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Activité Immobilière, attention à la politique monétaire !

Double peine : la France souffre d’une crise du logement et l’un des maillons faibles de l’économie est l’investissement des ménages dans l’immobilier. Alain Trannoy explique pourquoi l’ampleur de la contraction du secteur va dépendre de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne.

L’investissement des ménages dans l’immobilier baisse depuis trois trimestres. Au milieu de l’année 2023, cet investissement aura reculé d’au moins 5 % en rythme annuel. En dépit de la pression déflationniste qu’exerce cette contraction de l’immobilier, la conjoncture résiste et l’INSEE prévoit une croissance de l’économie française de 0,6% un chiffre modeste, mais jusqu’ici, l’économie continue d’avancer.

Le gouvernement choisit la baisse des prix

L’ampleur de la contraction du secteur du logement va dépendre de l’évolution de la politique monétaire de la BCE, qui est le fait générateur du retournement du marché. Le gouvernement a bien fait comprendre à tous les acteurs du marché qu’il n’était pas prêt à venir en aide massivement au secteur et qu’il allait falloir que les offreurs et les demandeurs se débrouillent tous seuls pour retrouver les voies d’un nouvel équilibre du marché. Le gouvernement adopte même une politique procyclique, ce qui est rarissime, en choisissant cet instant de basse conjoncture pour arrêter la perfusion que représentait le dispositif Pinel. A l’horizon de dix ans, c’est une belle économie de deux milliards de dépense fiscale par an que réalise l’Etat.

Les taux des prêts à destination de l’habitat sont à 3,2%. Ils restent parmi les plus bas en Europe, alors que les taux en Allemagne atteignent 3,9%. La BCE vient d’augmenter de 25 points de base le taux de dépôt qui est désormais de 3,5%. Les prévisions d’inflation de cette institution pour la zone Euro pointent vers une résorption graduelle. Le taux d’inflation devrait converger vers 5,4% cette année pour revenir à 3% l’année prochaine et à 2,2% en 2025. Cela ne convient pas à Christine Lagarde, présidente de la BCE, qui veut forcer l’allure. Elle a laissé entendre qu’un relèvement supplémentaire en juillet était possible et rien n’est exclu pour l’automne. Un durcissement supplémentaire pour arriver dans la zone des 4% aurait un effet de contagion sur les taux d’emprunt immobilier qui pourrait tutoyer la plage des 4,5%-5%. Ce serait préjudiciable évidemment pour le secteur par une courroie de transmission directe mais au-delà de cet effet, il faut se demander s’il ne faut pas craindre une récession qui aurait des effets délétères sur le marché immobilier. La consommation est étale en France. Les seuls moteurs de l’activité restent l’investissement des entreprises et le commerce extérieur. L’an prochain, l’action publique ne soutiendra pas la conjoncture, bien au contraire, l’Etat commençant à réduire le déficit structurel des finances publiques.

Une pression à la concentration du secteur

Et n’oublions pas une chose : l’inflation est plus basse en France de l’ordre de deux points à celle de ses voisins et en particulier à celle de l’Allemagne, en partie en raison du soutien de l’Etat aux ménages pour payer la facture énergétique à leur place. Cette politique faisait sens et a réussi. Mais elle a un coût en alourdissant le poids de la dette publique. La zone Euro n’est pas une zone monétaire optimale. Si les taux s’élèvent bien au-dessus du niveau nécessaire pour faire reculer les taux d’inflation français au niveau de 2%, la France paiera un surcoût dommageable pour son économie dont sera victime en premier lieu le secteur de la construction.

Quelles sont les variables d’ajustement ? Une pression à la concentration du secteur va s’exercer pour réduire les coûts fixes et les coûts de construction en jouant sur les rendements d’échelle. Le gouvernement espère une importante correction des prix du foncier, mais sa politique en faveur de la zéro artificialisation nette va jouer dans l’autre sens. Le taux d’épargne des ménages est historiquement élevé, au-dessus de 18%, avec un taux d’épargne financière de plus de 7%. Dans une large mesure comme au début de la décennie précédente, les vendeurs ont les reins solides pour attendre et voir venir. L’atterrissage va se faire via les quantités beaucoup plus que par les prix. L’institution monétaire et les autorités politiques ont pris leurs risques. Reste à savoir, pour paraphraser René Char, si à les regarder, promoteurs, bâtisseurs, et investisseurs s’habitueront…

 


 

Alain Trannoy, membre du Cercle des économistes et professeur à l’Ecole d’Economie d’Aix-Marseille

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