L’histoire du Prix du Meilleur Jeune Économiste, qui fête cette année ses 24 ans, montre une évolution des inégalités de genre dans la science économique. Il est possible, selon Françoise Benhamou, d’envisager des mesures fortes afin de mieux lutter contre ces inégalités.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
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Emmanuelle Auriol, Guido Friebel, Alisa Weinberger and Sascha Wilhelm
, « Women in Economics: Europe and the World », Working paper n°1288, January 2022.
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Arnaud Maillard
Merci Karl !: 15 ans dans l’ombre de Karl Lagerfeld, Calmann-Levy, 2007.
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Cecilia García-Peñalosa & Soledad Zignago
2022, « Implicit discrimination against women… economists « , Bloc-Notes Eco, Banque de France, 03/08/2022.
Sur la base de données recueillies auprès des principales institutions de recherche en économie dans le monde (universités, écoles de commerce, banques centrales notamment), Emmanuelle Auriol, Guido Friebel, Alisa Weinberger et Sascha Wilhelm1 montrent la sous-représentation des femmes dans le domaine de l’économie. Leurs résultats sont sans appel : dans les 238 universités et écoles de commerce de l’échantillon, les femmes occupent 25 % des postes de haut niveau (professeur titulaire, professeur associé) et 37 % des postes de niveau inférieur. De surcroît, les institutions les mieux classées en termes de résultats de recherche2 comptent moins de femmes aux postes de direction. Ces données sont en phase avec celles auxquelles parviennent Cecilia García-Peñalosa et Soledad Zignago en 20223 selon lesquelles les femmes sont encore largement sous-représentées parmi les économistes universitaires, contrairement à la majorité des sciences sociales. On ne peut que regretter que seules trois femmes, Carmen Reinhart, Asli Demirguc-Kunt et Esther Duflo, figurent dans la liste mondiale des 100 économistes les plus productifs en recherche et les plus fréquemment cités. La troisième fut lauréate du Prix du Meilleur Jeune Économiste (PMJE) en 2005 avant de recevoir le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2019.
Qu’en est-il du PMJE (Prix du Meilleur Jeune Économiste) que le Cercle des économistes décerne avec le journal Le Monde ? On peut distinguer 3 périodes depuis la création de ce prix. La première période va de 2007 à 2013 ; durant celle-ci, le pourcentage de femmes candidates au prix varie entre 8 % et 14 %. La seconde période s’ouvre en 2014 et s’achève en 2022. La proportion des femmes devient significativement plus importante et varie selon les années entre 21 % et 27 %. Enfin la troisième période couvre les années 2023 et 2024. La proportion des femmes passe à 30 % puis 42 %. Il faut s’en réjouir, sans rien concéder à l’exigence des candidatures, et consolider ce qui apparaît comme une avancée tout à fait heureuse. Il faut aussi que la qualité des candidatures féminines leur permette d’être sélectionnées et d’apparaître dans la sélection finale. Il faut enfin que cette meilleure représentation des femmes parmi les candidats soit observée sur une durée plus longue afin de savoir s’il ne s’agit que de deux années particulières ou si la tendance se confirme.
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Hengel, E. and E. Moon (2020).
« Gender and quality at top economics journals ». Mimeo.
La vigilance est d’autant plus nécessaire que des recherches ont montré que les femmes publient moins que les hommes en économie. Cela renvoie à plusieurs facteurs. D’une part, la maternité peut influencer le rythme de publication et de progression dans la carrière (comme au sein d’autres professions). Rappelons à cet égard que les candidats au PMJE doivent être âgés de moins de 41 ans ; ce plafond constitue sans doute un handicap pour les femmes qui ont des enfants. D’autre part, on observe qu’en moyenne les processus de publication durent plus longtemps pour les femmes que pour les hommes, car les femmes choisissent de consacrer plus de temps à répondre précisément aux commentaires et aux demandes des relecteurs (Hengel, 20204). Un autre effet peut être lié à la prise en charge par les femmes d’activités ne concernant pas directement la recherche comme des tâches administratives (directions de programmes, représentation des autres chercheurs…).
Ces constats ont pu inciter nombre de correspondants du Prix à s’interroger sur une évolution qui conduirait à repousser l’âge auquel il est possible d’être candidat d’une ou deux années pour les femmes qui font des enfants … et peut-être pour les hommes qui prennent un congé paternité. La réflexion mérite d’être engagée, tout en maintenant l’excellence et l’exigence qui ont fait la réputation du Prix, afin de s’adapter à des sociétés pour lesquelles l’égalité entre les genres est un impératif devenu catégorique.