ZAN.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
Le principe du « zéro artificialisation nette » (ZAN) va, en privant les territoires de la possibilité de recourir à l’extension urbaine pour se développer, entraîner une raréfaction mécanique des fonciers constructibles. Celle-ci aura-t-elle des conséquences négatives sur les volumes de production du logement neuf, déjà fortement en difficulté sous l’effet de la hausse des taux et des coûts de construction ? Et que penser, dans ces circonstances, du « choc d’offre » proposé par le gouvernement comme remède à la crise du logement actuelle ?
Pour commencer, aussi étonnant soit-il, une question essentielle n’est toujours pas tranchée chez les professionnels de l’aménagement du territoire : en matière de foncier, et de logement, les prix sont-ils réellement influencés par l’équilibre entre l’offre et la demande, comme pour les matières premières ou l’énergie ? Un choc d’offre, quand bien même il serait possible tout en respectant les contraintes du ZAN, peut-il vraiment contribuer à faire baisser les prix de l’immobilier ?
La situation actuelle, particulièrement difficile, nous aide à clarifier au moins une chose : la baisse du volume des transactions, et en particulier de l’offre neuve dans les territoires recherchés, provoque des tensions qui font monter les prix de la location, d’une part, et empêche une baisse significative des prix à l’achat. Autrement dit : les effets d’une raréfaction de l’offre sont clairs. Mais qu’en est-t-il de ceux de son augmentation ?
Une recherche récente, conduite en Allemagne par Andreas Mense a montré le phénomène des places qui se libèrent en cascade et, ainsi, l’impact global d’un choc d’offre sur la distribution des loyers dans l’ensemble des segments du marché locatif privé. Les deux principales conclusions sont que l’offre nouvelle fait baisser les loyers des logements de tous niveaux de qualité, et qu’augmenter l’offre de logements neufs de 1 % fait baisser les loyers de 0,2 %.
Certains soutiennent pourtant, exemples français à l’appui, que construire plus entraînerait plus de « spéculation » et ferait, ainsi, monter les prix, comme on a pu l’observer ces dernières années dans des grandes métropoles comme Lyon, Montpellier ou Bordeaux. Mais c’est oublier de se poser les deux questions suivantes : premièrement, la demande sur ces territoires n’a-t-elle pas, sous les effets du phénomène – mondial – de métropolisation, tout simplement grandi plus vite que l’offre, quand bien même cette dernière aurait été perçue comme importante dans le référentiel franco-français ? Deuxièmement, achète-t-on la même chose lorsque l’on achète un mètre carré habitable dans le centre de Lyon en 2000 et en 2020 ?
Une partie de la hausse des prix immobiliers dans les secteurs qui construisent est liée aux effets bénéfiques de l’intensification urbaine : une augmentation du nombre d’habitants améliore l’offre de service et d’équipement, amélioration qui se répercute sur ce que l’on a coutume d’appeler « l’attractivité » d’un secteur, d’une ville, ou d’une agglomération.
Or, au sein même du poste « logement » dans les dépenses des ménages, il convient de distinguer la valeur du logement en lui-même de celle de son emplacement, qui est sans doute la cause d’une part importante de l’évolution du poids du logement dans le budget des Français. En réalité, tout se passe comme si le choix de l’emplacement de son logement était l’équivalent d’une sorte « d’abonnement physique » à l’ensemble des opportunités aisément accessibles depuis l’emplacement de ce logement. Derrière la notion d’attractivité, se cache ainsi le service réel rendu aux personnes par l’organisation de l’espace et l’aménagement du territoire, et que ces dernières sont prêtes à payer relativement cher : un accès libre, aisé et rapide à des dizaines de milliers d’emplois potentiels, à une myriade d’opportunités sociales, culturelles, de services, d’équipements, de rencontres.
« Derrière la notion d’attractivité, se cache ainsi le service réel rendu aux personnes par l’organisation de l’espace et l’aménagement du territoire »
David Miet
En construisant plus, en créant un choc d’offre, tout en respectant le ZAN, on densifie et l’on intensifie la ville. Ce faisant, on fait deux choses. Premièrement, on répond à plus de demande par plus d’offre. Si cette demande est grandissante, il est possible que l’offre, même importante, ne suive pas dans les mêmes proportions. Deuxièmement, on améliore le cadre de vie accessible depuis chaque logement, et donc la valeur de l’abonnement physique aux opportunités contenues dans chaque logement. Ceci peut avoir pour effet de rendre le territoire plus attractif, et donc d’augmenter encore la demande.
Les hausses des prix que nous observons ont plusieurs causes. Les premières, connues, sont liées à la solvabilité des ménages et aux facilités d’accès à l’emprunt. Les secondes, plus systémiques, et de nature urbanistique, résident dans ces deux phénomènes d’une offre qui est en retard par rapport à la demande, et d’une valeur « emplacement » ou « abonnement au cadre de vie » qui augmente en même temps qu’on intensifie le territoire.