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Prélèvement à la source : chronique d’une réforme kafkaïenne

A partir du janvier 2019, l’impôt sur le revenu sera prélevé sur les salaires. Derrière cette apparente simplicité, se cache un dispositif complexe. 

Avec des décrets d’application publiés lors des tout derniers jours du gouvernement Cazeneuve, révélant ainsi l’inquiétude de ses concepteurs quant à sa pérennité, le prélèvement à la source (PAS) va malheureusement devoir être mis en place en France en 2019. La mise en place de cette réforme coûteuse va compliquer un peu plus notre système fiscal.

Jusqu’à présent, l’impôt sur le revenu impliquait deux acteurs : les ménages qui déclarent et paient et l’administration fiscale qui recouvre et contrôle. A partir de 2019, un troisième acteur rentre dans la danse : les employeurs, publics ou privés, ou les caisses de retraite qui vont être chargés du versement de l’impôt. Imaginer un instant que l’on peut simplifier quoi que ce soit en ajoutant des acteurs dans un circuit administratif tient de la gageure…

C’est d’autant plus vrai dans le cas de l’impôt sur le revenu, car celui-ci est progressif et établi à partir de l’ensemble des revenus des ménages. L’employeur d’une personne connaît le revenu qu’elle lui verse, mais ne connaît pas l’ensemble des revenus qu’elle déclare : que ce soient ceux de son conjoint ou ceux tirés de son patrimoine. La progressivité de l’impôt – c’est-à-dire l’augmentation du taux d’imposition avec le revenu – joue ici un rôle crucial et ce problème n’apparaîtrait naturellement pas si le taux était fixe.

Confidentialité vis-à-vis de l’employeur

L’imposition proportionnelle de certains produits d’épargne permet ainsi, depuis longtemps, un prélèvement à la source réalisé par les établissements financiers. L’administration a donc imaginé un circuit kafkaïen présenté sur ses sites Internet à grand renfort d’illustrations rappelant des dessins d’enfants d’école primaire. Les ménages vont devoir déclarer les revenus qu’ils anticipent pour l’année à venir à l’administration, qui va calculer leur taux d’imposition.

Ce taux, dont on peut facilement déduire les revenus totaux du ménage, pourra ou non être transmis à l’employeur. Comme il est évident que personne ne tiendra à ce que son employeur soit informé des autres revenus de son ménage, l’administration devra aussi calculer un taux individualisé, qui implicitement n’en tiendra pas compte et qui, finalement, sera transmis à l’employeur.

Mais ce taux ayant été calculé à partir de prévisions de revenus (et non à partir des revenus constatés comme c’est le cas aujourd’hui), il faudra en cours d’année adresser une demande de modification du taux d’imposition à l’administration fiscale… qui, dans tous les cas, devra vérifier a posteriori que l’impôt versé correspond bien aux revenus perçus et sera chargée de rétrocéder les trop-perçus ou réclamer l’impôt sur les revenus non anticipés.

Sortir par le haut

Au total, certes, les ménages n’auront plus à payer leur impôt. Mais à l’heure du prélèvement automatique, ce n’était pas non plus un effort considérable. Cet avantage minuscule aura pourtant de nombreux coûts. Plus de complexité, on l’a vu, mais aussi un accroissement du travail pour les services de ressources humaines des employeurs. L’administration fiscale, quant à elle, paiera le prix fort en ajoutant à ses nombreuses missions celle du contrôle de la masse salariale des entreprises.

Comment en sortir par le haut ? Le PAS est l’occasion unique d’individualiser l’impôt et de supprimer le quotient conjugal, la plus monstrueuse des niches fiscales. Il favorise les couples ayant des revenus asymétriques et, comme le montrent les travaux de Clément Carbonnier, a un effet négatif sur l’emploi des femmes. A pression fiscale constante, sa suppression conférerait des marges de manoeuvre considérables pour ajuster le barème de l’impôt ou, par exemple, faire un geste à destination des retraités. Le PAS n’est pas une petite réforme pour l’administration fiscale. Autant la rendre utile.

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