Plus d’un an après le début de l’envolée des prix de l’énergie, force est de constater que l’Europe et la France sont soumises à un choc d’une grande violence, comparable au choc pétrolier des années 1970. En quelques mois, les prix à échéance 2023 ont été multipliés par 7 pour le gaz et par 10 pour l’électricité et les prix à terme témoignent de tensions jusqu’à la fin de l’année 2024.
Les fondements en sont connus : pour le gaz, des stocks en Europe moins remplis qu’à l’accoutumée à l’été 2021 puis la guerre en Ukraine ; pour l’électricité, outre le prix du gaz élevé, une hydrologie particulièrement mauvaise en Europe de l’ouest et une indisponibilité exceptionnelle courant 2022 d’une part importante du parc nucléaire en France.
L’Europe dépendante du GNL
Pour le gaz, avec la réduction de la dépendance à la Russie, la dépendance européenne au gaz naturel liquéfié (GNL) s’est accrue (1/3 de la consommation, contre moins de 20% avant la crise). L’offre mondiale de GNL étant inélastique à court terme, car contrainte par les capacités de liquéfaction, l’Europe attire le GNL dont elle a besoin à un prix élevé, qui induit une baisse de demande forte des industriels – et évince la demande de pays émergents. Sur le marché de l’électricité, outre les tensions sur le marché du gaz, des primes de risque excessives induisent des prix à terme plus élevés en France qu’en Allemagne, alors que la situation est inverse pour le gaz.
Si elle met en évidence le risque géopolitique, la crise en cours nous rappelle l’importance des échanges entre pays européens. La France, dont l’activité d’importation de GNL a fortement augmenté face à la baisse des livraisons de gaz russe par gazoducs, a vu ses exportations de gaz plus que doubler, notamment vers l’Allemagne. A contrario, la France, usuellement exportatrice d’électricité, aurait manqué de 10% de sa consommation à l’été 2022 sans importations, notamment d’Allemagne.
Les choix énergétiques entre pays européens diffèrent, mais les interdépendances sont fortes, et c’est à l’échelle du continent que doivent se penser le fonctionnement du marché de l’énergie, les équilibres entre offre et demande, et les infrastructures.
La neutralité carbone, enjeu de la transition énergétique
La crise nous rappelle aussi la place particulière de l’énergie, au cœur de la transition vers la neutralité carbone, qui doit être disponible et dont le coût est déterminant pour le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises.
La transition énergétique devra ainsi assurer tout à la fois la décarbonation, la résilience du système, et s’effectuer au meilleur coût. Difficile à cet égard de prévoir sans beaucoup d’incertitude quel sera le mix énergétique décarboné le plus compétitif à horizon 2050, tant les coûts relatifs des différentes énergies ont fortement évolué, et devraient continuer à le faire, qu’il s’agisse du nouveau nucléaire aujourd’hui beaucoup plus cher que le nucléaire historique, ou encore des énergies renouvelables dont la maturité varie – les prix du photovoltaïque ont déjà été divisés par dix, ceux de l’éolien terrestre ont baissé de 70%, tandis que les coûts de l’hydrogène vert doivent pouvoir beaucoup se réduire et que le biométhane, hier non compétitif par rapport au gaz fossile, s’est retrouvé moins cher avec la crise. Les choix publics devront donc éviter des paris excessifs sur l’une ou l’autre des technologies, rester suffisamment ouverts, et surtout agiles pour s’affiner avec le temps en tenant compte de l’évolution des technologies et des coûts.
La sobriété et l’efficacité énergétique pour réduire notre consommation
Enfin, il y a des choix sans regrets vers lesquels pointe cette crise énergétique. Pour un pays comme la France, la transition énergétique nécessitera non seulement des énergies entièrement décarbonées à horizon 2050 mais également une baisse de la consommation de 40%.
Réduire la consommation d’énergie par des actions d’efficacité énergétique et de sobriété, et accélérer le déploiement des énergies renouvelables, est donc nécessaire à la fois dans une optique de court terme, et pour réussir la transition énergétique. N’opposons pas les énergies : rappelons-nous qu’en tout état de cause de nouvelles capacités de production nucléaire ne seront pas en ligne avant 2035 et que tous les scénarios de décarbonation de la France supposent une accélération du déploiement du renouvelable électrique d’ici 2030 – au premier rang desquelles l’éolien terrestre et le photovoltaïque – et la progression de la production des gaz renouvelables.
Chaque geste de réduction de notre consommation, chaque molécule de gaz vert, chaque électron d’électricité renouvelable comptent, et viendront réduire notre dépendance énergétique !