Cet article est extrait du troisième numéro de la revue Mermoz, « Innover sans fin ? ».
« On n’arrête pas le progrès » dit-on, et ces derniers mois en sont encore la preuve : désormais, chacun d’entre nous peut dialoguer avec une intelligence artificielle grâce à « ChatGPT » qui a fait couler beaucoup d’encre. Force est de constater que les innovations technologiques occupent désormais une place centrale dans nos vies. Nous nous réveillons avec elles, nous nous déplaçons avec elles, travaillons avec elles, partons en voyage avec elles, nous nous endormons avec elles… Sorties de ce contexte individuel, les innovations sont aussi devenues le carburant de nos économies, les entreprises les plus en pointe dépassant désormais en capitalisation le PIB des plus grandes puissances économiques. Nos sociétés sont-elles devenues accros à l’innovation ?
Si nous devions demander aux passants de la rue Jean Mermoz ce que leur évoque le terme d’innovation, il y aurait fort à parier que beaucoup d’entre eux feraient le rapprochement avec la notion de technologie. Et pour cause : notre imaginaire collectif, à travers des œuvres littéraires et cinématographiques toujours plus nombreuses, a désormais intégré l’idée qu’une société innovante est une société employant dans tous les domaines de la vie quotidienne la technologie la plus avancée. La science-fiction nous offre ainsi un nombre incalculable de visions futuristes de nos sociétés, des voitures volantes du Cinquième Élément (1997) aux robots humanoïdes de I, Robot (2004), souvent sous un prisme dystopique dénonçant les dangers d’une consommation technologique à outrance, y compris à l’attention des plus jeunes comme dans le film d’animation Wall-E (2008).
Notre rapport à l’innovation pose toutefois une question aussi bien philosophique qu’économique : l’humain, par essence, doit-il toujours faire mieux ? L’innovation est-elle infinie ? Au fil des siècles, l’Homme a constamment cherché à améliorer ses modes de production pour les rendre plus efficaces, plus rapides, plus rentables, mais aussi pour en réduire la pénibilité. L’innovation est en outre au cœur des débats en matière de préservation de l’environnement : tandis que certains prônent la décroissance, d’autres comptent – peut-être naïvement – sur le progrès technologique pour trouver des réponses au réchauffement climatique et à la disparition de la biodiversité.
Questionner la place de l’innovation dans notre société revient non seulement à s’interroger sur ses limites techniques, morales et éthiques, mais aussi au but que nous voulons atteindre par son biais : rendre nos vies plus confortables et plus faciles certes, mais l’innovation peut-elle aussi réduire les inégalités ? Améliorer l’efficacité des décisions publiques ? Autrement dit : innovons… mais à quelles fins ? Si au 19e et 20e siècle l’innovation a souvent servi un idéal de progrès démocratique et social, est-ce encore le cas au 21e siècle ? N’assistons-nous pas à un renversement des valeurs ?
Mermoz vous propose ainsi une réflexion critique de la course à l’innovation.
Car une certitude demeure : l’innovation doit rester un moyen et ne devrait pas être une fin.