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Une dissolution … sociale

La crise multiforme qui frappe la France résulte de problèmes économiques et d’une dissolution des liens sociaux, créant un sentiment d’anomie et de dépolitisation. Pierre Dockès souligne l’impact des politiques économiques et la perte de pouvoir des individus sur leur environnement.

Une crise multiforme frappe l’Europe, et particulièrement la France. Les instituts de sondage repèrent les causes du mécontentement, la source des peurs, le pouvoir d’achat et le déclassement, les migrations et l’insécurité culturelle, l’insécurité tout court.

On en connait les causes économiques, les ravages d’une mondialisation exagérée sur des pays, des régions, des classes sociales. « It’s the economy, stupid » comme dirait Clinton ? Sans doute, et les débats du Cercle des économistes sont là pour éclairer les conséquences des chocs globaux, les évolutions endogènes, les effets du bon ou du mauvais gouvernement.

Au-delà cependant de l’économie, en relation avec elle, il est un terme qui caractérise notre état, c’est celui d’anomie. Il vient de loin ! Anomia, c’est le mot qu’employait Thucydide pour caractériser l’Athènes frappée par la peste pendant la guerre du Péloponnèse (430 av. notre ère). Durkheim l’utilisera pour comprendre les vagues de suicides. Il s’agit d’une dissolution des liens, des valeurs et des règles. Dissolution, il y a une certaine ironie à observer que celle imposée par le Président de la République, et qui a servi de catalyseur à la crise politique, correspond à celle des valeurs humanistes, des liens sociaux et des règles de la vie en société. Toute une série de termes au préfixe , des ou dis peuvent être convoqués pour caractériser cette anomie sociétale.

Le premier sans doute est le sentiment de dépossession. L’impression, et la réalité, d’une perte de ce qu’Amartya Sen nomme les « capabilités ». Il s’agit non seulement des dotations en ressources d’un individu (ses biens, son capital, son capital humain, relationnel …), mais de ses capacités à les employer, à en tirer des satisfactions, tout en les comparant à son passé, aux « capabilités » de la génération précédente, et en les projetant sur celles dont disposeront ses enfants. Une perte de pouvoir sur soi et sur son environnement (disempowerment) en relation avec l’émergence de situations qui heurtent la « common decency » aussi bien en ce qui concerne le niveau et les conditions de vie que l’état de la sécurité, le niveau de violence ou plus généralement les rapports sociaux. Les fractures sociales et territoriales sont patentes et croissantes, les inégalités sont telles que la reproduction sociale en est affectée.

La dissolution qui mène à l’anomie c’est aussi celle de la cité, une dépolitisation au sens fort d’une perte des liens qui font la polis. Les politiques ont fait alterner l’espoir, la déception, le désespoir et jusqu’à la colère et la haine. On pourrait aussi bien parler d’aliénation. Il ne s’agit pas, même si c’est un signe, de l’abstention, du désintérêt pour les débats politiques, du dédain pour les partis politiques, mais de la constitution même de l’être humain en se souvenant du « l’homme est un animal politique » d’Aristote. D’où découle la crise de la représentation, l’impression de ne compter pour rien.

La crise de la cité est une crise de l’État. Non qu’il se soit dégagé de l’économie, mais le long processus de dérégulation à fait perdre le sens de l’action publique au service d’un but commun. Les politiques de l’offre pro-business menées au nom de la compétitivité-prix, assorties de promesses imaginaires de ruissellement, ont laissé sur le bas-côté les salariés comme les TPE et nombre de PME. D’où le sentiment d’abandon et même celui d’avoir été trahis, d’où le risque d’une crispation identitaire, certitude de déclin.

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